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Accueil du site > Tribune Libre > La posture du philosophe

La posture du philosophe

Je voudrais revenir sur cette idée de Pascal selon laquelle bien peu de vérités "entrent par l’esprit, au lieu qu’elles y sont introduites en foule par les caprices téméraires de la volonté, sans le conseil du raisonnement".
Pascal, dans ce texte fameux sur l’Art de persuader (1658), oppose "entendement" et "volonté", qui sont "deux entrées par où les opinions sont reçues dans l’âme". L’entendement, c’est l’intelligence. C’est l’usage de la raison pour nous faire adhérer à une opinion particulière sans préjugés aucuns. La volonté ou encore le cœur, c’est a contrario, l’adhésion à une opinion sans démonstration. Or nous dit Pascal, cette voie surnaturelle serait réservée aux seules vérités divines : elles entreraient du cœur vers l’esprit et non pas de l’esprit vers le cœur. Autrement dit dans une formule plus célèbre : "le cœur a ses raisons que la raison ne connait point". L’argument est sans aucun doute un peu court pour cautionner les vérités énoncées par l’église - laissons de côté ces considérations religieuses - car le constat de Pascal me semble particulièrement éclairant sur la nature humaine et ses opinions. Qui n’a jamais connu cette situation face à un camarade soutenant mordicus une thèse dont les prémisses étaient inexactes, de s’avouer vaincu à lui faire découvrir sa faute, tant il manifestait une mauvaise foi et une certaine malhonnêteté intellectuelle ? A notre grande surprise et malgré nos efforts, les preuves et les faits étaient restés impuissants.
 
Bien souvent, les hommes élaborent leurs thèses sur des prémisses qui n’ont strictement rien à voir avec la vérité. Pourquoi ? Car les hommes selon Pascal ont perverti l’ordre surnaturel (du cœur vers l’esprit) pour l’appliquer aux vérités communes ; les opinions de manière générale entrent dans l’âme beaucoup plus facilement par cette voie car elles flattent l’égo ou les valeurs. C’est une espèce d’instinct qui nous fait croire que certaines opinions sont vraies sans démonstration. Qui n’a jamais ressenti cette impression ? Ces propos tellement évidents qu’ils semblaient parler à notre cœur. Tout cela en dit long sur la nature humaine. Si la plupart des opinions ne sont pas le fait de la raison, comment ne pas s’étonner dès lors d’un manque de compréhension mutuelle lors de débats publics ou privés, ou de concertation entre le gouvernement et les syndicats sur les retraites pour ne prendre qu’un exemple récent. On le voit, il ne s’agit pas dans ce cas précis d’une recherche de consensus ou a fortiori d’une démarche discursive sur des bases solides ayant pour but l’établissement d’une certaine vérité mais bien d’un dialogue de sourd.
 
Une seule solution à mes yeux : la posture du philosophe. Il faut douter de tout - même des choses les plus triviales - et appliquer la bonne méthode. Ne jamais prendre pour vrai une opinion qui flatte notre esprit ou semble évidente et s’astreindre à en décortiquer ses tenants et aboutissements. C’est en tout cas le remède de Descartes. Nombre de nos préjugés sont hérités de notre enfance ; elle a façonné nos opinions. C’est pour cela selon Descartes, qu’il "est presque impossible que nos jugements soient si purs". Il est donc vital de se (re)questionner sur toutes ces vérités et de n’accepter qu’une seule voie, celle de la raison.
 
Évidemment, j’aurais beau jeu, me direz-vous, de me croire à l’abri de toute perversion et vous auriez raison. Mais s’en rendre compte, c’est déjà il semble, un grand pas en avant qui me rend un peu plus lucide et vigilant sur mes propres opinions.

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15 réactions à cet article    


  • Raphaël 16 octobre 2010 13:51

    Ah, que j’aime ces débats constructifs sur internet !


