C'est une histoire méconnue de la seconde mondiale, et elle est fort surprenante. Les japonais ont fait montre d'inventivité, tout au long du conflit, allant jusqu'à fabriquer des bombes volantes pilotées ou des sous-marins réduits à la taille d'une torpille, eux-aussi munis de leur kamikazes. Mais leurs scientifiques ont tenté bien d'autres choses encore. Et notamment cette incroyable tentative d'assaillir les Etats-Unis par des... ballons, lâchés au petit bonheur vers la côte Pacifique. Aujourd'hui on sait, et pas seulement avec la scène tordante d'introduction du film de Spielberg (1941 : "it's Hollywood" !) que leurs sous marins s'étaient approchés de la côte Ouest. On sait aussi que des U-Boots allemands ont été retrouvés au fond du Golfe du Mexique, (lors de l'opération "paukenschlag" ou "drumbeat") et que l'armée mexicaine en a attaqué en T-6. Mais ce qu'on sait moins, c'est cette tentative ahurissante d'aller semer la terreur au petit malheur au sein de l'Etat américain à l'aide de ballons lancés à l'aveuglette sur le territoire.
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En 1941, les japonais s'étaient aperçus, comme tous les météorologues de l'époque, de l'existence des courants d'altitude qui seront appelés plus tard "jetstreams". Ils avaient pour ça un grand spécialiste, et ce, dès les années 1920 :
"Oishi Wasaburo, météorologiste japonais des années 1920, a été le premier à quantifier ces courants-jets, et suivant des ballons-sondes près du site météorologique du Mont Fuji. Ooishi mesura une vitesse constante des vents d'ouest au-dessus du Japon entre 1923 et 1925, quelle que soit la saison" nous dit Wikipedia. Désireux de faire connaître sa découverte, le scientifique nippon l'écrivit en espéranto : hélas, ce n'était à l'époque pas plus répandu... que le japonais, dans le monde entier.
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C'est un... pilote américain qui allait pourtant confirmer sa découverte : Wiley Post,
le pilote borgne,un phénomène véritable, recordman d'altitude et du tour du monde en moins de 8 jours en juillet 1933 (7 jours et 18 heures et 49 minutes), qui, lors d'une
autre tentative de record fut pris au-dessus de la Sibérie, le 7 décembre 1934 dans un violent courant aérien qui le poussa littéralement à sa grande surprise jusque Khabarovsk. Or il volait alors à 6 000 mètres de haut, ce qui n'était pas fréquent à l'époque. En Sibérie, son célèbre et magnifique
Winnie Mae rata son atterrissage
de façon spectaculaire, mais il put finir son voyage après réparations. Dès cette année là, les japonais savaient donc qu'un courant aérien d'altitude parti du japon arrivait jusque dans l'Oregon... en mars 1935, Post
le confirmera en volant de Burbank, en Californie, jusque Cleveland, en Ohio, entièrement dans la stratosphère avec
son Lockheed Vega, muni d'un
scaphandre spécial de son invention, en utilisant pour cela le jet stream. Il couvrit ainsi 3275 km en 7 heures et 19 minutes à la vitesse moyenne de 449 km/h, dans un avion qui n'en faisait que 288 au départ ! Au sol, son avion fit à plusieurs reprises du 547 km/h, un record ! Post fut un
pionnier remarquable du vol en altitude : quand
Howard Hughes entreprit en 1938 de faire un tour du monde en
Lockheed Super Electra muni de merveilles de technologie radio, il rendit un hommage vibrant à ce casse-cou innovateur qui en était pourtant démuni. Post était déjà mort trois ans auparavant, le
15 août 1935 lors
d'un crash en plein brouillard
dans un lac près de
Point Barrow, en Alaska, à bord de
son hydravion Explorer. L'accident idiot qui tue les meilleurs.
