La Libération (20) : un document, écrit en 1943, analysait déjà l’aviation japonaise
J'adore fouiner, vous le savez, le Nord et ses célèbres braderies, ailleurs appelées "vides greniers" m'ayant donné le virus tôt. On y trouve des tas de choses, et parfois même des documents ayant une importance historique. Ainsi, dégotté par pur hasard, un lot de magazines plutôt rare, de "Science et Vie" datant de 1940-1944 et surtout cet exemplaire de février 1943, avec en couverture un chasseur japonais joliment dessiné. Avec dedans un article signé Jules Chenac (et non pas l'excellent Camille Rougeron, "stratège peu connu", hélas, qui sévissait alors dans la revue *) à propos de l'équipement de l'aviation japonaise, qui toute cette année 1942 avait provoqué l'émoi et l'effroi chez les responsables américains. Un document auquel nous ajouterons celui du numéro d'avril 1942 de la même revue, à la magnifique couverture évoquant... Edgar P.Jacobs, sur l'évolution de l'aviation américaine, alors très en retard sur le Japon.
Sur la magnifique couverture, figure, nous dit la revue, un dessin représentant un appareil "Mitsubishi", au moteur en train de vrombrir. La revue annonce en introduction : "la guerre du Pacifique a été féconde en surprises de toutes sortes. Dès les premiers jours, en particulier, l'aviation japonaise, dont on ne connaissait guère à l'étranger que les types d'appareils déjà anciens, s'est révélée de qualité supérieure aux formations anglosaxonnes d'Extrême-Orient, équipées d'un matériel de deuxième zone, et a contraint les Américains à dépêcher vers l'Australie leurs avions les plus modernes. La couverture du présent numéro représente un chasseur de la marine japonaise, le Mitsubishi "S.00", remarquable par ses qualités de grimpeur et doté d'un armement puissant. Comme tous les appareils japonais, le "S.00" est spécialement adapté au combat au-dessus des océans, et son réservoir auxiliaire largable, que l'on aperçoit sous le fuselage, lui confère un rayon d'action très étendu." Tout était déjà dit : la surprise de Pearl Harbor passée, l'aviation japonaise avait confirmée en 1942, durant toute l'année, une supériorité écrasante en effet. Sur des critères simples, comme le taux de montée de ses principaux appareils, dès le début du conflit... les avions japonais étaient supérieurs à ce qu'on alignait en face.
Le fameux "Mitsubishi" de couverture, on le retrouve à l'intérieur (voir la page fournie), avec ce commentaire : "Le Mitsubishi S.00 (Le Zer-Sen !) est un chasseur de l'aviation navale dont l'emploi est actuellement généralisé sur les porteavions japonais et dont il est fait souvent mention dans les communiqués. Il est muni d'un moteur "Kinseï" développant 1 000 ch à 4 575 m, 14 cylindres en double étoile. Ses dimensions principales sont envergure 12 m, longueur 8,65 m, poids total 2 330 kg. Il atteint une vitesse maximum de 580 km/h à 4 500 m d'altitude. Son plafond est voisin de 11 000 m. Son rayon d'action est normalement de 950 km à 425 km/h", auquel est accolé dans la page un Nakajima 97, autre redoutable chasseur nippon, qui est aussi comparé au S.00 qui retient une nouvelle fois l'attention de l'auteur avec son réservoir externe : "l'adjonction sous le fuselage d'un réservoir auxiliaire largable en bois permet de porter ce rayon d'action à 2 500 km, avec une vitesse de croisière de 260 km/h et un armement réduit. Récemment sont apparus des chasseurs plus modernes, tels que le Mitsubishi S-01, chasseur de porte-avions atteignant 620 km/h, d'un rayon d'action de 2 000 km et armé de quatre canons d'aile. Comme le chasseur terrestre Kawasaki S-02, dont les performances et l'armement sont semblables, il est équipé du nouveau moteur Mitsubishi de 1 500-1 800 ch". L'auteur semblait donc bien renseigné, pour l'époque.
Le même auteur a bien compris que la vélocité du S.00, autrement dit le "chasseur embarqué de type 0", à savoir le célèbre l'A6M "Zéro-sen", devait désormais s'accompagner de puissance de feu, les appareils américains effectuant en même temps une course au blindage, qui les alourdissait, aidé par des moteurs plus gros. L'auteur, finement, dans son analyse, revient sur ce dont je vous ai déjà fait part ici : " il est devenu banal de répéter qu'au cours de ces dernières années l'industrie aéronautique japonaise s'est très largement inspirée des techniques étrangères. La liste les licences y est particulièrement abondante, nais ces licences y étaient surtout étudiées par l'Institut de recherches de Tokio (Tokio leiroku Daigoka Dokukent Kyujo) en vue de stimuler une production nationale de qualité." La copie, à la base d'un bon nombres de modèles, comme je vous le disais hier encore, avec le modèle V-143 de Vought, la méthode insidieuse utilisée par les japonais pour s'équiper à moindre frais, sans avoir à payer une équipe de recherches. Et la facilité de pouvoir améliorer l'existant, en prime ! Au total, cela faisait une belle brochette d'appareils efficaces (comme ici pour les seuls chasseurs ) !
