La loi de Moore
Ah, ce qu'il manque déjà ce Gary Moore ! Ses fulgurances, ce son à la fois lourd et si cristallin, d'où le sortait-il ? "De ses doigts" avait noté avec humour un humble posteur, ici-même, qui avait reconnu que même avec le même matériel, il n'était jamais arrivé à sonner pareil. Il est vrai que notre Gary disposait d'une agilité hors norme, succombant régulièrement à son pêché mignon de guitariste issu du monde du hard-rock, à savoir les trémolos et les glissandos ou le "hammer" (*). Mais au delà de ce que côté un tantinet esbroufe, il y avait une réelle quête du "bon" son. Gras, lourd et chaud quand il le fallait, léger, aérien et pur comme du cristal quand Gary en avait décidé. Le guitariste irlandais laissait s'exprimer sa guitare à sa place : en deux notes, on savait s'il était joyeux ou malheureux. Un bluesman, un vrai. Retour sur la quête du Graal musical auquel Gary Moore a consacré sa vie, en nous gratifiant de morceaux fabuleux. Retour sur l'alchimie moorienne, celle non pas d'un seul type de guitare, mais bien de plusieurs maîtresses d'acajou, d'érable, de palissandre et d'ébène, avec lesquelles il aura passé une grande partie de sa vie.
Pour découvrir l'incroyable son de Gary Moore, faisons tout d'abord un détour sur son arsenal musical. Sans être particulièrement collectionneur, (quoique ?) Moore avait quand même accumulé quelques belles pièces tout au long de sa longue carrière (démarrée fort jeune !), qu'un site avait affiché un jour dans son intégralité du moment. Une particularité s'échappait tout de suite de cette liste : dedans, pas d'engin surévalué ou de folie des grandeurs. Moore se faisait certes fabriquer des séries spéciales, mais ne se faisait pas imposer un matériel par une marque (même si c'était officiellement quelqu'un de lié à Marshall, car on l'a vu poser et jouer avec toutes sortes de guitares. Entre la publicité et les goûts propres, il y avait une marge, chez lui. Quand il avait envie d'en changer, il se rendait dans un magasin de quartier, essayait longuement et ressortait en payant de ses deniers, au grand dam du commerçant qui l'avait reconnu et espérait en tirer davantage de publicité qu'un cliché à la sauvette. C'est ainsi encore qu'il avait acheté deux petits amplis, un Marshall MG10, et un Vox AC4TVH quelques heures avant un concert à Liverpool en octobre 2009. Deux heures après il faisait le bœuf avec sa nouvelle acquisition dans un obscur club... débitant les standards : Moore adorait tout simplement jouer, jouer, et... jouer. Entre amis, discrètement, comme ici avec Buddy Whittington (dela formation actuelle de John Mayall). Ce n'était pas la première fois qu'ils jouaient ensemble. C'était avant tour un homme extrêmement simple et entier. Un jour, on lui a demandé ce qu'il voulait qu'on garde comme image de lui-même s'il disparaissait. Il avait répondu "un mec qui n'apporte pas d'emmerdes"... tout Gary Moore est là : véritable bête de scène, dans la vie courante c'était quelqu'un de plutôt tranquille et d'introverti et, avant tout, au contact facile, ce que tous les tourneurs vous diront : Moore était lui-même le fils d'un organisateur de spectacle, ceci explique peut-être cela ! Signer des autogaphes (de la main gauche, car c'était un gaucher jouant de la guitare comme un droitier !) ne l'importunait pas, tout au contraire (ici en Hongrie, pour un festival de motos !).
Comme tout guitariste à succès, Moore s'était pris à accumuler les guitares, bien qu'au regard de sa longue carrière, il n'a pas sombré totalement pour autant dans la collectionniste absolue (quoique ?) ou non plus devenu un garagiste de guitares à la Eddie Van-Halen, qui tapissait parfois le fond de son garage de ses tests d'expériences de rembobinages de micros et d'essais de vibrations : "une (...) idée intéressante qu'a révélé Eddie dans le N° d'avril de Guitar Player en 1980 et qu'il plongeait un bon nombre de ses micros dans la paraffine pour réduire le bruit de feed-back. L'idée était que la cire de paraffine empêchait le mouvement subtil des enroulements qui provoquait le retour. Il a admis en avoir flingué une bonne paire de micros, avec ce processus car la cire brûlait parfois dans les bobinages lorsque les micros étaient laissés à tremper pendant une trop longue période ". Vous parlez d'une cuisine ! En prime, Eddie Van Halen collectionnait vraiment les "grattes" et imposait ses haut-parleurs Célestion (anglais) dans ses baffles.
