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Accueil du site > Tribune Libre > La poésie du meilleur des mondes

La poésie du meilleur des mondes

"En exil, la douleur croît. Elle en réveille une autre en nous, plus secrète, mieux enfouie, et jette un sel rongeur sur cette plaie ouverte. Elle dévoile une face du Moi, et découvre au même instant l'abîme, l'effroi sans frein, sans fond, sans fin, le terrible désert d'être."

Sayd Bahodine Majrouh ((1928/1988)

In "Chant de l'errance"

 

 

JPEG Nous vivons une drôle d'époque. Je veux dire bizarre, fascinante, mais écoeurante. L'information semble être devenue le coeur fébrile d'une intelligence complètement artificielle où chacun semble prétendre voir plus loin que le bout de son nez, à travers les parois de sa propre maison. Commentaires, analyses, synthèses, avis, recommandations sont délivrés sans complexe à propos de tout événement surgissant comme à l'improviste du gigantesque creuset de l'industrie humaine en pleine ébullition cérébrale. A propos de tout et de rien. Du fait divers aux affaires internationnales. L'Ego-monstre qu'en son temps avait débusqué le poète afghan Sayd Bahodine Majrouh, a fini par prendre possession de la planète toute entière. Jamais il n'y eut tant de batailles par communications interposées au-dessus des charniers, tant de sujets imposés, sans qu'il n'y paraisse, par les grandes puissances médiatiques, tant de drames à nourrir avec des adjectifs exclamatifs et des effets de manches telles qu'ils s'exercent et se déploient dans les tribunaux et les amphithéâtres. Spécialistes et néophytes y vont d'un choeur commun cacophonique, et complice, dès lors que la parole se veut garante de la liberté d'expression et de la sacro-sainte diversité, celle justement qui divise le plus grand nombre. 

Nous vivons une époque de confusion totale, en dépit des logiques plus ou moins formatées des uns et des autres. Chacun y va d'un ton professoral, sinon augural. Les oracles ont le vent en poupe et ne manquent pas d'investir de discours en discours sur leur notoriété acquise. Il ne se fondent que sur des images, des reportages bidonnés ou des témoignages de seconde main. Le vrai est un moment du faux annonçait Guy Debord qui, fort heureusement pour lui, ne dégrisait jamais. Aujourd'hui, les curés (imams et rabbins compris) et les flics sont légions. Les penseurs intégrés faisant mine de détachement, ne prennent surtout pas le risque d'accorder leur "philosophie" à leurs actes quotidiens : ils savourent davantage le confort occidental bourgeois de leur propre position prioritaire, pères ou mères de famille émancipés, propriétaires d'une maison et d'une résidence secondaire, héritiers modestes, hédonistes sans excès, tributaires de la raison pure qui ne se saliront jamais les mains dans la réalité pour pour donner à manger aux malheureux qui ont faim, pour soulager ne serait-ce qu'un peu la terrible lassitude de cette ombre qui dort à même le sol sur le trottoir d'en face. 

Du Nigéria à la Palestine en passant par l'Ukraine, de la Syrie au Congo, nous ne sommes plus que les spectateurs conditionnés de la déplorable saga virtuelle d'une civilisation aux règles militaire et régie par les préceptes de la religion néo libérale. Des citoyens instruits à l'école d'une république passablement dépeuplée de sa citoyenneté, dont le vote reste l'excuse suprême, dont la moralité indifférenciée permet aux mafias de prospérer. Nous sommes d'un monde finalement déconnecté de la nécessité et du rêve qui forment pourtant le socle du vivre ensemble, sans lesquel la solidarité n'est que voeu pieu, sans lequel nos luttes finissent par pourrir. Un déferlement d'images mille fois vues et revues et de phrases mille fois hachées et rabâchées assassinent journellement à coups de répétitions sanglantes des milliers d'enfants, d'hommes et de femme que l'on suppose innocents, que l'on désigne comme les victimes expiatoires de situations tragiques qui ne font que confirmer notre impuissance à agir. 

L'imagination, cette reine des facultés selon Baudelaire, a été détrônée par un déferlement médiatique sans queue ni tête, complètement bannie de l'espace public et n'est-ce pas à cause de cela que sont devenues si banalement désertiques les places et les rues de nos centres villes transformées en musées ou en rues piétonnes commerciales, que nos campagnes et bords de mers sont devenus tellement ennuyeux ? 

La poésie du quotidien, avec ses saveurs et sa gouaille, telle qu'elle se laissait miraculeusement voir et entendre dans de vieux films en noir et blanc — dont les budgets n'étaient que pipi d'hirondelles comparés aux sommes colossales investies aujourd'hui dans la moindre croûte cinématographique — a dû s'exiler dans des courts-métrages et des poèmes tiers mondistes dont presque plus personne ne se soucie puisqu'il y a tant et tant de chats à fouetter dans les succursales encombrées de marchandises de la transformation du Brave New World. 


