La libération (38) : l’Opération Lusty, et les fantômes du cimetière de Freeman Field
Dans la véritable mine à ciel ouvert d'avions rassemblés à Freeman Field, près de Seymour, d'autres avions furent décortiqués et étudiés. C'est là qu'on s'aperçut de l'extrême diversité des recherches allemandes, mais également de leur accélération en fin de guerre qui mena à fabriquer des avions ne répondant qu'à un seul but, et qui, conçus avec les moyens du bord, à savoir une situation de pénurie, produisit surtout des avions dangereux, qui ne purent avoir de descendance, donc (les accidents lors des tests d'évaluation furent nombreux). Enfin, pour une partie, car des avions comme le Me-262 avaient tout simplement révolutionné l'aviation, et la fusée V2 posé les bases de l'astronautique qui mènera les hommes sur la Lune. Mais ce qui avait été amené à grands frais en Indiana n'a pas connu la gloire espérée. Une bonne partie des appareils capturés à tout simplement... disparu ! Elle a été enterrée !
Or, aujourd'hui, en effet, il semble que l'arrivée aux USA des machines apportées par le Reaper, notamment, demeure entourée de quelques mystères. Une étonnante vidéo résume parfaitement le problème qui demeure. Les allemands avaient produit des engins "très en avance sur ceux des alliés" à la fin de la guerre, nous rappelle le reportage, nous l'avons vu abondamment. Des engins "que le monde n'avait pas vu auparavant" indique le commentateur. "Pour les généraux américains", poursuit-il, "le but était devenu clair : s'emparer de la technologie allemande, ou courir le risque de rester loin derrière". Pour cela, on le sait, on l'a vu, on collectera le maximum d'appareils innovants pour les acheminer à Cherbourg, lors de l'opération Lusty. "Durant les 14 mois suivants la victoire, près de 70 appareils ennemis capturés atterrirent à Freeman Field", se rappelle le major Ken Hammer, interviewé dans le documentaire. Selon les responsables du film, "une partie, dont des appareils japonais, ont fini leurs jours dans des musées. Mais 14 manquent toujours à l'appel". Que sont-ils devenus ? Ils ont tout simplement été détruits, et leurs vestiges enterrés, dans le sol, à différents endroits de la base de Freeman Field, pour des raisons que l'on ignore. Résultat, cinquante ans après, la chasse aux trésors enfouis à repris, à grand coups de détecteurs de métaux, la base de Freeman Field ayant été abandonnée il y a bien longtemps. La base ayant été fermée après guerre, cet enterrement de morceaux d'avions a donné des idées à des chercheurs de trésors terrestres qui ont lancé leurs détecteurs de métaux au dessus de la zone, et découvrent régulièrement des vestiges intéressants de ce patrimoine industriel enfoui. Leur liste s'allonge tous les jours et a même envahi....Facebook ! Le chercheur en chef des vestiges s'appelant David Gray. Ce qu'il y a de plus étonnant, c'est de découvrir les pièces exhumées après nettoyage et restoration. Cette année, ils semblent passer à la vitesse supérieure avec l'emploi de photos infrarouges et du radar de profondeur.
Ce qu'il y a de désolant, en effet, historiquement, c'est qu'une fois les avions déclarés inutiles ou sans descendance possible, on les démantibula, et on enfouit leurs vestiges dans le sol, sans autre forme de procès ni regrets. Historiquement, c'est un procédé proprement scandaleux. Quelle était la motivation profonde des gestionnaires de Freeman Field, je l'ignore : toujours est-il que c'était une pratique déjà fort courante et qui se perpétue, encore aujourd'hui, où des prototypes inestimables sont ainsi enterrés, autour des bases américaines, qui regorgent donc de vestiges d'appareils ratés ou ayant connu des déboires au point de s'écraser. Selon le commentaire du documentaire, la majeure partie a fini dans des musées. Pas exactement : sur les trois He-219 rarissimes rapportés, par exemple, un seul a subi ce sort, devenant appareil unique.
