Négociations. Nous y sommes donc. Tout à l’heure, à 15 heures, la direction de la SNCF et les principaux syndicats de l’entreprise se retrouveront autour d’une même table pour discuter, enfin, discuter. Selon le programme communiqué hier par la direction qui est l’organisatrice de ce dialogue, il est prévu de se quitter sur les coups de 18 heures. Cet espace de temps de trois heures renseigne sur le processus enclenché et ce que l’on peut en attendre. Sauf à oublier le chronomètre, les dirigeants de l’entreprise publique et la dizaine de syndicats représentés ne pourront que s’en tenir à des propos généraux et renvoyer, c’est ainsi que les choses ont été organisées, chacun des problèmes posés par ce conflit à des négociations sectorielles qui devraient aboutir, d’ici un mois environ, à une instance plénière chargée de finaliser un accord global.
Reprise. Décrire cette mécanique n’a, en soi, que peu d’intérêt. Elle peut, seulement, éclairer un peu la suite. Est-il envisageable, si la discussion de cet après-midi en reste à des généralités, de voir la CGT lever le mot d’ordre de grève et appeler ses adhérents à la reprise du travail ? Vu l’état des troupes, entretenue dans une certaine radicalité par des discours publics toujours hostiles à l’allongement de la durée des cotisations, cette éventualité n’est pas certaine. Si, par hypothèse, les syndicats qui pèsent à la SNCF, la CGT au premier chef, Sud-rail ensuite, décrétaient au contraire la poursuite du mouvement, il y aurait demain comme un choc psychologique devant ce qui apparaîtrait alors comme un blocage.
Propositions. Cette étape-là sera suivie avec attention du côté de l’Élysée. Aux multiples indiscrétions calculées de ses conseillers, on comprend que Nicolas Sarkozy est impatient d’intervenir. Il veut le faire à sa manière, fidèle à une stratégie qui porte certes sa marque, mais qui ne dissipe aucun des problèmes auxquels nous sommes confrontés. Le chef de l’État veut déplacer le débat pour reprendre la main, parler d’autre chose que de la grève et de la réforme des retraites pour conserver l’initiative, bouger pour éviter d’être étouffé. Le sujet qui, dans son esprit, devrait chasser les désordres actuels, c’est le pouvoir d’achat. Comment redonner du pouvoir d’achat aux Français ? Il devrait lui-même répondre à cette question jeudi soir si la grève se dissipe dès ce soir, vendredi soir sinon, juste avant de partir en Chine, samedi, pour un voyage officiel de trois jours, et puis au retour si décidément la CGT persiste.
Hypothèses. En gros, la réponse est simple et se réduit à une alternative. Ou bien Nicolas Sarkozy s’estime tenu dans son action politique par la nécessité de ne pas creuser encore les déficits publics, et alors ses propositions ne pourront être que minimalistes, techniques et décevantes. Elles seraient aussi, dans ce cas de figure, une preuve supplémentaire que dans une société élaborée, raffinée et sophistiquée, la politique dépensière s’incline devant l’économie productrice de richesses, une idée souvent jugée insupportable dans notre Hexagone, mais qui finit toujours par s’imposer, voyez 1983 et 1995, aux risques de susciter des frustrations immenses par le manque d’une pédagogie adaptée qui ne serait que l’autre face du mensonge organisé dans lequel nous vivons depuis si longtemps. L’autre branche de l’alternative se nourrit justement de cette culture si typiquement française qu’en son temps et sur un autre terrain, la maxime du maréchal Foch, énoncée à la veille de la bataille de la Marne, en septembre 1914, illustre parfaitement : "Mon centre cède du terrain, ma droite se replie. Situation excellente, j’attaque !" Resituée en 2007, la formule serait celle-ci : "Mes finances publiques sont défoncées, mon commerce extérieur détraqué. Excellent ! J’attaque !" Alors, le président Sarkozy pourrait annoncer, en plus de mesures techniques sur les marges arrière dans la distribution et autres joyeusetés, une prime exceptionnelle versée aux agents de la fonction publique, une défiscalisation des mêmes primes dans le secteur privé, un 13e mois versé brut, à charge pour l’État de compenser auprès des organismes sociaux, et d’autres choses du même tonneau qui le feraient ressembler au Père Noël que nous aimerions tous croiser au moins une fois dans notre vie. Je crois que c’était Clémenceau qui disait cela en son temps : "La guerre est une affaire trop sérieuse pour qu’on la laisse aux militaires." On pourrait le paraphraser ainsi : "La politique est une chose trop sérieuse pour qu’on la laisse aux élus."
Invitée. Laurence Parisot, présidente du Medef, a employé le mot de "séisme" à propos de la grève en cours. Elle a aussi confirmée, en fin d’interview, un fait rapporté dans un livre récent, La Nuit du Fouquet’s, écrit par deux journalistes, Ariane Chemin et Judith Perrignon, et relatant la soirée du 6 mai dernier au cours de laquelle Nicolas Sarkozy a fêté sa victoire dans la brasserie parisienne. Le récit assurait que le nouveau président de la République avait refusé de prendre le portable qu’on lui tendait en lui indiquant que c’était la présidente du Medef qui voulait le féliciter. Il avait même refusé de prendre l’appel en agrémentant son choix d’une insulte à son égard. Ce matin, Laurence Parisot a authentifié l’anecdote, l’insulte en moins puisqu’elle n’était pas présente. Le fait est intéressant pour cette raison un peu schizophrénique. Le nouveau président de la République s’affiche volontiers avec des chefs d’entreprise dont il se dit l’ami et dont il vante les réussites. Mais à la représentante institutionnelle des patrons, il préfère ceux des ouvriers, ayant par exemple noué une relation très confiante avec le chef de la CGT dans le secteur de l’énergie et se montrant volontiers conciliant ou souriant avec Bernard Thibault. Respecter les syndicalistes relève d’une approche intelligente de la diversité démocratique. Mais comment donc qualifier le mépris affiché pour d’autres représentants de cette diversité forcément diverse de la diversité démocratique ?