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2 réactions à cet article    


  • alinea alinea 1er septembre 2014 18:04

    Le bistrot a quasi disparu, en tout cas des campagnes ; il n’y a plus de lavoirs, les places encore ici, à la belle saison, accueillent les boulistes ; il n’y a plus guère de vieux devant leur porte ; on cause sur internet ; c’est un ersatz ; je ne peux rien dire, j’y suis, j’y trouve controverse ou soutien, sourire ou pleurs et j’y cherche l’humain.
    Je hais la surabondance et me plaît plus dans la frugalité qui laisse le temps de ruminer, de digérer, de remplir la mémoire. Et je vois bien comment la surenchère d’infos, d’analyses, d’avis, d’opinions, même si on apprend très vite à les trier, nous contamine ; c’est presque une addiction, de l’ordre de la consommation qui jamais ne peut satisfaire parce qu’elle assoiffe plutôt qu’ elle n’abreuve. Chacun y exerce son rôle, y teste son talent, y jette ses colères, c’est pas si mal au fond. mais -ou « et »,- cela nous compense de notre impuissance à agir dans une dimension bien trop grande pour nous. La vie nous y ramènera, à notre taille humaine, c’est inéluctable, et ce sera tant mieux !
    Merci de votre billet André Chenet


    • howahkan Hotah 2 septembre 2014 12:27

      l’époque n’a rien de spéciale, vivre l’histoire pour de vrai n’est juste pas la même chose que lire l’histoire qui est fausse...

      de ce que je sais par expérience totalement involontaire par et pour moi même, une partie de notre cerveau ne fonctionne plus depuis des siècles..elle s’est réveillé par deux fois d’une manière si « intégrale », que de toute façon pour moi une vie normale n’est pas possible., car la vie normale ne contient aucune vie mais est une vie de machine ,pas des machines comme on en fait, mais une vie de machine « Universelle »,d’où le sens n’est plus....et puis derriere il y a le comprendre cela, mais surtout pas notre facon de comprendre, non celle là est vouée à l’echec permanent sauf pour faire de grosses machines que personnellement je ressens ,depuis que ce cerveau qui se met a marcher des fois au hasard, comme autant d’échec, cet ordi que j’utilise pour écrire inclut.....

      la bêtise humaine donc la mienne se saisit simplement dans la croyance que la compétition qui pour moi n’existe pas du tout mais dissimule le désir d’éliminer, puisse donner une société amicale....cette vision est de la démence pure......comme nos dirigeants,somme nous aussi débile pour accepter cela ? débiles non je ne pense pas mais ignorant de nous donc du fait de vivre..alors la minorité violente qui elle même avec un QI énorme est réellement débile dans le vrai sens du terme gouverne par l’appât du gain et la violence...parce que on ne comprends pas..que sais je de moi ? quasiment rien du tout non ?? alors du fait de vivre pensez donc !!

      ce monde est tout sauf un hasard et on n’y participe tous,certains en le sachant d’autres sans le savoir, mais c’est si facile de se dire : je ne savais pas....je n’y crois pas trop a ce « je ne savais pas ! la vérité serait plutot : j m’en fou !!

      de même que l’homme croit que vivre c’est atteindre quelque chose, de même la société pense t’ elle de cette façon, la société est un homme...en souffrance....mais avant l’éveil ou le réveil si cela est encore possible, il y a d’abord la chute.......on y est............la chute est avant toute chose un état mental de celui qui ne vit pas, n’a jamais vécu.....

      N’ayez pas peur de la chute, elle est nécessaire mais pas nécessairement mortelle....c’est comme la peur dont Dieudonné parle ,laissez là être et voyez en vous ce qui se passe, pour une fois ne fuyez pas...pareillement avec la souffrance etc etc.........

      l’homme est »fuitiste« même pas égoïste........s’occuper de soi n’implique pas du tout de voler les autres, ni de les tuer...ne pas confondre le vrai malade mental comme la plupart des dirigeants et hommes d’affaires etc etc et l’homme simple qui est la base d’un monde intelligent ,ce qui arrivera des que la peur mais aussi l’appât du gain et se qui se cache derrière sera vu....et non pensé.....

      c’est pour bientôt..mais la crise est necessaire.....et si elle est vécue et non fuit, libératoire...de ce que nous sommes en réalité.....une partie de L’univers comme le reste,L’Origine de Univers hors du temps qui ne nous a pas attendu pour être, car » il" n’est pas dans le temps...seul ce qui est né meurt....

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