"Partis au musée" ? Ce n'est pas sûr. Ainsi le Heinkel 177, bel et bien arrivé en caisses le 16 mai 1946, puis envoyé au Special Depot No. 803 de Park Ridge le 4 Octobre 1946 pour entrer au musée : on ne l'a jamais retrouvé depuis. Remarquez, les français, qui ont pu en avoir plusieurs en mains (dont un trouvé à Châteauroux) n'en ont gardé aucun non plus : il est vrai que sa réputation de "briquet volant" n'a pas aidé à sa conservation, il n'empêche, ses énormes moteurs doubles pour entraîner ses hélices (c'était donc un quadrimoteur à 2 hélices seulement !), la cinétique de son train principal (une roue de chaque côté du moteur, rétractée dans l'aile) en font un objet déjà à part qui aurait mérité d'être conservé. Il n'en subsiste aujourd'hui aucun exemplaire en musée. Idem pour le planeur Gotha 242 capturé en 1944 en Italie : arrivé le 10 Juillet 1946, puis transféré par le Major Floyd J. Sweet, le chef de la partie planeurs de Wright Field, à Park Ridge, d'où il a aussi complètement disparu. Le Me 163B-1a FE-0501, arrivé tardivement le 17 mai 1946 à Freeman Field, y sera directement scrappé pour refiler des pièces au Numéro FE-0500 (Werknummer 191301). Il sera déclaré "irrécupérable" le 17 janvier 1947. Le modèle 503, ramené et restoré le 1er août 1946 fut emmené un jour par Jack Woolams, le Chief Test Pilot de chez Bell Aircraft (sortant ici du X-1 aux côté de Jack Ridley) pour le tester en comparatif, face au X-1 et son moteur de même nature. Woolams se tuant le 30 août 1946 dans son P-39 Airacobra, lors de la préparation d'une fête aérienne, le test n'aura jamais lieu... et on ne retrouvera jamais l'avion !
Un magnifique "Uhu" reçut le même sort : le He-219 SP+CR, qui s'était rendu aux anglais à Grove (près de l'île de Sylt) au Danemark, amené à bord du Reaper, arrivé le 1 aout à Newark était toujours le 17 août 1946 à Freeman Field, fut envoyé en dépôt statique à l'extérieur où il s'abîma rapidement avant d'être scrappé, déclaré irréparable le 17 janvier 1947. Un second, capturé au même endroit et testé par les anglais, arrivé de la même façon fut stocké mais jamais essayé fut lui aussi détruit vers 1947, pense-t-on. Des trois He-219 récupérés à Grove, un seul (celui en meilleur état) atterrira dans un musée ; celui du National Air and Space Museum. Le seul aussi à avoir volé aux USA, comme visible ici sur ce document. L'Arado 234 B-2 FE-1011 du 9. Staffel III. / Kampfgeschwader 76 atterri à Stavanger le 5 mai 1945, jour de la reddition norvégienne, en très bon état, amené à Freeman Field par le Reaper, il était toujours en état en août 1946 fut le seul gardé en état, et refait à neuf récemment. Ces essais s'étaient terminé le 16 Octobre 1946 et l'avion était resté sur le terrain de Wright Field jusqu'en 1947. À l'arrivée des deux avions avaient été remontés pour être évalués en vol par des pilotes de l'USAAF de Freeman Field, à savoir Bob Cardenas et Fred Ascani pour des tests et l'évaluation. Outre le second exemplaire "disparu", un des deux autres arrivés été remonté par la Navy pour les tests, mais il a retrouvé sans entretien il a été laissé à l'abandon, puis scrappé.
Pourquoi a-t-on détruit de tels fleurons de technicité demeure un mystère. A part une gestion administrative frisant l'idiotie (faire de la place dans les hangars) on voit mal pourquoi avoir agi ainsi, et pas chercher à préserver des appareils ayant chacun marqué une étape de l'aviation. Parmi les grands disparus figure un bon nombre de prototypes japonais, Il est étonnant aussi qu'aucun Focke-Wulf 183, parmi les 16 prototypes construits, n'ait été retrouvé. Le complexe Blohm&Voss 155, dont je vous ai déjà parlé existe toujours en revanche, mis en dépôt, démonté, depuis son arrivée quasiment au Paul Garber Restoration Facility à Suitland, dans le Maryland. Soixante-six ans qu'il est là, comme sorti des caisses du Reaper... Là, en compagnie du Me 410 A-3/U-1 et du Ju-388, le Junkers de haute altitude au cockpit proéminent entouré de larges bandes caoutchoutées.
