La Loi El Khomri : du code du travail au code de non-droit ! Volet N°1
A ce stade d'incertitudes sur le destin du projet de loi sur le travail, il semble nécessaire de redéfinir la génèse des dispositions qui modifieront de fond en comble, le code du travail.
Depuis la plus haute antiquité, la société gréco-romaine était divisée en deux catégories bien distinctes : les hommes libres et les esclaves.
Cette classification correspondait d'abord à un modèle de société établi où la main d'oeuvre était abondante et très bon marché. Ce système a perduré jusqu'au Moyen-Age où les Seigneurs féodaux et les Serfs correspondaient à une division binaire de la société, nous incluerons les métiers d'armes dans celui du travail manuel. Mais avec les échanges commerciaux très actifs en Europe, l'artisanat va se développer jusqu'à créer une nouvelle catégorie de travailleurs : les travailleurs indépendants qui acquièreront au fur et à mesure de l'avancée des siècles, de l'autonomie, même si les structures juridiques féodales font du "serf", la propriété exclusive de son seigneur. C'est ainsi que s'organiseront les travailleurs indépendants en Corporations, par corps de métier et vont stabiliser et élargir les rapports hiérarchiques. Les corporations règlementeront minutieusement le travail ouvrier.
Dès le XVIIe, XVIIIe et les premiers balbutiements de la mécanisation, (métier à tisser, etc...) la technique perfectionne les outils de travail. Mais dans cette période pré-industrielle, l'homme ne dispose toujours que de sa seule force musculaire pour travailler. L'outil n'est considéré que comme la prolongation du bras et de la main, (outils agricoles et artisanaux).
Or, l'invention de la machine à vapeur, de la machine à tisser Jacquard et d'autres sources d'énergie seront les véritables pionnières de la grande révolution industrielle moderne, avec une multitude d'activités possibles et imaginables, qui au plan technique apparaîtront merveilleuses, magiques, mais au plan social seront catastrophiques, dévastatrices et provoqueront une concentration industrielle et la naissance d'un prolétariat misérable.
A partir du XIXe siècle, et à l'ère de l'industrialisation, la machine condamnera l'ouvrier à un rythme de travail épuisant, parcellaire, aux cadences infernales laissées à la discrétion de l'employeur tout puissant. Car, si depuis, l'ouvrier est devenu "juridiquement libre" en abandonnant le statut de serf, sa dépendance économique ne fera qu'empirer. Au maître/esclave, se sera substituté l'ouvrier-journalier- manutentionnaire/patron.
Et là, nous entrons directement et de plain-pied dans l'époque contemporaine qui nous intéresse, ce que les historiens spécialisés dans l'histoire du travail, nomment : l'ère de la seconde révolution ou l'ère industrielle. Et avec les découvertes technologiques de fin XIXe et XXe qui vont se précipiter et changer notre monde, la grande entreprise industrielle va remodeler en profondeur le Monde du Travail. C'est que l'entrepreneur s'il a changé ne se soucie pas plus que l'ancien seigneur envers ses serfs, du bien-être de ses employés et ouvriers. Il se soucie avant tout d'exploiter l'homme à son service exclusif et de profiter pleinement des innovations, de se constituer un Capital et de conquérir des marchés de plus grandes étendues et importance.
Aux USA, la recherche très pointue verra la naissance de l'OST , "l'organisation scientifique du Travail", afin d'augmenter les rendements, ce sont les dénommés F.W. Taylor et le français Fayol qui en seront les concepteurs.
But : rationnaliser le travail, en fait, le décomposer de façon à ce que sur les chaînes, les tâches répétitives, simples et abrutissantes, doivent être accomplies par des ouvriers sans aucune réflexion, ni initiative, un travail bien défini et ne devant jamais s'écarter du cadre imposé.
D'où, augmentation de la productivité et des bénéfices pour le patronnat et recrudescence des maladies professionnelles chez les ouvriers, accidents du travail, conséquences directes. L'OST prétendait qu'à partir d'un certain rang de productivité, l'ouvrier allait chercher dans le travail, des satisfactions d'un autre ordre : l'esprit d'équipe et des relations interpersonnelles, des comportements symboliques. Ce modèle évidemment sera importé en Europe, où naîtront les "sciences du travail" qui elles, donneront naissance à des branches autonomes de la sociologie du travail et de la psychologie du travail. Mais le but inavoué de l'OST, sera surtout d'identifier les comportements des ouvriers, voire de les mettre en concurrence, sans laisser à ces salariés ni esprit critique par rapport à leurs conditions de travail et encore moins d'autonomie dans le travail. Quelques années plus tard, dès les années soixantes/soixantes-dix, les USA expérimenteront le Management avec (l'école de Kurt Liwin) qui se fera le chantre de la (réduction des conflits), et le concept de la direction participative avec Peter Drucker et Octave Gélinier, l'enrichissement des tâches avec Frédéric Herzog.
But : atteindre la "paix sociale" et accroître la productivité des salariés. Mais le Management ne s'arrêtera pas aux frontières de l'Usine ou de l'Entreprise, il mordra également sur la vie privée du personnel des Entreprises : crédits, démographie familiale, moeurs, etc...
LE MODELE FRANCAIS :
Notre histoire contemporaine du développement du droit du travail commence à partir de 1791, avec la Loi le Chapelier. Suppression des corporations de l'Ancien Régime. Or, ces corporations très codifiées protégeaient les ouvriers et constituaient un "contre-pouvoir" envers les patrons.
En 1809, on retrouve dans le Code Civil, trois articles seulement, consacrés au "contrat de louage de service" - articles 1779 à 1781.
Article 1781 qui dit : "Le maître est cru sur son affirmation pour la qualité des gages".
Cet article sera abrogé en 1868.
Mars 1841 : Première loi protectrice interdisant le travail des enfants de moins de 8 ans.
Juin 1848 : Proclamation du droit du travail et de la journée des huit heures.
Mai 1864 : suppression du délit de coalition.
1874 : réglementation du travail des femmes (durée hebdomadaire, interdiction du travail de nuit).
Mars 1884 : Loi permettant de fonder des syndicats (hors de l'entreprise)
1892-1906 : Série de lois limitant la durée du travail, instituant le repos hebdomadaire, organisant l'indemnisation des accidents du travail.
1910 : CREATION DU CODE DU TRAVAIL.
Après la subordination juridique totale du travailleur sous l'ancien Régime, puis au XIXe siècle avec l'industrialisation où l'idéologie dominante héritée de la révolution jacobine consistait à ne reconnaître de liberté qu'individuelle et d'égalité que juridique, ces principes révolutionnaires vont très vite se heurter aux notions d'exception des principes civils de la "liberté des contrats". Car le droit du travail restera constamment pris en étau entre un Code Civil dont le but essentiel était de défendre la propriété privée et les pouvoir du patronnat et un Code Pénal qui le protégeait, lui, avant tout. Car la propriété privée, c'était le principal fondement de l'ordre public. Pourtant les juristes continueront à étoffer les textes législatifs jusqu'en 1910 et l'apparition du Code du Travail.
A suivre...
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