La mondialisation vue par Heidegger
La mondialisation est une source de richesse considérable, elle a permis de sortir des centaines de milliers de personnes de la pauvreté (ce qui se reflète peu dans le taux de pauvreté mondiale puisque dans le même temps la population augmente) et semble profiter globalement aux pays riches comme aux pays pauvres, à l’exception d’une grande partie de l’Afrique. L’efficacité du libéralisme et du capitalisme financier ne saurait donc être remise en cause, c’est le système le plus productif qui soit. Cependant, cette efficacité se fait en partie au détriment de la qualité de vie des individus : moins de sécurité d’emploi, plus de flexibilité, une grande pression sur les salariés en particulier sur les cadres,... Il semble que nous vivons dans un monde où l’homme n’est plus au centre. Une raison principale semble expliquer cette situation : l’effacement progressif de l’éthique face à la technique.
La technique est vue par beaucoup comme un moyen utilisé par l’homme : il la contrôle et l’utilise pour poursuivre d’autres fins comme le progrès. C’est à cette vision que s’est opposé le philosophe Heidegger, pour lui la technique n’est plus un moyen mais une fin, le monde moderne se caractérise selon lui par la victoire de la "pensée calculante" sur la "pensée méditante". Le projet moderne, depuis Galilée et Descartes, consiste en effet en une tentative d’objectivation de la nature, cela a commencé avec les sciences de la nature, ce qui a permis un extraordinaire développement technique, pour continuer avec les "sciences sociales". L’économie, la sociologie, la didactique,... tout aujourd’hui est technique. L’essence même de l’homme est réduite à une fonction d’utilité censée représenter ses préférences et le but de l’entreprise se résume à maximiser un profit.
Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que personne ne "tire les ficelles", il n’y a pas de réunions secrètes de méchants capitalistes qui cherchent à dégrader les conditions de vie des salariés : chacun agit individuellement en se disant que s’il refuse telle décision pour des considérations éthiques, cela ne changera rien puisque les concurrents n’auront pas les mêmes états d’âmes. De plus, la technique rassure en même temps qu’elle déresponsabilise : il est facile de se cacher derrière un objectif de performance qu’on essaye de remplir plutôt que d’examiner les conséquences (sociales, environnementales,...) de ses actes. La spécialisation des carrières, que ce soit dans la finance, le commerce ou l’industrie accroît encore cette déresponsabilisation des acteurs économiques : plus personne ne sait exactement quel est son rôle et sa place exacte dans l’économie, nous manquons cruellement d’une vision globale de la société et de son organisation.
Jusqu’où l’homme peut-il aller, instrumentalisé par la technique ? Très loin malheureusement, les grands conflits du XXème siècle sont là pour le rappeler. On peut penser bien sûr à l’organisation méthodique de la politique d’extermination nazie qui a conduit ce qu’il est convenu d’appeler de "braves pères de famille" à prendre part à des actes de pure barbarie. Un autre exemple frappant est celui de la guerre du Vietnam, rapporté dans le film-documentaire "Hearts and minds". On y entend des pilotes chargés de bombarder des villages Vietcongs expliquer comment ils avaient réussi à se perfectionner aux fur et à mesure de leurs missions, faisant abstraction totale des victimes civiles. Bien évidemment, ces deux exemples ne visent pas à comparer la barbarie des guerres à la dureté du capitalisme mondialisé, ils sont simplement là pour rappeler les risques encourus si l’homme n’est plus le maître de la technique mais son esclave.
Quelle réponse peut-on apporter face à cette situation ? Seul un retour de l’éthique et une prise de conscience des limites du projet moderne pourront remettre l’homme au centre de la société. L’homme se caractérise avant tout par sa volonté de liberté, il n’acceptera pas d’être un artefact du marché, il comprendra que son bonheur ne dépend pas uniquement de l’argent qu’il gagne en étant performant, il voudra redonner du sens à son existence et à son travail. On commence à voir se dessiner un tel mouvement avec l’investissement croissant des individus dans des associations d’utilité publique ou dans des ONG, souhaitons qu’il ne s’agisse pas simplement d’un phénomène de mode mais d’une prise de consicence plus profonde.
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