La langue qui dérape
J’aime bien regarder la paille dans l’œil du voisin, surtout lorsqu’elle ressemble à s’y méprendre à une belle poutre.
Un petit aperçu des expressions verbales détournées de leur sens et rabâchées à souhait dans les conversations de rues. On en relève de plus en plus dans les discours, les conférences, chez les journalistes et tous bavardeurs impénitents confondus.
Certainement le plus courant dans les bouches ados : « genre » ressemble plus à une addiction approximative qu’à une explication rationnelle. « J’ai voulu lui parler, genre comme ça... » « Il m’a snobé, genre minable » « Oui, oui, je lui ai cloué le bec… Genre ! » Et pourquoi pas « na » ? ou « à peu près » voire « en gros ».
Je vois des genres partout, genre je n’ai rien à dire, il faudra t’en contenter.
Il s’agit souvent d’un simple accolement, une rajouture inutile : « Tu te crois indestructible, genre Terminator ».
Il est bon aussi de se rappeler que « carrément » n’est pas une affirmation signifiant oui, volontiers, avec plaisir, bien sûr ou absolument.
« Carrément » ne peut en effet signifier en français que :
— dans le registre désuet : d’une manière carrée, à angles droits.
On dit par exemple : « J’ai empilé mon bois de chauffage carrément ».
— et dans le registre familier :
d’une façon nette, décidée, sans détour ; franchement.
On dit par exemple : « Mon patron m’a parlé carrément et annoncé que la société allait bientôt être en faillite ».
— ou : fermement, nettement, complètement.
On dit par exemple : « Cette charpente est carrément pourrie ».
Parlons un peu de l’ami « du coup », ce passe-partout cogneur, un peu parasite bouscule et remplace nombre de ses amis. Certains lui préfèrent « pour le coup ». Bof ! En fait, c’est pas mieux.
Pousse-toi de là |
Que j’m’y mette |
Donc Ainsi Dès lors Tout à coup En conclusion C’est pourquoi Par conséquent Par suite Subséquemment Désormais Aussi Après Soudainement Si je comprends bien Finalement |
Du coup Du coup Du coup Du coup Du coup Du coup Du coup Du coup Du coup Du coup Du coup Du coup Du coup Du coup Du coup |
Du coup on passe au suivant :
« En fait » comme certains de ses confrères c’est seulement un bouche-trou du genre inutile.
Vous avez pu mesurer la stérilité de ce tic verbal dans cette petite phrase : « En fait, c’est pas mieux »
Mon cerveau a quelques failles ; il s’agit peut-être d’emphets. Ah la langue parlée !
Tentons de « faire le buzz » en évoquant l’adjectif « grave ». Employé comme adverbe, il marque l’intensité d’une chose, d’un sentiment : « il est grave content ». Utilisé dans le sens affirmatif : « Alors ce film t’a plu ? » « Grave ! », il est totalement détourné de sa fonction de marqueur de la pénibilité, de l’important, du sérieux. Bien sûr, il n’y a pas mort d’homme, ceci n’est donc pas très grave. C’est juste très très irritant !
Cependant, il en est un que j’emploie sans doute trop souvent : le fameux « j’imagine » quand on devrait entendre : je compatis.
« En même temps » sortir des verbes de vieux pour juste se vanter d’utiliser un langage châtié : Ça craint !
Tout ceci ne serait-il pas l’expression d’un subtil enrichissement de la langue française. Je dirais plutôt un élargissement de notre langue. Restons optimistes !
Juste pour agacer : « Au final », aujourd’hui je suis « en mode » rédacteur furtif. « En même temps », il me reste assez de flegme pour ignorer les cerveaux supérieurs donneurs de leçons. Pas vrai ? « De ouf ».
Sources : Le Robert et wiktionary.org
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