Pour Moore, c'est un peu différent. Dans un étonnant petit document vidéo datant de plus de vingt ans maintenant, Gary Moore, invité de l'émission à tendance pédagogique et humoristique du samedi matin, "N°73" avait fait la visite de sa collection personnelle, dont la liste s'affiche ici en photo : en somme, l'étalage des 25 guitares qui ont compté pour lui. La visite commençant obligatoirement par la plus fameuse de toutes : une guitare Les Paul Standard de 1959, numérotée 9 2308, achetée d'occasion par Peter Green, 110 livres seulement chez Selmers, en plein centre de Londres en 1966. Moore la présentant en jouant quelques notes d'Albatross, de Green et enchaînant sur "l'hymne" Parisienne Walkways.... Une guitare aux mécaniques changées depuis pour des Spertzel. Une guitare au son cristallin, en raison d'une erreur de remontage de micros : le micro le plus près du manche avait vu ses aimants remontés à l'envers par un technicien de la Leeds School of Music, si bien que lorsque Green actionnait les deux micros en même temps, ils se retrouvaient hors phase, donnant cette incroyable tonalité. Green l'associait aussi avec un ampli Orange, qui n'était pas non plus pour rien dans sa marque de fabrique.
Si vous regardez bien l'un comme l'autre en jouer, vous verrez que le petit commutateur marqué Rhythm (pour le micro grave côté manche-plus "grave") et Treble (pour le micro aigu côté chevalet, plus "aigu") est bien au milieu en effet pour les morceaux de cristal "à la Green" ! Electriquement, ça devient déjà plus complexe en effet. En juillet 2007, Gary Moore décide de résoudre définitivement le problème des micros hors-phase en décidant de se fournir chez Bare Knuckle, qui vient alors de proposer un micro nommé Bare Knuckle Pickup PG le "P" et le "G" étant bien entendu pour "Peter Green". Pour arriver au mieux au même résultat, les petits malins de Bare Knuckle étaient tout simplement entrés en contact avec le luthier maladroit qui avait commis le précieux outrage plus de 30 ans auparavant... Au départ, Green aurait voulu carrément se passer du micro de grave, paraît-il !
La guitare n'appartient hélas plus à Gary Moore, qui s'est fait semble-t-il escroquer lorsqu'ayant des ennuis de santé en 2004 et devant régler une note d'hospitalisation géante (il s'était tapé une maladie nosocomiale, et l'Angleterre étant fort démunie côté assurance maladie, il avait payé le prix fort !) il s'est vu contraint de la mettre en vente, en certifiant bien que l'acheteur ne pourrait ensuite en faire commerce : or elle a atterri chez un revendeur, Phil Winfield, de Maverick Music US, qui depuis a fait monter les enchères sur l'engin. Certains parlent aujourd'hui d'une valeur d'un demi million de dollars sinon davantage... En mars 2007, il l'exposait dans un show à Dallas, comme une véritable relique, histoire de faire monter un peu plus les enchères. Le "pauvre" Moore, ayant dû annuler des concerts, il avait dû en effet aussi rembourser les tourneurs ! Une sombre histoire qui n'est pas vraiment à l'honneur de la musique ! Le son de cet engin, c'est celui que l'on peut entendre ici chez Green, et là chez Moore. C'est avec elle que Green a créé "Black Magic Woman", que beaucoup trop pensent être de Carlos Santana, qui l'avait certes immortalisé (avec quelle version !). L'imitation du son de Green est allée loin chez Moore, comme avec cette version de l'hymne Greenien qu'est "Need Your Love So Bad" (le premier "carton" en 45 tours de Peter Green, ici par Green et là par Moore, avec de vrais violons ! Green le faisant à la Fender pour la vidéo ! A noter que Moore l'a aussi joué avec une Gibson ES-355, une TD/SV datant de 1960 (avec laquelle il jouait "Cold Black Night", joué aussi à la Fender), le "grain" du morceau devenant nettement différent. Tout en disposant aussi d'une ES-335 datant selon lui de 1964 et avec lequel il a notamment enregistré "Have You Heard" : sa Charvel-Strat, montée en micros PAF (pour "Patent Applied For", le brevet de Gibson), elle sonnait elle aussi "un peu comme une Gibson" en dit Moore dans "Vintage Guitar". Le micro dit PAF est en effet le tout premier micro double bobinage -humbuckers- créé par Seth Lover pour Gibson en 1957... sur l'album de 2007 on entend bien ce son ayant un volume moins élevé que les micros actuels. Et sur la pochette de "Back To The Blues", sorti le 12 mars 2001, la guitare avec laquelle il joue sur le quai de gare est bien une...ES-335.
