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Accueil du site > Tribune Libre > La liberté d’entreprendre est-elle absolue ?

La liberté d’entreprendre est-elle absolue ?

Jouir de ses initiatives, oui, mais pas à n’importe quel prix. Le couple liberté d’entreprendre et droit de propriété enfante le progrès, clament ses défenseurs. C’est un couple prêt à jouer les Bonnie and Clyde qui n’hésite pas à se servir au détriment des autres, répliquent ses adversaires. Sa seule morale : ne pas se faire prendre.

Vous connaissez le matras capitaliste : laissons à chacun la possibilité d’entreprendre sans contrainte et de jouir de ses biens en toute sûreté, et la collectivité ne pourra qu’en sortir gagnante.

L’entrepreneur, cet obscur héros de la mythologie capitaliste

John Meynard Keynes a dit un jour que le désir d’entreprendre s’explique par la soif innée de l’homme d’agir. Derrière ce désir légitime peuvent cependant se profiler d’autres motifs moins nobles.

Il faut lire le chapitre Qui a perdu la Russie  ? dans le remarquable ouvrage de Joseph Stiglitz, La grande désillusion. Stiglitz y décrit le comportement prédateur des oligarques russes, cette première génération de grands entrepreneurs post-communistes, et conclut que ces nouveaux voleurs ont considérablement appauvri leur pays, à la différence des robber barons des États-Unis.

Je sens une question venir à votre esprit si perspicace, brillant lecteur  : est-il légitime de s’enrichir en trichant, du moment que cela enrichit aussi la société ?

Vous venez de mettre le doigt sur un problème fondamental : en affaires, voler autrui sans se faire prendre est plus souvent glorifié que méprisé. Il en est ainsi autant des individus que des pays qui obtiennent à vil prix ce qu’ils veulent. Au nom de la liberté !

L’homme est-il fondamentalement profiteur ?

Belle question. En fait, c’est sans doute comme aux cartes : peu tricheraient volontairement, mais encore moins l’avoueraient à l’adversaire s’ils voyaient son jeu par inadvertance.

Imaginons un instant les producteurs américains de coton disant à ceux d’Afrique : nous faussons le marché mondial du coton depuis des années mais nous sommes prêts à vous dédommager afin de réparer notre faute.

Imaginons tous les gens qui se sont enrichis en trichant, ou en profitant de la faiblesse des autres, reconnaître le tort qu’ils leur ont causé.

Aussi bien croire que l’aigle va déposer gentiment des grains sur le sol pour nourrir la souris.

L’aigle n’a pas l’impression de profiter de la souris qu’il attrape dans ses serres. Il ne fait que ce que sa condition d’aigle lui commande.

Que commande la condition de l’homme ?

Être totalement libre d’entreprendre et de profiter des fruits de son entreprise, est-ce vraiment là n’accomplir que ce que notre condition humaine nous commande ?

Être riche de notre entreprise sans se demander si notre enrichissement n’appauvrit pas autrui ; être riche en sachant parfaitement que nous avons pour cela appauvri autrui ; quelle différence ?

Nul ne peut constamment traquer ses moindres gestes qui nuisent involontairement à autrui.

Mais tout individu qui répond à l’appel du désir d’entreprendre peut s’engager à faire de la dignité humaine et de l’équité sa motivation profonde.

Aventuriers pour aventuriers, je préfère nettement Pierre et Joëlle à Bonnie and Clyde.


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1 réactions à cet article    


  • colza 25 août 2005 18:38

    Merci pour votre contribution que j’ai lue attentivement, ainsi que l’article du Monde Diplo cité en lien. Un passage de cet article, relatif au commerce équitable, m’a beaucoup frappé « Et pour ce faire, il convient de mettre en place un système éliminant au maximum les intermédiaires entre producteurs-vendeurs et acheteurs finaux, déterminer un prix d’achat supérieur le plus souvent à des cours mondiaux n’ayant guère de rapports avec les conditions sociales de production, » Mais c’est, pour autant que je sache, ce que vivent les agriculteurs français (en particulier les producteurs de fruits et légumes) qui ne s’en sortiraient pas s’il n’avaient pas les subventions européennes pour les aider.

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