L'idée d'utiliser ce jetstream était donc "naturelle" chez les japonais, et l'idée de lâcher ces fameux ballons japonais dans le flux d'air d'altitude s'explique aisément. Des ballons rustiques, décrits ainsi par le général de brigade Wilbur, chargé de la sécurité de la côte Ouest : "Au printemps de 1944, les japonais firent, à titre d'essai, un premier grand lâcher avec 200 ballons. Aucun d'eux n'atteignit les côtes des États-Unis. Les premiers ballons qui réussirent à traverser l'océan partirent le 1er novembre 1944. Le 4, je reçus le premier rapport concernant les engins. Ce jour-là, un patrouilleur repéra à la surface de la mer quelque chose qui ressemblait à un grand lambeau d'étoffe. Un marin essaya de hisser cette toile à bord. Il s'aperçut qu'une masse pesante y était attachée. Incapable de la soulever, le marin trancha les amarres, laissant couler les mécanismes et les charges explosives. On ne récupéra que l'enveloppe ; elle portait toutefois des marques japonaises. Avec mes collaborateurs, je compris qu'un nouveau facteur mystérieux et grave intervenait dans la lutte. On mobilisa les services publics. On alerta la Marine et le F. B. I. (Federal Bureau of Investigation), service chargé de la sécurité du territoire. On avertit les gardes forestiers de nous signaler les points de chute des ballons et de récupérer tout engin, ou partie d'engin, qu'ils découvriraient". L'engin découvert avait de quoi intriguer en effet... c'était une arme, qui s'avérera être fort peu coûteuse à réaliser... Une attaque japonaise à l'économie, en quelque sorte, symptomatique d'une fin de guerre difficile pour le pays.
"Une quinzaine s'écoula entre notre première découverte et le repêchage d'une seconde épave. Peu après, un autre ballon, brûlé et partiellement détruit, dégringola dans le Montana, très à l'intérieur des terres. A la mi-décembre, en recoupant les renseignements obtenus, les techniciens avaient déjà déterminé les caractéristiques fondamentales de l'engin. Des dessinateurs en avaient même dressé les plans. Nous devions constater, par la suite, que nous avions vu juste. On expédia les débris qu'on avait pu recueillir au laboratoire de recherches de la Marine, à Washington, et à l'Institut de technologie de Californie. On découvrit ainsi que l'enveloppe de ces mystérieux ballons était formée de plusieurs couches de papier parcheminé réunies par une colle végétale, et qu'elle se montrait plus étanche à l'hydrogène que nos meilleures enveloppes en toile caoutchoutée". L'origine de l'engin fut aussi déterminée... grâce à son sable :
"Après avoir examiné le sable qui servait de lest, des spécialistes désignèrent les cinq endroits du japon d'où il devait provenir. On chargea l'aviation d'effectuer des vols de reconnaissance au-dessus de ces régions. Je ne tardai pas à recevoir les photos d'un des emplacements. Sur les clichés, on distinguait une usine et, à côté des bâtiments, plusieurs sphères de couleur gris perle, sans doute des ballons qu'on était en train de gonfler". Evidemment, l'aviation américaine s'empressa de bombarder ces objectifs.
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On savait donc déjà qu'il s'agissait d'une forme de bombardement des USA assez pernicieuse... restait à en trouver un intact, ce qui ne tarda pas non plus .
"Peu de temps après, l'une de ces sphères grises apparut dans le ciel à proximité d'une ville de l'Ouest. On chargea un pilote de l'armée de l'air d'amener à terre l'engin intact. Il le « souffla » vers la campagne en le prenant à plusieurs reprises dans le vent de son hélice. Ces souffles d'air répétés secouèrent tellement le chargement que la soupape finit par se déclencher ; l'hydrogène s'échappa, le ballon perdit peu à peu de l'altitude et vint se poser doucement. Le mécanisme permettant de lâcher les bombes s'était fort heureusement enrayé et le spécimen fut trouvé en parfait état. Nous avons appris, plus tard, que chaque ballon coûtait 800 dollars environ. Le lest comprenait près de 30 sacs de sable de 3 kilos ; si le ballon venait à descendre au-dessous de 10 000 mètres, un système de bascule solidaire d'un baromètre libérait un sac. Une autre commande automatique ouvrait une soupape pour laisser fuir un peu d'hydrogène quand l'aérostat dépassait 11 500 mètres. Chaque ballon transportait trois ou quatre bombes, dont au moins une incendiaire. Les autres étaient des bombes dites antipersonnel, pesant une quinzaine de kilos. Le dispositif de lâcher opérait après la chute de tout le lest ; les japonais pensaient qu'à ce moment le ballon devait survoler le continent américain"... machiavélique engin !