Moore ayant perdu la Gibson de Green, joue aussi sur sa remplaçante : une autre Gibson Les Paul Standard de 1959 toujours, numéro 9 2227, datant de 1989, aux caches de micros enlevés et aux mécaniques signées Grovers et un chevalet ABR-1, celle avec laquelle il a enregistré l'album "Still Got The Blues" notamment et avec laquelle il a joué abondamment sur scène ces dernières années. C'est celle-là qui figure sur l'album éponyme, qui marquait son grand retour au Blues avec sa pochette recto- verso toute empreinte d'une douce nostalgie. Plus tard, il jouera à nouveau avec cette notion, mais en y ajoutant... un Imac, pour afficher la photo d'Hendrix à la place du poster. Sur la pochette, figure sa ES-355TD SV, reconnaissable à son bouton "varitone". A Montreux, en 2007, il joue sur un autre modèle encore, type Sunburst, c'est en fait une rarissime Heritage H150CM fabriquée spécialement pour lui avant son modèle "Signature", montée en micro EMG 81 monté en "bridge" (près du chevalet) et un micro PJ Marx près du manche. Si l'une d'entre elles paraît plus neuve encore, selon lui, c'est qu'elle provient de la "Gibson Artists Department", pour laquelle il affirme avec humour "l'avoir volée" chez eux : un cadeau de la société Gibson en fait, dont il était un des meilleurs représentant de commerce à vrai dire. Il avouera tourner avec quatre Gibson LesPaul (ou apparentée, comme l'Heritage) dont une ou deux au moins toujours avec les micros hors-phase. L'une est une Standard de 1958 achetée en 1991, N°8 6742 montée en mécaniques Kluson, l'autre est une "Gold Top" de 1957 achetée en août 1991, portant le numéro 7 0139, ayant gardé ses caches micro et à laquelle Moore a remis les pourtours de plastique crème. Toujours en mécanique Kluson, fournisseur original de Gibson... et des LesPaul (parfois c'est une obligation, la formule du plastique employé sur les modèles pour les clefs à partir de 1959, justement, se délitant avec le temps !).
Moore était donc très attaché à ce système "classique" de vis sans fin et sur ces manches aussi, il avait tendance à changer les frettes pour des modèles "Jumbo".... A quoi tient un son et un style, me direz-vous : à toute une suite de détails et d'habitudes de jeu, à vrai dire ! N'importe quel guitariste vous le dira : le bon son, c'est avant tout une suite de petits détails à soigner ! L'une d'entre ses "grattes" amoureusement entretenues interprétant ici un "Don't Believe a Word" de toute beauté, célébrant une dernière fois la période Thin Lizzy. Pour ce qui est d'une des Gibson "Sunburst" détenue, une histoire sordide avait été racontée par Ronnie Montrise de l' Edgar Winter Group en 2009, qui clamait qu'il avait eu sa guitare provenant de J-Geils volée en 1972 lors d'un concert et qu'il l'avait vue dans la collection de Moore, s'en était plaint et Moore n'avait pas répondu à ses appels. Gary Moore n'ayant jamais tourné aux USA, avait-il racheté cette guitare ailleurs, ou était-ce bien la même, nul ne le sait : sa réponse lors de l'interview sur ce soi-disant "vol" en disait assez long semble-t-il sur ce qui semblait bien être un racontar !
