La justice peut-elle se prémunir contre l’erreur ?
Le 4 décembre, soit quatre jours après la déclaration du procureur de Grenoble, l'avocat de Nordahl Lelandais soupçonné d'avoir enlevé Maëlys contestait l'accusation. Le défenseur du suspect qui nie les faits depuis le début, parle de : « Chronologie impossible » de propos « contraires à la vérité du dossier pénal. (...) une justice rendue sur BFMTV (...) Ce qui s'est produit depuis trois mois, c'est une insulte à la justice, une insulte aux parents de la petite fille. (...) Vous faites passer cet homme pour un monstre, alors que dans le dossier, il n'y a pas l'ombre d'un soupçon de commencement d'élément qui pourrait, et on a tout fouillé, laisser penser qu'il ait ne fût-ce qu'un penchant pédophile ».
Selon Me Alain Jakubowicz, toute l'accusation repose sur un seul axiome, celui de l'heure de la disparition, or : « à 2h 45, la petite Maëlys est avec ses grands-parents au mariage. Ils lui demandent de rentrer avec eux et elle veut rester ». Témoignage confirmé par la sœur de la grand-mère qui précise : « à cette heure-là, elle va jouer au football avec la petite Maëlys dans la salle réservée aux enfants. (...) A 3h 00, il y a une vague de départ d'invités et Maëlys est dans la salle. Maëlys n'a pas disparu. A 3h15, le cousin de la mère de Maëlys quitte le mariage et la croise et lui parle » . L'avocat révulsé de voir son client « jeté en pâture » n'a de cesse de souligner les incohérences. La silhouette assise sur le siège avant d'un véhicule semblable à celui du suspect (qui a basculé son Smartphone en mode avion à 02h46) filmée à 02h47, ne correspond pas à Maëlys qui avait les cheveux attachés contrairement à ceux de la « silhouette », et la robe blanche que l'on aperçoit présente un décolleté « de femme, profond, jusqu'à la naissance de la poitrine et carré » . A 03H24, la voiture est filmée en sens inverse sans passager à bord.
Comment deux hommes ayant suivi un cursus similaire partageant l'éthique de justice peuvent-ils avoir un avis diamétralement opposé sur les mêmes faits ? Qui est le plus proche de la vérité, l'accusation ou la défense ? divergences tendant à démontrer que la justice s'insère dans un rapport de pouvoir et de domination lié à une époque (affaires Dreyfus, Jules Durand, Gabrielle Ruffier, Patrick Dils, Rolland Agret, Omar Raddad, Marc Machin, etc.). La vérité judiciaire reste une mosaïque reconstruite et il appartient au juge de se forger son intime conviction.
Les faits avancés en matière judiciaire sont toujours précis et circonstanciés, mais rien ne garantit qu'ils soient incontestables et que la chaîne judiciaire soit exempte de dysfonctionnements. Quand un événement bouleverse les consciences, le réflexe premier est de procéder à des rapprochements avec des événements antérieurs similaires (notre propre expérience), le psychisme d'ériger des défenses mentales, et les convictions ou l'idéologie d'interagir (un chef d'entreprise qui transfère des fonds personnels dans un paradis fiscal est un renégat, s'il s'agit d'un artiste adulé, son public l'absout). En tricotant quelques mailles de vérité à l’endroit et une maille d’affabulation à l’envers, rien de plus facile que d’aboutir à une forme de persuasion renforcée par l’auto-enclavement de certains détails qui vont contribuer à rendre l’hypothèse valide.
On attend de la chaîne police-parquet-presse : la vérité - l'impartialité - l'objectivité - et le discernement. Pour appréhender les faits, les indices, les liens, la fiabilité des témoins, etc., cela contraint à faire des choix, c'est un peu comme le portraitiste qui décide de placer les éclairages de façon à donner une tonalité affective à un portrait. Nous sommes devant une représentation de la réalité mais non de la réalité. L’instruction à charge et à décharge oblige à s’appuyer sur des témoignages qui à défaut de faire toute la lumière, ont le principal mérite d’émettre des hypothèses plausibles ce qui ne veut pas dire probables. Le sourd ne peut parler de ce qu'il a vu et le non-voyant de ce qu'il a entendu. Peu importe la plausibilité des faits et encore moins leur véracité si le raisonnement avancé repose sur une majeure fausse.
La situation m'évoque le général Colin Powell qui a avancé plusieurs indices regroupés en une affirmation unique (l'Irak dispose d'armes de destruction massive) plutôt que d'avoir à apporter la démonstration de chaque élément d'information. Imaginez un médecin spécialiste posant un diagnostic portant sur une maladie, plutôt qu'une suite de diagnostics pour chaque symptôme. Si le malade est atteint de deux pathologies, le risque de passer à côté de la seconde est loin d'être anodin. L'indépendance des magistrats est un privilège, il s'agit de préserver l'image de la Justice et pas question d'affaiblir l'autorité de la chose jugée par un contre-pouvoir démocratique. On lui préfère une décision rendue au nom du peuple français et la légitimité d'une décision incontestable dans laquelle l'acte d'autorité « a plus de poids que la raison ». Combien d'erreurs pourraient être évitées, réparées ?