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Le danger pouvait être pire en effet.
"Un ballon doté d'un émetteur de radio accompagnait chaque groupe d'aérostats chargés de bombes. Les signaux lancés permettaient de suivre leur formation à travers l'océan. Pour être sûrs que ces repères atteindraient l'Amérique, les japonais fabriquaient leurs enveloppes en soie caoutchoutée. Ils jugeaient sans doute que l'hydrogène se diffuserait moins vite à travers ce tissu. Leur calcul se révéla faux. Seuls trois ballons de ce type atteignirent, en effet, les États-Unis. Après avoir récupéré quelques ballons, nous avions conclu que, si les bombes explosives ne représentaient pas un grand péril, les bombes incendiaires constitueraient un grave danger pendant la saison des incendies de forêts, sur la côte occidentale des États-Unis (c'est-à-dire du début de juillet à la fin de septembre). L'Amérique avait besoin du bois de ces forêts. Pour les protéger, on organisa des équipes de pompiers parachutés travaillant en liaison avec les services forestiers réguliers et certaines ligues privées contre l'incendie. La défense n'en restait pas moins très précaire. En outre, les ballons pourraient répandre toutes sortes de germes pathogènes nuisibles aux cultures, au bétail et même à l'homme. On fit appel au service de santé et aux vétérinaires, puis aux directeurs et professeurs des instituts agronomiques. En vue d'une décontamination éventuelle, on décida d'entraîner des équipes spécialisées et de constituer, en des points stratégiques, des dépôts de vêtements, de masques et de produits chimiques. De plus, on recommanda aux fermiers d'aviser les autorités à la moindre maladie suspecte du bétail".
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Les japonais en lanceront près de 9 000 quand même. Pour ne pas affoler la population, les médias américains furent tenus au silence par l'armée américaine. Ce qui eût une conséquence tragique. Les 9 000 ballons lâchés ne servirent à rien et n'eurent en effet aucun résultat tangible, à part ces 6 américains, cinq enfants de 11 à 14 ans et une adulte de 26, tués lors d'un pique-nique, à Blye, dans l'Oregon, le 31 mai 1945. Un des gamins avait essayé de détacher le ballon resté accroché à un arbre et avait fait exploser l'une des mines attachées à l'engin mortel. Une stèle, élevée à l'emplacement du massacre r
appelle le tragique événement. Plus que la technique, c'est plutôt l'obstination japonaise qui est à noter. L'affaire s'arrêta brusquement, sans que les américains ne sachent tout de suit pourquoi. "
Soudain, à la fin d'avril 1945, l'invasion de ballons s'arrêta. Croyant à un échec, les japonais avaient-ils interrompu l'attaque ? Ou n'était-ce qu'une accalmie trompeuse ? Des semaines et des mois passèrent. La solution du mystère, je l'obtins trois ans plus tard, au cours d'une visite au japon, lorsque je m'entretins avec le général Kusaba qui avait dirigé la campagne des aérostats. Il me dit qu'on avait lâché en tout 9 000 ballons et que les japonais évaluaient à 10 % la proportion des engins devant atteindre les États-Unis et le Canada. La nouvelle du premier atterrissage dans le Montana parvint au japon.
Mais après cela, la presse et la radio gardèrent un silence absolu ; il n'y eut jamais que cette seule confirmation. L'état-major japonais s'en prit alors au général Kusaba et lui reprocha de gaspiller des ressources qui diminuaient à vue d'oeil. Puis, vers la fin d'avril, le général Kusaba reçut l'ordre de suspendre les opérations. L'état-major avait prononcé son arrêt : « Ces ballons ne parviennent pas en Amérique. Sinon, les journaux en parleraient. Les Américains ne pourraient jamais garder si longtemps un secret." Les cinq gamins et leur adulte accompagnateur morts dans l'indifférence maintenue avaient d'une certaine manière sauvé l'Amérique d'un plus grand malheur encore... parfois, la censure a du bon. Une vidéo, visible ici, ré
sume assez bien l'affaire. Seules quelques coupures de presse avaient évoqué les attaques.