Car le constat de l'auteur était bien net, et il rejoignait exactement l'analyse que je vous avais donnée : "à la veille de la guerre du Pacifique, en novembre 1941, la revue des appareils connus de l'aviation japonaise indiquait des avions de types déjà anciens (1935 à 1938) aux performances modestes. Nous en avions conclu que le secret des plus récents types d'avions était bien gardé dans l'Empire du Mikado, et qu'on pouvait qe demander si la technique nippone atteignait le niveau élevé de la technique américaine en matière d'avions et de moteurs. Au bout d'une année de guerre dans le Pacifique et dans l'océan Indien, le voile s'est quelque peu déchiré, et le moins qu'on puisse dire est que la valeur de la technique japonaise avait été sous-estimée. Non seulement le nombre d'avions sortis par les quinze usines d'avions et les dix usines de moteurs de l'Empire du Soleil Levant a dépassé 10 000 en 1941, mais les types d'avions au millésime 00, 01 ou 02 ne le cèdent en rien, ainsi que le major Alexander de Seversky l'a reconnu aux Etats-Unis, à leurs similaires étrangers, même américains". Bref, tout le monde s'était fait surprendre, non seulement par les appareils, mais aussi par... les capacités de production de l'industrie japonaise, capable de se lancer un tel défi en quelques années seulement, via des pratiques purement industrielles d'applications de brevets empruntés aux constructeurs privés du moment, ceux que l'armée américaine assez kafkaïenne n'avait pas voulu retenir pour ses propres équipements ! Les américains, on le sait, on l'a vu, devront répondre à ce formidable investissement par un autre encore plus important : si les japonais avaient passé Pearl Harbor au rouleau compresseur de leur attaque surprise, ils se feront laminer de la même manière par un foultitude d'avions devenus démesurés. Le Fana de l'Aviation dans son hors série N°5 de décembre 1996 consacré aux "Avions de combat de l'Us Navy", avec comme titre "dans les coursives de la victoire" ne disait pas autre chose, et ce, dès la couverture avec un superbe "comment, en trois ans, l'aéronautique navale américaine est devenue, définitivement, la plus puissante du monde".
Le deuxième exemplaire à retenir l'attention est celui à l'autre magnifique couverture, pour le numéro de "Pâques 1942". Une pure merveille, y compris en impression, ainsi libellée à l'intérieur : "La formule de l'aile volante a toujours séduit, depuis les premiers termps de l'aviation et dans de nombreux pays, les techniciens de l'aviation. Supprimant tous les organes accessoires dont la présence provoque une augmentation très importante de la résistance à l'avancement, elle doit permettre, pour une même puissance des moteurs, des performances bien supérieures à celles des appareils classiques. Jusqu'à présent, cependant, toutes les tentatives rie réalisation d'avions sans queue avaient dû être abandonnées. La couverture du présent numéro montre une aile volante d'une forme nouvelle qui vient de faire son apparition en Amérique, Il s'agit d'un prototype d'avion de chasse dû à la collaboration d'un constructeur audacieux, Northrop, et d'un savant spécialiste de l'aérodynamique Karman. L'armée de l'air des Etats-Unis s'y intéresserait, et il a même été parlé de construction d'essai en série" . On sait que Northrop échouera, après guerre, même, mais pas faute d'avoir mal dessiné ses ailes volantes : faute d'avoir à bord un ordinateur capable de palier aux réactions d'instabilité inhérente à ce principe, ce que fera parfaitement près de 50 ans après le B-2. On sait également que ce genre d'appareil hantera pendant des années les rêves les plus fous, notamment chez les jeunes, infuencés par un auteur de BD qui s'amusera beaucoup à jouer sur un éventuel "péril jaune" nouveau, muni d'avions en forme d'aile volante et s'attaquant à des bombardiers plus conventionnels, mais à réaction, qui auraient été anglais, ceux-là. L'aile volante rouge d'Olrik contre le "Golden rocket" jaune apparaissent en effet le 28 novembre 1946 dans le magazine "Tintin", et cela résumait en deux dessins seulement l'évolution sidérante de l'aviation depuis ces cinq dernières années marquées par la guerre.