  • Raphaël 16 octobre 2010 20:26

    Je vois ce qu’il me reste à faire smiley


  • Radix Radix 16 octobre 2010 22:10

    Merci Raphaël

    Grâce à vous j’ai apprécié un commentaire de Démian !

    Il a totalement raison.

    Radix


  • Senatus populusque (Courouve) Senatus populusque 16 octobre 2010 12:41

    « Pascal, dans ce texte fameux sur l’Art de persuader (1658), oppose  »entendement« et »volonté«  »

    Cette opposition est développée par Arthur Schopenhauer dans "Le Monde comme volonté et comme représentation.


    • Raphaël 16 octobre 2010 14:02

      Merci pour la référence, j’irai voir de ce côté-là pour en savoir un peu plus.


    • Eric 16 octobre 2010 16:58

      Pas la peine d’aller voir du côté de Schopenhauer ! La distinction entre volonté et entendement est d’abord chez Descartes.(Voir la IV* Méditation)
      Chez Pascal, le coeur n’est pas une « adhésion à une opinion » ni une connaissance vague puisque c’est le coeur qui saist les axiomes mathématiques indémontrables. En gros, et pour aller vite, le coeur correspond à l’esprit de finesse qui est la saisie immédiate d’éléments complexe alors que l’entendement correspond d’avantage à l’esprit de géométrie, c’est à dire au raisonnement discursif.


      • Raphaël 16 octobre 2010 19:26

        C’est tout à fait juste. Le cœur chez Pascal fait référence à ce qu’il appelle l’esprit de finesse qui saisit son objet immédiatement. Cependant selon moi, cela reste également une adhésion à des opinions comme par exemple des valeurs religieuses du temps de Pascal, ou pour prendre un exemple plus récent la peur des Roms. L’homme a ainsi selon Pascal corrompu cet esprit de finesse pour l’appliquer à des vérités communes. C’est ce que j’ai voulu montrer : l’homme fait trop confiance à son intuition et manque bien souvent de lucidité.


      • Raphaël 16 octobre 2010 20:17

        @ Jean,

        Je n’irai pas dire comme vous que l’utilisation de la raison selon Descartes est vaine et dangereuse. Il me semble que les deux voies sont complémentaires ; l’esprit de finesse et de géométrie sont deux voies pour aller vers une vérité.
        L’essentiel est pour moi de ne pas tout céder à la tyrannie du cœur, c’est-à-dire de soumettre l’ordre de l’esprit à l’ordre du cœur. Difficile en effet de démontrer le temps ou l’espace mais reste à être vigilant sur ces propres préjugés : la peur de l’autre, la pertinence des monothéismes.


      • zelectron zelectron 16 octobre 2010 20:37

        @Jean
        Ne serait ce pas plutôt je suis aimé donc je suis (avec réciprocité ou non ?)


      • l’arbre 17 octobre 2010 10:04

        je pense donc j’éssuie dit la bonne espagnole ( espagnole pour l’accent)
        pensons que pour penser il faut un minimum vital : le cerveua à besoin de glucides pour fonctionner
        que celà ne nous empêche pas de réfléchir !


      • non667 16 octobre 2010 20:14

        syndicalement (et en politique ) ce qui prime c’est le rapport de force .
        c’est ce que j’entendais dans les réunions syndicales
         souvent pour gagner on se sert d’arguments choisis (faux ou justes) faisant appel à la raison pour forger des sentiments qui emportent l’adhésion .
        tout de suite un contre exemple actuel : pour les retraites
        -le gouvernement se sert de la raisons  : durée de vie en augmentation , mathématiquement il faut plus de cotisation. cqfd
        - les syndicats se servent des sentiments : injustice , inégalité ce sont toujours les pauvres qui paient !
         qui va gagner ?

        autre astuce politique utilisée par la gauche
        les incivilités ,agressions , vols , voitures brulées , faits bien réels que l’on peut comptabiliser sont devenus des sentiments d’insécurités qui sont déclarés(car non mesurables ) injustifiés ,disproportionnés donc coupables —>. schizophrène , xénophobe , raciste...


