La grande concertation
Mauvais élèves, mauvais professeurs, mauvais intellectuels ....donnez-vous la main !
Au pays de jocrisses …
Ma grande et noble administration m'envoie un courriel afin de solliciter mon opinion au sujet de la célébrissime Réforme de Madame notre digne ministre de l'Education Nationale. Après les propos sans ambiguïté de son chef, ce premier ministre si démocrate, la moindre remarque acerbe, négative ou ironique serait perçue comme offensante, attentatoire au sérieux et au sens de l'intérêt général qui caractérisent si bien l'équipe en place. Il est donc plus prudent de ne pas répondre à ce questionnaire, d'autant que les dés sont jetés : la consultation n'étant que de pure forme.
Pour renforcer ce sentiment de total décalage, comme je suis enseignant du premier degré, on m'a fait passer le questionnaire relatif à l'école primaire. Hélas, braves gens, en bientôt 38 années de carrière, je n'y ai jamais enseigné. Mon domaine fut toujours le collège ; je n'ai sans doute pas le profil ni le niveau pour avoir le droit de donner quelques avis pas nécessairement éclairés, compte tenu de ma médiocrité statutaire.
Pourtant, c'est sans doute en regardant de biais le collège, en y ayant passé de longues années à sa marge que l'on peut le mieux voir ses travers, comprendre ses limites et ses imperfections. Redoutant tout cela, le ministère préfère me clouer le bec en me renvoyant à mes chères études initiales. La dame Najat eût sans aucun doute mieux fait de suivre le même chemin ; nous ne nous en porterions que mieux !
En parfaite paradigme de l'ambition et du pouvoir, la dame méprise la base, se refuse à entendre les plaintes et les inquiétudes qui viennent de cette maudite plèbe. Les programmes sont bouclés, réalisés avec pertinence, il n'y a pas lieu d'en douter, par des spécialistes du jargon abscons, des rois de la formule passe-partout qui permet de ne jamais se tromper, des experts en enfumage. Le socle commun est un merveilleux outil d'affichage ; il n'est en rien un possible réalisable dans le contexte actuel.
Le contexte, justement, la loi en gestation ne s'en soucie pas. Il ne faut pas toucher au dogme absurde du collège unique, au délire des objectifs chiffrés qui fixent à l'avance le nombre de reçus avec l'obligation de tricher sur les notes pour attester d'un niveau que beaucoup ne peuvent plus atteindre. Le contexte sans surtout le recul dramatique de la discipline, les violences scolaires, le découragement des enseignants, la perte de confiance des parents, le gaspillage et la dispersion des moyens pour des gadgets déments, … et bien d'autres maux qui ne sont pas abordés par un réformette de plus.
La dame pense qu'il faut distraire les élèves, que l'école est un espace de loisirs. Elle n'abordera jamais la nécessité de l'effort, l'exigence de niveau, les apprentissages incontournables, les limites à ne pas dépasser ; elle ne le fera jamais car elle est d'abord une démagogue qui vend du vent et l'habille d'oripeaux sans intérêt. Elle vend sa marchandise également en imposant une éducation à la citoyenneté. C'est curieux combien ceux qui chaque jour s'évertuent à détourner le citoyen de la chose publique par leurs mensonges, leurs reniements, leurs magouilles et leurs forfaits, pensent que l'école pourrait, par magie, effacer ce spectacle pitoyable en apprenant ce qui ne s'enseigne pas mais se vit au quotidien par l'exemple et la conviction.
L'informatique revient une fois encore au galop. C'est le cheval de bataille des réformes successives. C'est la fuite en avant pour transformer les classes en gentilles colonies de vacances. Nous entrons ici dans la pensée magique. L'ordinateur va compenser les gouffres que sont devenues les lacunes scolaires. Celui qui ne sait pas lire, compter, parler trouvera un merveilleux supplétif pour faire à sa place ce qu'il n'a pu apprendre parce que désormais, dans bien des familles, l'école n'est plus un lieu de transmission mais une simple garderie.
Alors, oui, l'ordinateur scolaire prendra le relais des consoles domestiques et de la télévision pour que les enfants se tiennent tranquilles. La génération « Tout écran » va sortir du chapeau de la dame et de ses conseillers. Il est fort probable du reste qu'elle n'ait rien proposé elle-même. Mais laissons là la critique pour le fond du problème. Les établissements sont chaque fois équipés d'outils informatiques sans que jamais, la question de la maintenance ne soit envisagée. C'est un scandale qui mériterait une enquête de la cour des comptes ; il y a dans cette gabegie bien des gens qui se sucrent au passage … La question des contenus numériques est, elle aussi, gérée d'une manière totalement anarchique, sans réel référencement et avec des situations parfaitement inégalitaires.
Ce n'est pas une réforme de plus qui évitera la catastrophe inévitable qui menace notre système scolaire. Il faut tout repenser, redéfinir les missions, les priorités, les moyens raisonnables que l’État peut mettre dans le contexte actuel. Il faut cesser de donner toutes les fonctions à l'école, recentrer son rôle sur les matières fondamentales et arrêter de vendre de la poudre aux yeux. Je doute que ce pauvre gouvernement soit en mesure d'affronter un tel chantier. Ce ne sont pas les langues qui sont mortes, c'est l'idée même d'Éducation Nationale telle qu'elle avait été promise par la troisième République qui agonise. On n'éduque plus, on gère des flux, monsieur, et on fait ce qu'on peut ! On nivelle par le bas : l'inculture devenant la norme, le socle commun d'une société vendue au marché.
Comment voulez-vous que je puisse dire cela en réponse à la belle enquête des jocrisses qui nous gouvernent. Le pseudo-intellectuel vous salue bien, madame. J'abandonne le bateau que vous menez d'une barre incertaine, les yeux bandés et les oreilles bouchées. Mais je ne suis pas inquiet à votre sujet : il y aura bien un radeau de sauvetage pour vous. Pour les élèves, je n'en suis, hélas, pas certain.
Pamphlétairement sien.
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