Ceux-là donc ont été stockés. Définitivement, car on ne les a jamais revus après, même si on sait que ceux-là, au moins, n'ont pas été détruits. D'autres on eu un bien meilleur sort. Le Messerschmitt Me P-1101, avait été retrouvé, semble-t-il en plusieurs exemplaires à des degrés d'avancement différents à Oberammergau, et les américains envisageaient donc d'en terminer l'exemplaire le plus proche de l'état de vol. Manque de chance pour eux, lors de son transfert en caisse de bois, une malencontreuse manœuvre endommagea sérieusement le contenu. Au point où en était l'original, les techniciens US améliorèrent donc beaucoup le plan d'origine, dont ils avaient récupéré tous les "bleus", en mettant un réacteur plus puissant, de plus grand diamètre, en agrandissant le cockpit, vraiment trop petit sur l'original, et en récupérant le train sur des appareils courants aux USA. Mieux encore, d'un appareil dont la flèche ne changeait qu'au sol, ils tentèrent de faire un changement en vol. Le problème, c'est que la méthode choisie, un repliage vers l'arrière plus une translation vers l'avant des moyeux d'ailes, pour garder le centrage, était bien trop complexe. Au final, 40% du Me P-1101 aurait été utilisé dans le Bell X-5. Le premier exemplaire finit vola le 20 juin 1951, le second, le 10 décembre de la même année. Un de ses pilotes d'essai devint fort célèbre : c'était Neil Amstrong. Chez Bell, e responsable des projets était un ancien nazi avéré : Walter Domberger. Cela avait-il joué pour pousser le projet Messerschmitt jusqu'à sa réalisation formelle ?
Certains autres avions, c'est différent, ont disparu après accident car ils se sont crashés lors des essais aux USA. Tel le Me-262 amené sur un plateau par la défection de son pilote Hans Fay, le 30 mars 1945, et emmené à bord du cargo Manawska Victory à Cherbourg, pour être délivré au final à Wright Field, où il sera testé le 29 août 1945.Il finira par s'écraser à Xenia, dans l'Ohio le 20 août 1946, son pilote, Walter Mc Auley réussissant à sauter en parachute. Même chose pour le Focke-Wulf 190 qui s'était rendu à Neubiberg, puis avait été envoyé à Rouen, pour arriver le 2 septembre 1945 à Newark, mais qui avait plié son train à l'atterrissage au Greater Pittsburgh Airport, avant de se poser sur le ventre le 12 du même mois sur la route de Freeman. Déclaré irréparable (faute de pièces et de compétence,) il fut scrappé ; lui aussi. Même chose encore pour le Fw 190D-9 FE-0119, qui s'était rendu à la RAF à Flensburget avait été apporté par l'HMS Reaper, arrivé le 1er août 145 à Wright Field, puis envoyé à Freeman le 13, qui aura une fin pitoyable le 22 septembre, avec comme pilote Lt William V. Haynes, qui lors d'une démonstration un peu trop poussée de virage sur l'aile (wingover) devant les pontes de l'Institute of Aeronautical Sciences ratera son coup et se tuera. La queue de l'appareil avait heurté le sol, et l'avion avait rebondi plus d'un 1/4 de mile plus loin, provoquant la mort de Haynes. C'est cette queue, justement, qui sera à nouveau découverte, enterrée, par nos chercheurs de trésor. Le "long-nez" Fw 190D-9FE-0121 qui s'était rendu à la RAF à Flensburg e avait fait le voyage à bord de l'HMS Reaper était arrivé le 01 août 1945 à Newark et avait volé à de plusieurs reprises en 1946 ; faisant de nombreuses démonstrations de vol avant de plier son train le 2 août 1946 et d'être déclaré irréparable... et aussitôt scrappé (alors que toute sa cellule était intacte !