Toute information reste entachée de suspicion tant qu’elle n’a pas été recoupée, positivement ou négativement par des sources n’ayant aucun lien entre-elles, à condition qu’elles soient appariées correctement. S’il suffisait de comptabiliser les points positifs et négatifs pour ensuite en faire le différentiel, il serait simple à établir la vérité. Dans la réalité, les points n’ont pas forcément une valeur identique, on parle de pondération. Des choux restent toujours des choux, mais ils peuvent présenter entre-eux des différences de taille, de masse, de texture, etc. En matière d’analyse et de synthèse, cela vaut tant pour la corrélation des faits matériels que pour les témoignages recueillis. Chaque fois qu'un maillon de la chaîne pénale délaisse un détail, volontairement ou non, on se rapproche de l'erreur (Affaire d'Outreau, Grégory, etc.). Nous sommes loin de la présomption d'innocence qui revient à emprisonner parfois un innocent (au « bénéfice du doute » en sa défaveur) plutôt que d'élargir un coupable. L'injustice est alors double, l'innocent est privé de sa liberté tandis que l'auteur des faits reste libre, et la condamnation du premier mettant bien souvent un terme aux recherches. Une relaxe obtenue au bénéfice du doute sous-entend que le tribunal n'a pu établir la culpabilité de façon certaine, et non l'innocence du justiciable relaxé. Parler de présomption de culpabilité serait moins hypocrite, incarcérer un individu présumé coupable serait plus acceptable, moralement, que d'embastiller un présumé innocent. Nous sommes loin du doute devant bénéficier à tout accusé et de : « la prudence du juste milieu ».
Il est toujours plus facile de « prouver » qu'un individu à commis les fait qui lui sont reprochés que le contraire, car il s'agit alors d'établir ce qui n'existe pas ! Prenons l'exemple de l'heure (quand), elle peut être source ou cause d'erreur apparente par un écart dans l'horaire fixé, (inattention, oubli ou reconstruite), ou erreur vraie par rapport à une heure exacte. Ces inexactitudes ou fautes de raisonnement peuvent être minimisées par l'adoption d'une méthode rigoureuse permettant d'établir les corrélations, des rapprochements et des rapports de vraisemblance. La certitude reste alors une question de degré sur laquelle le juge doit se forger son intime conviction. Plus on apporte d'informations, mieux on peut les apparier et faire dire aux faits à peu près n'importe quoi.
Les scientifiques ne sont pas encore parvenus de façon certaine à établir les relations entre les coïncidences et le hasard (phénomènes aléatoires). Personne par contre ne met en doute l’existence du phénomène. Comment des événements isolés mineurs ou non peuvent former une chaîne de causalité, d’occurrences, capables d’aboutir à un fait unique ? Qui n’a pas entendu de la malédiction de la momie du pharaon Toutankhamon ? Près d'une trentaine de personnes en lien avec sa découverte sont morts prématurément de maladie ou d’accident. Le mythe de la malédiction réapparaît avec la découverte en 1991, d'Otzi, un chasseur préhistorique dans un glacier autrichien. Son découvreur, Helmut Simon est décédé d'un accident de randonnée en montagne proche de l'endroit où Otzi a été mis au jour. Le lendemain de son enterrement, le guide qui avait conduit les opérations de recherche de Simon, décède à son tour, victime d'une crise cardiaque. Le médecin légiste qui avait déplacé le corps du chasseur préhistorique perd la vie dans un accident de voiture. Un autre guide qui avait participé au transport d'Otzi par hélicoptère, disparaît dans une avalanche. En avril 2005, l'archéologue qui avait le premier examiné Otzi, trépasse d'une sclérose en plaque. Le journaliste qui avait réalisé le film sur l'extraction des glaces du corps, décède à son tour d'une tumeur au cerveau. Le biologiste Thomas Loy qui cherchait à découvrir les circonstances de la mort d'Otzi tué il y a 5 300 ans, a été retrouvé mort à son domicile. « Ces exemples bizarres peuvent affiner nos estimations sur la mystérieuse nature des probabilités que Von Neumann appelait la magie noire (Arthur Koestler). »
« Comment avoir la certitude d’un doute ? Par l’ombre, l’ombre d’un doute ! » Un faisceau de coïncidences ou d'indices concordants en fait-il pour autant une preuve irréfutable ? Il nous est arrivé à tous de voir surgir une multitude de faits ou d’éléments à un certain moment de notre vie, on parle alors de la loi des séries et on trouve cela quasi normal. Si une information est estimée fiable à 90 % (probabilité 0,9) et que j'entreprenne de la rapprocher avec une autre information fiable à 80 %, mon information commence à perdre de sa valeur par dilution. Dans le monde du renseignement, l'analyste utilise une double cotation pour évaluer un élément essentiel d'information, il apprécie la fiabilité de la source et la pertinence du contenu de l'élément d'information. La pertinence s'apprécie de A (fiable) à F (non évaluable), et la pertinence de 1 (confirmé recoupé) à 6 (non-évaluable), A1 correspond à 100 %. Sur une échelle de valeur cela nous donne : certain, probable (85-65 %), à confirmer, possible, improbable, impossible. Pourquoi cette matrice n'est-elle pas appliquée au renseignement judiciaire qui dispose par ailleurs d'une excellente méthode reposant sur la formule déclinée de Quintilien ? Les logiciels d'intelligence artificielle se montreront-ils plus fiables et équitables dans les jugements rendus par l'e-justice que par les tribunaux actuels, le calcul des probabilités sera-il un allié plus fiable et impartial ? L'intelligence artificielle introduira-t-elle dans les décisions de justice ce que la police technique et scientifique a apporté en matière de preuves ?
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