Dans la petite vidéo, après avoir présenté sa Gibson Junior de 1955 de Steve Jones des Sex Pistols (qui sonnait déjà fort pour l'époque !), puis une Gibson S5 ayant appartenu à Greg Lake (de ELP ; avec qui il jouera), le voilà qui empoigne sa copie de "Strat" signée Charvel, appréciée aussi par Doug Aldrich de Whitesnake, qu'il fait chanter comme une sirène d'ambulance, et avec laquelle il entonne un "Take a Little Time" extrait de l'album Wild Frontier, entouré des enfants de l'émission grand public. Il en possédait aussi un modèle rouge. A noter la position du seul micro, qui est celui propre au procédé Gibson. Ne manque à la démonstration que son autre guitare fétiche : sa "Strat", couleur "Salmon Pink", choisie pour les harmoniques plus faciles à produire que sur une LesPaul, dont il fera une démonstration époustouflante en "slide" à Montreux avec I'm Movin On. Ou mieux encore, avec "Texas Strut", où il s'amusera même à aller titiller Billy Gibbons.... Une véritable démonstration de solis et de rythmique alternés. Son imitation du son de Gibbons et de Stevie Ray Vaughan est vraiment extraordinaire ! Moore savait "accrocher" le son des autres, à l'oreille, mais avec respect et de façon plutôt humble, citant à tout prix ceux auxquels il faisait référence avant de débuter ! Sur la Strat, Moore utilisait toutes les ressources : regardez-le aussi jouer... du sélecteur de micros !!! Et avec une Srat, Gary savait tout faire, y compris une version d'anthologie de Stormy Monday... Ou ici, à Pori (en Finlande, avec un très belle prise de son !), devenir beaucoup plus jazzy, avec une Fender noire, avec le vétéran anglais Gary Husband aux drums, et ses effets de wah-wah, plutôt rares chez Moore (regardez le plan de dos en train d'appuyer sur sa boîte d'effets ou titiller son vibrato, et admirez aussi ses prouesses vocales sur "Still Got The Blues" !)
Il jouera aussi en "slide" avec une Gibson SG crème en 1995, comme ici dans une version titanesque du standard Dust My Broom lors de la tournée "Blues For Greeny" dédié à Peter Green, qui viendra le saluer sur scène, guidé par une hôtesse : Peter Green, le cerveau éclaté au LSD est depuis longtemps maintenant un mort-vivant ayant quelques lueurs, et ses dernières tournées, en ce sens, ont été des escroqueries. En slide toujours, qu'il joue alternativement avec le "troisième" doigt (l'annulaire) et un bottleneck de cuivre, ou avec le petit doigt et un bottleneck en verre. Il jouera également de l'Ozark une copie à bas prix d'un dobro National au corps étroit sur "Sundown" "à la Son House" dira-t-il lui-même, sur l'album "Close A You Get"... de toute beauté. Au total, pas mal de modèles sont donc passés entre ses mains. Collectionneur, il l'était quand même devenu au fil du temps. Gary Moore avait quand même accumulé un nombre conséquent de guitares qui avaient pris de la valeur : une des premières estimations après son décès montait déjà à 235 000 euros (relativisons quand même : aujourd'hui, une Les Paul Standard Billy Gibbons "aged", copie de Pearly Gates, signée du maître et numérotée a été annoncée à 21 000 euros pièce à sa sortie... dans la démo du Judge Fredd, vérifiez les deux réglages de micro !). Parmi les dernières achetées, une Burns Sonic, modèle (de collection, un bien étrange engin à corps fort réduit !) avec laquelle il avait enregistré "Hard Times" à travers un ampli Vox AC30 sur l'album "Close As You Get", cette véritable perle sortie en 2007 (accompagné par Mark Feltham, de Nine Below Zero, à l'harmonica). Collectionneur ? Oui, si on considère qu'il pouvait par exemple fièrement poser avec une National rarissime, une "Town and County" de 1958. Le genre d'engin très "jazzy" estimé... plus de 10 000 dollars, parfois. Plus il avançait, plus il recherchait les sons d'antan, semble-t-il.