Et dans le même chapitre, signé cette fois Pierre Armont, une excellente analyse des revirements américains appliqués à leur propre matériel, avec un schéma lumineux des modifications importantes apportées au Boeing B-17E, par rapport au modèle C sorti dès 1939 (voir en bas de cet article **). On y distingue clairement les nouvelles caractéristiques qui en feront le succès, et qui manquaient beaucoup à la version initiale : renforcement flagrant des défenses avec multiplication des postes de tirs et des canons, dont deux doubles à l'avant et à l'arrière, et un accroissement certain de la dérive pour lui garder sa ligne de vol dans une atmosphère raréfiée, l'engin évoluant désormais grâce à ses surcompresseurs à 12 000 m de plafond. En trois années, c'est bien cela, les américains avaient appris la leçon des attaques en Europe ou au Japon. L'engin pouvait désormais utiliser véritablement son nom de "forteresse volante", au moment même où chez Boeing on songeait déjà à une "superforteresse" qui serait celle qui finira la guerre. Le chapitre concerné commençait par l'évocation de la "généralisation des blindages" à bord des appareils, et le célèbre B-17, passé de 24 à 27 tonnes, n'y avait pas échappé. Comme pour le lourd Thunderbolt, ou le Hellcat, les américains allaient s'en sortir en augmentant la puissance de leurs moteurs, on l'a vu, grâce notamment à l'usage immodéré du compresseur de type Rateau.
Les japonais y vinrent trop tard, au compresseur de suralimentation. Et encore une fois, ce fut grâce au système de la copie, via l'importation de modèles étrangers. Le Major Jikyu Tanegashima, qui était alors en France et qui contactera ainsi Brown Boveri & Cie AG (BBC), une firme suisse spécialisée pour en faire venir un au Japon, de compresseur, un modèle de la firme BBC, destiné aux moteurs diesels comme aux moteurs d'avions. L'engin fut montré aux quatre firmes Mitsubishi, Nakajima, Hitachi, et Ishikawajima, seule Nakajima décidant de ne pas se lancer dans le domaine. La première en fit un pour le très réussi J2M4 Raiden Model 32, la troisième pour le longiligne Nakajim C6N2 Saiun qu'elle construisait dans ses ateliers . On en a retrouvé la demande officielle au Koukuu Gijyutsu Jouhou Tekiroku (Aviation Technology Information), précise l'auteur d'un site à recommander, qui a aussi retrouvé celui qu'avait faite Ishikawajima... pour le Zero. Le modèle proposé était l'IET Model 4 centrifuge pouvant s'adapter sur un moteur de 500 ch, jusqu'à 1000 ch. Malgré une sortie en température élevée de 700°C, l'engin semblait efficace, le Japon étant passé lui aussi à l'usage de l'acier au chrome et au tungstène souligne toujours l'auteur. Finalement prêt en 1942, le compresseur ne fut pourtant jamais utilisé. Dans un dernier sursaut, les japonais proposèrent avec l'A7M3-J et son dérivé A7M3 Model 23 ("Reppu", pour "Ouragan") un avion de combat "turbochargé", à partir d'un moteur 9KMA, qui avait une vitesse estimée de 650 km/h, à 11 500 mètres d'altitude, de quoi inquiéter sérieusement les B-29. Une sorte de Thunderbolt, de 4 tonnes, mais en plus racé ; et surtout équipé de deux canons de 30 mm en travers de l'arrière du cockpit pour tirer sous les bombardiers, comme les allemands le faisaient avec leur Schräge Musik. Un prototype terminé fut même inspecté par la Navy japonaise... en octobre 1945. Mais il était déjà bien trop tard : le Japon avait signé sa reddition le mois précédent, le 2 septembre 1945, sur le pont du "Missouri", capitulant sans condition, ce qui mettait un terme à la seconde guerre mondiale. On lui avait déjà trouvé un surnom, pourtant, en le modélisant en 3D : c'était bien sûr et obligatoirement le "SuperZéro" !
(*) je reviendrai bien sûr sur ce visionnaire dans un de épisodes, très bientôt je pense.
(**) La page concernant l'évolution flagrante du B-17 de 1939 à 1942 :
Tout sur les avions japonais ici :
Pour la visite complète du "Zero" c'est ici :
http://www.warbirdphotographs.com/WBP/nasm11.htm
http://www.warbirdphotographs.com/WBP/zpark1.htm
http://www.warbirdphotographs.com/WBP/nagoya11.htm
pour tout savoir sur les avions japonais c'est là :
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