La liberté de la presse va-t-elle jusqu’au droit à appeler au génocide ?
Les services de presse, de radiodiffusion et de télédiffusion peuvent-ils être des cibles de guerre ?
Dans une tribune du Monde du 5 septembre, Pierre Veilletet et Bruno Ménard, respectivement président et secrétaire général de Reporters sans frontières, fustigent les bombardements de l’armée israélienne sur les centres de retransmission d’Al-Manar, la chaîne officielle du Hezbollah. Et d’ajouter : « ...le droit international humanitaire précise que la propagande, inhérente à tout conflit, a pour but de soutenir le moral de la population et ne peut être considérée comme un objectif militaire.
Les « médias de propagande » ne remplissent en aucun cas des critères comme la « contribution effective à l’action militaire »... » . On se questionne : a-t-on mal lu ? La propagande ne serait-elle plus une composante intrinsèque à toute agression, à l’heure des mass media ? Goebbels, ministre de la propagande du IIIe Reich, peut-il être considéré comme un civil, accomplissant un acte civil, dans des objectifs purement civils ? On tente alors de reformuler la phrase de MM. Veilletet et Ménard en une tournure plus acceptable : « La propagande est une activité relevant du domaine civil pourvu que ses objectifs se limitent au soutien moral de la population et ne contribuent pas effectivement à l’action militaire . » Voilà qui semble plus raisonnable. Mais tel n’est pas le cas d’Al-Manar, qui ne se contente pas de faire proclamer la victoire du Hezbollah par son leader camouflé dans un bunker, ou d’acclamer « l’écrasement de l’ennemi sioniste » - tout cela relevant dudit « soutien moral » - mais appelle également à l’extermination des juifs, à la disparition d’Israël et à la guerre sainte contre le monde judéo-chrétien ; et ces velléités génocidaires ne passent pas uniquement par la diffusion de programmes pernicieux, tels que Le Cavalier démonté, feuilleton de fiction qui mettait en évidence d’existence des Protocoles dessages de Sion et le meurtre rituel par les juifs (qui auraient besoin de sang chrétien pour fabriquer le pain azyme), mais font également l’objet de formulation claires, dans les termes évoqués plus haut, pendant des bulletins d’information qui n’ont rien de fictionnel.
Ceci ne serait pas un acte de guerre ? Il existe des précédents à cette attitude de RSF, qui consiste à défendre tout ce qui porte l’étiquette « média », à faire passer les entités d’information pour inviolables. Pendant la guerre du Kosovo, le milieu journalistique a poussé des hauts cris lorsqu’un bombardement américain a détruit les bureaux de la télévision serbe de Belgrade. Les multiples appels à « éliminer les Albanais » (les populations albanophones du Kosovo) et la glorification de l’armée serbe durant les massacres étaient apparemment passés à la trappe, au profit de l’« immunité journalistique ».
Dans la tribune, nos défenseurs de la presse rappellent cet événement, fort mal à propos puisqu’il fait encore une fois l’objet d’une défense. De même, après le génocide au Rwanda des Tutsis par les Hutus, RSF a longtemps défendu les émissions de la RTLM, celle-là même qui a popularisé l’expression « cancrelat » pour désigner un Tutsi, ainsi que les écrits racistes, puis négationnistes, de leur correspondant, le Père Blanc Guy Theunis. Récemment, dans une interview à Serge Farnel de la MENA, Jean-François Julliard de RSF a reconnu avoir mal jugé cette radio, reconnu également que brouiller ses émissions aurait peut-être atténué le génocide, ou en tout cas limité les messages de haine et les appels au meurtre (cf. fin de l’article).
En 1992, RSF avait en effet protesté contre l’éventualité de la présence d’une mesure de brouillage dans la mission de l’ONU au Rwanda. L’opinion parfois démesurée que les journalistes ont d’eux-mêmes en période de guerre n’est pas nouvelle : tantôt ils s’improvisent diplomates, revendiquant le droit de « tout savoir », et l’immunité, et se plaignent par la suite lorsque, ayant enfreint des consignes militaires, ils se retrouvent exposés au danger ; les enquêtes internes aux différentes armées mises en cause concluent souvent à l’imprudence, particulièrement au Moyen-Orient qui concentre le plus grand nombre de reporters de guerre ; tantôt ils revêtent l’habit de héros, comme lors de la guerre du Kosovo, où les reporters passaient devant la caméra pour jouer le rôle tout à la fois de secouristes, de reconstructeurs et... de journalistes (lire à ce sujet Les masques de guerre, essai du géographe Cédric Allmang).