En amplis, c'est moins compliqué : c'est de l'ampli à lampes, et rien d'autre. Gary est resté fidèle à son bon vieux Marshall DSL100 (jugé être du "bon gros Marshall bien fait" par Judge Fredd) à huit lampes, "qu'il utilise depuis 10 ans" et aussi à sa petite bête de l'ère Peter Green : un Tiny Terror de chez Orange, à l'allure désuète de caisse à outils, relié à un baffle Marshall doté de deux "gamelles" de 12, en haut-parleurs Electro-Voice "Classic" pour tenir la charge. Il a joué aussi à l'occasion sur un Marshall Combo DSL 401 (comme ici avec Roger Daltrey des Who). Chez Marshall, Moore s'est toujours prêté avec gentillesse à toutes les démonstrations de salon. Pour "Still Got The Blues", Marshall lui avait fait une fleur en lui fournissant un prototype de "JTM Reissue", au numéro symptomatique : RI 001 1X ! Comme pédale d'effets, sur l'album, de la Marshall Guv'nor, un overdrive - effet de saturation du son- tout ce qu'il y a de plus classique. En pédales d'effets, il utilisait le plus souvent un bon vieux délai à bandes, de type Echoplex, une pédale de distorsion de Boss (une DS-1), des Ibanez Tubescreamer, une Marshall Bluesbreaker (quel look !) et surtout donc la Guv’nor, et en pédale Wah-Wah la très classique Vox Wah. Sur scène, ça représentait quand même une dizaine d'engins au pied de son micro...
Un bloggueur note, amusé : "Il y a une anecdote amusante à propos de Kirk Hammett (NDLR : de Metallica) demandant à Bob Bradshaw, gourou US des effets, de lui “donner” le même son que Gary Moore sur “Still Got the Blues”. Et Bob Bradshaw d’empiler les racks et compresseurs et gadgets en tout genre, sans réussir à reproduire le son. Il ne savait pas à l’époque que le son de Gary Moore provenait d’une chaîne extrêmement simple : une Les Paul 59, une pédale d’overdrive Marshall Guv’nor et un ampli Marshall Bluesbreaker. C’est tout…"
Sympa, en apprenant son décès, le guitariste de Metallica déclarera que ce qui faisait avant tout le son de Moore c'étaient... ses doigts ! Le long de l'article, un posteur ajoutera, plutôt amer : "Je ne pense pas que les journalistes et les éditorialistes de Rolling Stone vont vraiment comprendre l'ampleur de l'héritage de Gary Moore. Ils ne cessent de se référer à lui comme le Gary Moore de Thin Lizzy ", rejetant ainsi le travail incroyable réalisé par lui au cours des 25 dernières années. Cet homme était le virtuose définitif de la guitare blues-rock (à droite là-haut avec son collègue d'Irlande natale Rory Gallagher) et il avait une voix puissante et mélancolique". Bizarrement, ici, à Agoravox, on semble avoir eu les mêmes nostalgiques... qui résument eux aussi une carrière à quatre mois de participation à un groupe...
A l'époque de Thin Lizzy, justement, Moore tâtait surtout de la Fender Stratocaster, de la Hamer et de la Charvel, les guitares reines des guitar-héros de l'époque. Notamment une Hamer blanche, celle de la pochette Dirty Fingers pour entonner "Take a Little Time", extrait de Wild Frontier (avec un look plutôt étonnant !). L'occasion de montrer à quoi sert une pédale de distorsion et un vibrato ! Celle-là ou une imitation de la Flying V chère à Albert King, en fait une Hamer bleu clair (modèle "Vector", visible ici). A l'époque, les concerts, avec Ian Paice de Deep Purple derrière, il est vrai, déménageaient sec (et Moore glissait déjà aussi dans ses prestations sa fameuse Gibson Junior) ! Selon la firme Hamer, Moore avait bien acheté une Hamer Explorer Standard le 31 août 1984, numérotée 0731, dotée de micros Hamer Slammers, fournis par DiMarzio, et envoyée à Dirk Sommer, l'ingénieur technique de Gary. Sur les séries spéciales de "Out of The Field", on la retrouvera en effet. Hamer sortira une série spéciale Gary Moore, équipée toujours de micros Hamer Slammer, des humbuckers (noirs) et un trémolo Floyd Rose. Un autre prototype signé Moore ne sera pas commercialisé.