Les anglais ne seront pas en reste, en détruisant aussi des appareils rarissimes. Chez eux, un autre appareil intrigue davantage encore. Une photo surtout rend perplexe. Celle d'une épave, encore immatriculée 0- IBFQ, abandonnée à Farborough en 1946, démantibulée et largement saccagée.
Or le DFS 228, puisque c'est ce qu'il en restait, était un prototype unique de pointe, qui était passé entre les mains du US Air Technical Intelligence Unit de Stuttgart, installé à Ainring. L'engin était un avion de recherche de haute altitude, qui aurait pu, dans sa configuration originelle franchi le mur du son poussé par son Walter HWK 509A-1 (ou A-2). Très innovant, il avait une cabine avant éjectable, idée que reprendra plus tard le X-2 (à part que dans le DFS le pilote était...couché !). Il préfigurait le X-1, plutôt, comme lui il était largué d'un avion porteur, en l'occurence un Dornier 17, à 10 000 mètres d'altitude (32 808 pieds), après 40 vols d'essais, il mettra en marche son moteur-fusée en février 1945. Deux appareils avaient été construits : le second fut détruit à Hörsching en mai 1945, le premier étant celui envoyé à Ainring. Selon certains les vestiges de la version 1 furent envoyés chez Slingsby Sailplanes Ltd. un firme spécialisée dans les planeurs ou les avions sans queue, située à Kirkbymoorside, dans le Yorkshire, qui, un an plus tard proposera un avion de recherches très inspiré du DFS. Chez Slingsby ; il y avait John Carver Meadows Frost comme ingénieur, celui qui avait fabriqué les protos de chez Miles, à majorité "tailess". Il travaillera plus tard sur le De Havilland DH.108 Swallow. Si les anglais ne semblaient pas intéressés par la filière des moteurs-fusées, il semble assez incompréhensible que les américains n'aient pas rapatrié chez eux le DFS pour le comparer à leur X-1 alors en préparation. Auraient-ils oublié certains modèles dans leur rafles ?
Pire encore pour l'énorme Junkers 290, immatriculé A3+HB, du fameux groupe du KG 200, saisi près de Munich, à Riem, exactement le 6 mai 1945, transféré le 9 juillet à Beauvechain-Le Culot (en Belgique, appelé aussi La Bruyère ou Les Burettes), puis à Orly le 19. le même, aperçu le 1 er août 1945 à Freeman, il y restera jusqu'au 25 Septembre 1946... pour y être détruit le 12 décembre ! Un document (voir ici *) attestait pourtant de son "parfait état".. C'était un exemplaire unique siglé ironiquement "Allied Kaput" par lonel Col Watson (enfin, si on excepte un autre, dont il faudra bien vous parler également très bientôt, cité dans le même rapport, parlant d' "only TWO Ju 290 intacts" !). A ce stade, cela devient incompréhensible, même si l'état parfois déplorable des appareils nécessitait de les scrapper : quel gâchis ! L'appareil est visible ici, lors d'une visite de la base où sont exposés ce quadrimoteur, une V2 et même un engin Ohka japonais, entre autres. Le25 septembre 1946 ; il était en visite générale en préparation de vols futurs. Le 12 décembre, il était détruit. Pourquoi donc ? Il n'y a aucune réponse cohérente à cette énigme. Comment, au fait, était-il arrivé là ? En caisses, comme le Heinkel 177 ? Restait encore le second exemplaire, et celui-là, si vous le voulez bien nous en reparlerons après-demain... après être revenu sur d'autres monstres auparavant.
(*) le document attestant du parfait état du Ju 290 de Freeman Field, signé le 3 août 1945 par le colonel Bayward.
Le résumé des différents modèles d'avions en projet ici dans ces diaporamas successifs sans commentaires (avec l'inévitable soucoupe à la fin - regardez bien en "C" à 12'29, on reparlera pour sûr de ce bâtiment "soucoupiste" !) :
A) http://www.youtube.com/watch?v=NY4pEWB3ioo
B) http://www.youtube.com/watch?v=aelxP1KPgsI&feature=related
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