Il arrive ainsi qu’une association telle que RSF, dont les objectifs premiers sont éminemment respectables (défendre la liberté de la presse et les droits des journalistes), et qui effectue par ailleurs un travail exempt de reproches dans bien des cas, se retrouve à défendre l’indéfendable - l’appel au meurtre, l’appel au génocide - au nom de la liberté de la presse. En 1940, lorsque le Maréchal Pétain accéda aux fonctions suprêmes, sa participation au génocide des juifs n’était pas encore flagrante. Cependant, dès l’été 1940, l’incitation à la haine raciale par voie de presse cessa d’être punie, ouvrant la route aux pamphlets haineux d’un Céline ou d’un Brasillach - pour ne pas citer les plus obscurs et les plus ignobles. Là comme au Rwanda, un peuple se vit assimiler à des insectes, à des bêtes nuisible. La Résistance ne s’y trompait pas : « Radio-Paris vous ment, Radio-Paris est allemand », disaient-ils, considérant à juste titre qu’un média contrôlé par des forces politiques en guerre est nécessairement un outil de guerre contre les ennemis de ces forces. Il existe une différence indéniable entre la transmission d’informations, même idéologiquement marquées, la promotion d’un système totalitaire et destructeur par essence, et enfin l’appel au meurtre.
La première est essentielle à la démocratie, la deuxième est parfois acceptée au nom de la démocratie mais met celle-ci en péril, le dernier lui est néfaste et contraire. La liberté de la presse ne doit pas devenir le droit absolu de dire tout et n’importe quoi ; et si, comme dans le cas d’Al-Manar, un organe de presse porte atteinte au droit à la vie de personnes, au droit à l’existence de peuples, au droit à la sûreté d’Etats - tout cela au pluriel, car Israël n’est pas seul concerné - n’est-il pas du devoir de ces personnes, de ces peuples, de ces Etats de se défendre comme face à n’importe quelle agression, jusqu’à la reddition ou la neutralisation du média en question ? N’est-il pas du devoir des personnes extérieures au conflit ou se croyant telles - car la France n’est pas épargnée par les prêcheurs de haine islamistes - de s’opposer à de tels médias, particulièrement lorsqu’elles sont elles-mêmes journalistes et soucieuses de la déontologie et de l’honneur de leur profession ? Défendre le droit à l’appel au meurtre, c’est se rendre complice et de l’appel et des meurtres qui en résultent ; et lorsqu’on fait autorité dans le domaine des médias, la responsabilité est double. Après le Rwanda, après le Kosovo, ces messieurs de RSF ne devraient jamais l’oublier. Les médias concernés, eux, ne se trompent pas en développant des systèmes de diffusion alternatifs camouflés dans des blockhaus. C’est dire la valeur tactique et stratégique que prend l’information dans les conflits modernes, valeur bien comprise et maîtrisée par les islamistes.
NDLR - Suite à cet article RSF a apporté des éléments de réponse dans le commentaire ci-dessous :
"Bonjour,
Je suis directement mis en accusation dans cet article, donc je vais
vous répondre. D’abord, je n’ai jamais reconnu avoir mal jugé la
Radio-télévision libre des mille collines. Moi, comme RSF en tant
qu’organisation n’avons jamais eu de doutes sur la nécessité de
condamner de manière virulente les propos tenus sur cette radio.
L’article est donc totalement faux quand il prétend que RSF a
« longtemps défendu les émissions de la RTLM ». Non seulement, nous
n’avons jamais défendu cette radio, mais nous avons même porté plainte
contre ses animateurs (plainte qui a été jugée irrecevable par la
justice française à l’époque parce qu’il s’agissait d’une affaire
rwandaise). Nous sommes les seuls à l’avoir fait. Nous avons même
établi une liste complète des principaux animateurs de la RTLM que nous
avons remise à la justice. Alors, svp, ne venez pas nous donner des
leçons concernant la RTLM.
Concernant Guy Theunis : il n’est pas un révisionniste ni un
négationniste. Bien au contraire. Il a fondé, en 1992, une association
de défense des droits de l’homme au Rwanda qui a été la première (et
quasiment la seule) à dénoncer le génocide (et il a bien utilisé le
terme de génocide) de la population bagogwe (proche des tutsis) dans le
nord-ouest du pays. Donc, bien avant le génocide de 1994 il était l’un
des seuls à dénoncer les massacres contre des poches de population
tutsies dans le pays.
Pour ceux que ça intéresse j’ai une copie de tous les fax que Theunis
a envoyés pendant les premiers jours du génocide (avant qu’il soit
contraint de quitter le pays) et s’il n’emploie pas cette fois-ci le
terme de génocide, il dénonce des massacres planifiés de grande
ampleur. Pour avoir un autre point de vue que celui de Metula News
Agency, vous pouvez lire notre rapport d’enquête :
http://www.rsf.org/article.php3?id_article=15502
Cordialement,
Jean-François Julliard
RSF
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