Plus il avançait, dans sa carrière, et plus il revenait à des équipements standards : lui, le champion des Hamer, des Charvel ou des Jackson et des pédales d'effets, les guitares fanions des hard-rockers ces derniers mois jouait désormais sur scène avec sur sa Fritz Brothers Super Deluxe de 1988, bleue, imitant avec Albert King ou Stevie Ray encore une fois comme ici en 1993 déjà. Dans le même concert, le modèle Telecaster remisée, il reprenait sa fidèle LesPaul, la N°9 2227 aux caches enlevés (à noter derrière la période Soldano comme ampli !). Après avoir tout essayé, ou presque, il en était revenu à un formule tout ce qu'il y a de plus classique en rock'n'roll et en blues électrique. La loi de Moore s'exprimait donc en trois composantes fondamentales plus une quatrième essentielle : "une guitare à humbuckings + une pédale d'effets + un ampli chauffé à blanc + des doigts agiles = le style d'un très grand guitariste". Gary Moore, adepte inconditionnel de la LesPaul ? C'est faux, donc, et seuls les amateurs peuvent le croire (comme cette journaliste stagiaire de Paris-Match fan de hard-rock (elle entretenait un blog dédié) qui critiquera l'avant dernier album en ne s'apercevant pas que très peu de titres ont été fait avec cette guitare - tels "Trouble At Home", ça au moins c'est sûr !). Sur l'album "Blues Alice" de 1993, Moore arborait en fait déjà en fait sa Fritz Brothers Super Deluxe bleue ! Un modèle pas vraiment donné : 3600 dollars pièce (mais garantie "à vie" affirme sa publicité !).
Il avait aussi tâté de la guitare "sèche" dès 1979, pour un étonnant Spanish Guitar qui avait vu deux versions émerger : celle où Phil Lynott chantait, et celle ou Gary Moore tenait le lead. Le gag, c'est qu'en Suède, le distributeur de la firme allait se tromper, et sortir la première version signée Lynott, devenue illico collector. Sur scène, Gary Moore adorait "hispaniser"... avant d'empoigner son impayable Firebird. En "sèche", il jouait sur Takamine (noire, 12 cordes) ou une Ibanez PF5NT (il jouera aussi brièvement de l'Ibanez Roadstar RS 1000, une électrique). A noter qu'il se targait aussi de possèder deux petites guitares de voyage, une bien connue Chiquita de chez Mark Erlewine, conçue au départ pour Billy Gibbons, et une étonnante petite Maya noire, sorte de mini-srat', d'une firme japonaise qui a aujourd'hui disparu semble-t-il.
Dans l'une de ses dernières interviews où il apparaîtra fatigué, Robert William Gary Moore (son nom complet), plus éclectique qu'on ne le pensait, parlait encore de ses goûts pour les morceaux lents, ou des talents actuels du groupe Muse, pour qui il dira sa grande admiration, ou de ceux de James Blunt, pour son sens de la mélodie, et d'enchaîner avec une... Telecaster pour jouer "Sixty Days" de Chuck Berry ! Enregistré sur l'album avec un ampli Vox et sa Telecaster de 1968, album ou il joue aussi "If Devil Made Whiskey" de même, mais via un vieux Fender Vibroverb à deux "gamelles" (pour le son plus "graisseux"). Et cette fois un bottleneck en verre et non en cuivre. Sur scène, ça donnait un long solo à l'énergie, extrait d'un modèleTelecaster encore. Le propre du soliste étant aussi de se faire plaisir et de pousser plus loin ses propres limites, ce dont l'irlandais n'était pas avare (quel sustain !). L'homme parlera plus loin de sa famille, regrettant de n'avoir pas eu assez de temps à lui consacrer (il aura raté deux mariages, et avait 3 enfants : Gus, Jack, et Lily), l'interview se terminant à la Fender Telecaster par un "I had a Dream" absolument poignant... ce gars là n'en n'avait pas assez du blues, et nous non plus tant qu'il jouait. Lors de sa tournée de 2009 en Espagne, en première partie il y avait Otis Taylor. Et un débutant appelé Jack Moore : l'un des deux fils de Gary Moore. La relève est assurée.
