La gauche mourra-t-elle des suites d’une longue maladie ?
Avec un titre pareil, on pourrait imaginer le pire, du genre portait célinien d’une longue agonie avec métastases locales signant la dissémination d’un mal très profond atteignant plusieurs organes centraux, PS, PC et Vert, sans compter les autres forces d’une gauche plus excentrée. Les descriptions usant d’une sémantique médicale sont difficiles à exécuter. Sauf à énoncer quelques banale formule telle que ; la gauche est malade. Une fois cette "abracadabrantesque" révélation effectuée, on posera une question, sur le caractère chronique ou aigu de cette maladie. Et on y répondra d’un trait, aigu, non, chronique oui. Ce qui signifie que la crise de la gauche française n’est pas nouvelle et remonte à au moins vingt-cinq ans. Mais au fait, c’est quoi la gauche ? Avec deux déclinaisons. Car la gauche peut se définir de manière autonome, ou bien en prenant appui sur un référentiel auquel elle s’oppose en s’y différenciant, ce référentiel étant bien évidemment la droite.
J’aimerais prendre le problème sous un angle original. D’abord pourquoi la gauche ? On aurait pu dire pourquoi les Stones ? Mais si on aime les Stones, ou si on croit en Dieu, ou si on préfère le poisson à la viande, cela relève d’un choix privé. Il y a une gauche (et une droite) parce qu’il y a un espace public, régi par des règles, des lois, organisé par des mesures, prise lors de délibérations publiques par des élus choisis suite à d’autres délibération publiques, celle des élections visant à choisir par le peuple ceux qui mèneront la politique. Il y a une gauche parce qu’il y a un espace d’action politique dont les acteurs sont choisis démocratiquement.
Premier étage, le monde de l’action politique. S’il y a des politiques de gauche, il y en a de droite. Second étage, la réflexion. S’il y a des politiques jugées à gauche, c’est parce qu’elle sont orientées par des valeurs, idées, programmes de gauche ; pareil pour la droite. Mais d’où viennent les valeurs ? Vaste sujet. Gabriel Marcel pensait que les valeurs du bien venaient de Dieu. Maintenant on en doute. Mais on est sûr d’une chose, les valeurs viennent bien de quelque part, de la pensée humaine peut-être. Troisième étage. Comment advient une pensée de gauche ? Et une de droite ? Est-ce une invention de la pensée humaine qui se surajoute au réel ou bien est-ce une manière de concevoir l’ordre, la gestion, l’assemblage de choses changeante au cours du temps, notamment grâce à la technique ?
A notre époque pragmatique, les citoyens ne se contentent plus de croire. Ils veulent des résultats. La gauche, bien qu’elle ait prétendu œuvrer pour une société solidaire, a déçu ses sympathisants. Elle n’a pas fait le nécessaire, ou alors les Français ont trop espéré eu égard aux marges de manœuvre disponibles. La gauche est donc en procès. S’il s’avère qu’elle n’a pas réalisé ses objectifs, il faut savoir quels étaient les objectifs et si ce déficit de réalisation provient des hommes et des moyens mis en œuvre, ou des idées et programmes, mal conçus. Mais pour tout citoyen, jauger les actions, les idées, les objectifs, tout cela lui est inaccessible. Nous ne savons rien. Car la société est complexe et que, par intérêt ou malveillance, certaines données sont masquées. Bref, tout a concouru à ce que la gauche ne soit plus crédible. Un concours de facteurs. Une situation d’époque. Faiblesse des hommes, dans la réflexion, les aptitudes intellectuelles, mais aussi les attitudes morales. Tirer son avantage du système est un atout à l’échelle individuelle mais une faiblesse pour le maintien d’une société où vivre ensemble est plus qu’un simple slogan.
Voilà quelques éléments pour comprendre non pas une défaite ni une mort de la gauche mais une sorte de dissolution des valeurs, idées, programmes et surtout, jugement sur une politique de gauche. Les citoyens sont égarés. Notamment sur les questions écologiques. Et ce n’est pas la pub sur le développement durable qui changera la donne. La gauche, en résumé, ce sont des bonnes intentions, des belles idées, mais diluées dans un formidable brouillard. C’est peut-être cela le symptôme d’une gauche qui se délite lentement. Etre dans le brouillard. Et quand elle sort du brouillard et qu’elle devient claire et limpide dans ses méthodes et ses actions, elle est pragmatique et ressemble alors à la droite. Pour se démarquer de la droite, elle invente une mesure qui restera dans l’histoire de la 5e République comme la plus grosse bêtise qu’un gouvernement ait commise, à savoir la loi obligatoire sur les 35 heures. Il n’y a que l’emprunt Giscard indexé sur l’or qui dépasse le mur du son mais ce n’était pas un mauvais calcul, juste une mauvaise idée. Giscard n’était pas prophète en son temps.
La gauche s’est donc diluée dans le sens intellectuel mais aussi dans les consciences. Car l’essentiel, c’est la pensée de gauche. Il y a deux dialectiques qui se conjuguent, entre les faits et les idées, valeurs, programmes, puis entre ceux-ci et la pensée. Une pensée de gauche peut-être pétrie de bonnes intentions, si la conjoncture trouble les esprits et que la plèbe militante et dirigeante ne se range pas sous le consensus, alors, la pensée se lasse, s’étiole. C’est ce qui s’est passé notamment avec cette cacophonie de la gauche en 2007. Inaudible, grotesque, risible. Mais ce serait malhonnête que de ne pas reconnaître le succès des idées de droite. Le culte de la réussite, de l’action, d’ailleurs, les jeunes actifs ont été suivis par les sportifs de haut niveau, superbe vivier pour sponsoring de droite, et d’artistes à succès. La droite, c’est la défense des avantages acquis en terme individuels (le travail ou la chance ou l’instinct du réseau, les trois se combinant), contrairement à la gauche qui joue sur les avantages acquis en terme abstraits, collectifs, pour les affiliés aux catégories défendues (ce qui démotive les meilleurs). L’esprit de l’époque est aux basses pensées, aux ressentiments, à l’envie, aux jalousies. La droite pousse aisément sur ce terreau des basses aspirations. La gauche pourrait miser sur l’éthique et la générosité qui va avec. Ces mécanismes psychiques se perdent. La générosité va avec la pitié et l’émotion. Un bon tsunami déclenche une avalanche de dons. Mais la pièce de monnaie est aussi destinée au mendiant. Les traditions ne se sont pas encore perdues.
Dans l’univers de la sélection naturelle des idées par adhésion, diffusion, persuasion, séduction, conviction, la droite a montré un avantage adaptatif indéniable face à la gauche mais il y a les équilibres ponctués qui ponctuent les écarts. Ainsi va le monde. Fort de ses évolutions techniques et transgressives. La gauche peut-elle renaître ? C’est possible mais ce sera une sorte d’imprévu, de phénomènes insurrectionnels des consciences que ni les intellectuels ni les partis politiques ne pourront engendrer. Espérons que ce jour-là, ils seront prêts pour suivre et pousser dans la bonne voie.
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