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Une autre tentative d'aller bombarder l'Oregon aura été tentée auparavant par avion : celle de Nobuo Fujita et de son observateur Shoji Okuda, à bord de leur petit
hydravion Uokosuka E14Y1 (Glen),
lancé par catapulte (?) par le
sous-marin I-25. L'appareil avait les ailes, la queue et les flotteurs démontés dans un coffre oblong sur le pont, remonté à l'aide d'une grue et fixé ainsi à la catapulte. Une opération complexe qui devait être faite rapidement. Un
autre avion et un
autre sous-marin, l'I-400, furent envisagés pour attaquer les USA, un projet qui n'aboutira pas malgré la
réalisation des avions et du
sous-marin *. Un projet b
eaucoup plus élaboré, visant le canal de Panama ! Les alliés n'en capturèrent qu'un seul de Seitan, les autres ayant été sabordé dans l'opération qui fut un fiasco (j 'y reviendrai plus loin en détail). Il est aujourd'hui au musée
Steven F. Udvar-Hazy Center, à Chantilly, en Virginie. Nobuo Fujita s'excusa publiquement pour son bombardement, après guerre. Des remords sincères, l'homme faisant le voyage sur les lieux : à sa mort, une partie de ses cendres furent même dispersées au pied de l'endroit.
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L'avion de Fujita attaqua lui le 9 septembre 1942 la crête de Wheeler, près du mont Emily (à l'est de Brookings). L'idée était de lancer une bombe de thermite, incendiaire, qui aurait mis le feu à la forêt de l'Oregon, la même chose que ce qui avait été tenté par les ballons. La technique fut un échec encore une fois, la forêt ne s'embrasa pas. L'I-25 de Fujita fut après son retour attaqué par un navire de patrouille US et dût se réfugier sur le fond du port d'Ortford. L'attaque était la maigre réponse japonaise à celle de du 18 avril 1942, de Doolittle, et eut en ce sens une grande publicité au Japon. Le sous-marin porteur I-25 fut coulé un an après par
l'USS Patterson (DD-392) au large des Nouvelles Hébrides le 3 septembre 1943. En réalité, que ce soit pour la tentative de Fujita ou celle des ballons d'altitude, les japonais... s'étaient tout simplement trompés de saison : les ballons avaient été lâchés de septembre 44 à avril 45 ! La neige de l'hiver avait empêché les feux de forêt ! Un ou deux mois plus tard encore, et les forêts de l'Oregon auraient été assez sèches pour s'embraser, si les
engins avaient été plus nombreux et s'ils n'avaient été munis que de bombes incendiaires ! Le lieutenant General Reikichi Tada, du Japanese Military Scientific Laboratory, à l'origine de l'idée démente,"planait" décidément trop haut : il avait oublié qu'il y avait des saisons (on évoqua aussi longtemps comme "inventeur" du procédé un dénommé Toshiro Otsuki, qui se serait suicidé après guerre) ! Mais les japonais avaient trouvé la solution : la prochaine fois, se sera à nouveau en avion. Toujours amené sur place par un sous-marin. Mais de taille radicalement différente cette fois....
Le procédé ne tombera pas totalement dans l'oubli, les américains refaisant de même dans les années 50, comme nous l'avons vu lors des trois épisodes consacrés à l'affaire de Roswell...
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Ouvrage de référence :
"Dans les coulisses de la guerre secrète
1939-1945", Selection du Reader's Digest, 1965.
le site fondamental sur la question
une très bonne vidéo ici, avec même une vidéo de bombe filmée en vol !
idem ici :
sur l'attaque de Fujita
Sur l'i400 et le Seiran voir le reportage ici du "National Geographic". "L'arme suprême" de Yamamoto : mettre un bombardier à bord d'un sous-marin... qui rappelle le raid de Fujita.
suivre les épisodes 'offensive japonaise" "mission I-400"....superbe et passionnant ! on y parle surtout "d'armes de destructions massives" !
* en France, le Surcouf y songeait aussi..