En 2008, il était toujours accroché à la Telecaster. A la Muddy Waters : retour aux sources mêmes du blues électrique. Muddy, l'homme à la Telecaster. Celui qu'avaient découvert les blancs dans les années soixante. Lui ou le trop méconnu Otis Rush qu'il reprendra aussi avec brio, avec sa fougue habituelle. Inépuisable, pour des versions définitives de ce qui est devenu un classique ! Un morceau qu'avait fait connaître le pape du blues anglais (John Mayall). Mais le 29 août 2009, sur scène, à Amsterdam, il faisait le même morceau sur une... Fender Firebird. Un engin qu'il avait depuis longtemps, mais qu'il était censé avoir revendu. Il en avait une déjà, une Gibson Firebird V ressortie sous le N° 90861413 qu'il avait effectivement revendue en 2007. Manifestement, il en avait retrouvé une autre en 2010, même pour jouer en petit club ! Musicalement, il s'aventurait toujours, reprenant par exemple sur son dernier album "I Love You More Than You'll Ever Know" ; le monumental morceau d'Al Kooper période Blood Sweat and Tears... il rejoignait ainsi indirectement un autre grand disparu, ami de Kooper : Mike Bloomfield, si injustement oublié. Le 19 février 2010, il le jouait même en petit club restreint... toujours dans un pub ! pour ce qui est du retour à la Telecaste ou à ses clones coûteux, cela s'explique et ça a été avoué par Gary lui-même dans Guitar Player : "la Telecaster a été ma première bonne guitare quand j'avais 14 ans, et celle avec laquelle je joue actuellement date de 1968, l'année où j'en avais une étant encore gamin". En fait de Telecaster, c'est donc surtout une "Fritz Brothers Super Deluxe" bleue qu'il possèdait, et au moins deux autres Telecaster, en tout cas elles aussi "customisées".
Pour ceux qui pensaient que le modèle "Telecaster" n'avait pas de "pêche" l'usage qu'en faisait Moore pouvait être une (re) découverte... des leçons, il en avait encore à donner, semble-t-il. Comme celle montrant pourquoi avoir aussi "choisi la 335", par exemple (pour son son "plus doux" disait-il), ou de montrer que le jazz l'intéressait aussi (il le jouait plutôt bien, à la LesPaul, sur le micro de grave, regardez attentivement !) : une leçon avant tout, de phénoménale dextérité, les dernières démonstrations de cette vidéo se faisant... à la LesPaul. Il montrera même une inspiration Country assez inattendue lors de la même séance, dans un second extrait vidéo ! En Finlande, en 2004, il avait été aussi disert, et aussi pédagogue... l'un des rares à faire ses interviews AVEC sa guitare ! Toujours disponible, il l'était, sans problème. Au final, le secret de Moore, au delà de son matériel, variable et varié, résidait bien, au final, dans... ses doigts, tout simplement !
PS : Ses amis de Thin Lizzy lui ont déjà rendu un dernier hommage musical à Belfast : même les Dubliners, qui avaient repris le classique "Whiskey in the Jar", repris aussi par... Metallica, étaient là, bien entendu. Gary vivait depuis quelque temps une nouvelle romance en cours avec le mannequin allemand Petra Nioduschewski. Agée de 35 ans, c'est elle qui l'a retrouvé mort, d'une crise cardiaque : les horribles journaux anglais avaient dès lendemain fait leur travail habituel, en parlant de la même mort qu'Hendrix, fort peu glorieuse. Moore n'a jamais pris de sa vie de drogue et il était en fait... asmathique (la fumée le gênait horriblement). Plutôt retenir l'image de son frère, Cliff (guitariste lui aussi) venu à l'hôtel où il prenait des vacances venu rechercher... la seconde maîtresse de Gary Moore, sinon sa première : sa guitare. A l'hôtel, le soir même de son décès, Moore avait encore signé deux autographes aux employés, charmés par sa disponibilité. En mai 2010, il avait rejoint son "clan" celtique dans un étonnant "Wild One" de bonne facture, qui laissait envisager un retour au "celtic-rock laissé en chantier depuis la perte de son ami Phil. A Montreux, en 2010, les accents irlandais avaient également été mis en avant avec une intro dantesque "d'Over The Hills". La boucle était donc bouclée. Moore s'apprêtait déjà à retrouver ses origines irlandaises. Il a été enterré après un office religieux tenu à Brighton, où il habitait : on parle d'ériger une statue à son nom, à Belfast, ce que souhaitent ses fans (et moi également, à vrai dire !) : Phil Lynott ayant déjà la sienne, à Dublin. Saluée régulièrement par les anciens de Thin Lizzy et par... Philomène, la mère de Lynott, âgée aujourd'hui de plus de 80 ans, à l'histoire si tragique. Maintenant, de fait, c'est nous qui sommes seuls. Bien seuls.
Changement de guitare pour une Fritz Brothers, modèle Super Deluxe :
7) "Too Tired"
http://www.youtube.com/watch?v=tqGfeONb564
Retour à la LesPaul pour :
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