        • Jordi Grau J. GRAU 16 octobre 2010 20:42

          Je m’inscris en faux contre votre analyse du débat sur les retraites. Il n’y a aucune démonstration mathématique dans le discours du gouvernement. Tout ce qu’on peut dire de rigoureux dans cette histoire, ce sont les faits suivants :

          - il est probable (bien que pas absolument sûr, loin s’en faut !) que l’espérance de vie va rester stable, voire va augmenter ;

          - il en découle une nécessité d’augmenter la quantité d’argent destinée aux retraites, si on veut que le montant des pensions ne diminue pas.

          A partir de ces deux faits, plusieurs solutions sont possibles :

          - Obliger les gens à travailler plus longtemps s’ils veulent toucher une retraite à taux plein.
          - S’attaquer sérieusement au problème du chômage, afn que le montant total des cotisations sociales augmente
          - Réduire les exonérations fiscales et sociales des entreprises (qui se montent à 170 milliards et ne sont que très partiellement justifiées)
          - Taxer les revenus du capital.

          La liste n’est sans doute pas exhaustive. On le voit, la solution retenue par le gouvernement est loin d’être la seule possible, et elle n’est sans doute pas la meilleure. En effet, beaucoup de gens n’auront de toute façon pas la santé ou la possibilité de continuer à travailler plus longtemps, soit qu’ils aient été usés par des années de travail pénible, soit qu’il se retrouve au chômage et ne parviennent pas à retrouver un emploi. Dans les faits, le projet du gouvernement va avoir pour effet, s’il est appliqué de diminuer considérablement le montant des pensions. C’est ce qui s’est déjà produit après 2003 et le plan Fillon.

          Comme quoi, il faut se méfier de ce qu’on appelle la « raison » : ce qui pour vous est une évidence mathématique n’est peut-être qu’un préjugé !


        • non667 16 octobre 2010 22:36

          a j..grau
           j’ai écris :on se sert d’arguments choisis (faux ou justes) faisant appel à la raison
          concernant les retraites je n’ai pas du tout jugé si les arguments de sarko faisant appel à la raison étaient faux ou justes je suis resté sur le fil raison /sentiment

          maintenant je veux bien sortir du fil ( il est bouclé )pour vous suivre sur le débat des retraites  :
          on est manipulé 
          pas par la droite parce que lorsque la gauche est dans l’opposition toutes les turpitudes de la droites sont violemment dénoncées (et elles sont nombreuses actuellement ) ,même exagérées .
          manipulés par la gauche
           la grève initiés par la gauche est un rapport de force basées sur le ressentiment , ignorant la raison .
          la démarche logique /honnête / raisonnable aurait été de dire au peuple . sarko fait une réforme inique mais ne vous fatiguez pas ne faites pas grève votez pour nous en 2012 nous annulerons tout et nous feront ceci ..............( ce n’est pas a moi ni a vous de le dire ).....

          ce qui va se passer (le ps le sait très bien )
          la grève s’usera le gouvernement cèdera sur des broutilles pour sauver la face des syndicats l’essentiel restera .par contre le ressentiment restera jusqu’en 2012 sarko ne passera pas ,le ps ne s’étant pas engagé ne reviendra pas sur la réforme et dsk en sauveur de la France ébranlée par la grève ,au bord de la faillite (comme la Grèce ) donc dsk avec le soutien du fmi pourra se glisser dans les pantoufles de sarko et aggraver la réforme pendant 5 ans .et la la droite ne dénoncera rien , les syndicats seront muselés pour ne pas mettre le ps en difficulté
          en 2017 rebelote , retour de la droite nouvel épisode du feuilleton umps !
          le scenario marche depuis 1983 il n’y a pas de raisons pour que cela s’arrête (sauf réveil des français du a internet , av ..etc.... ??????? )


        • l’arbre 17 octobre 2010 10:17

          la première insécurité est les bénéfices que se goinfrent et se partagent un nombre très minoritaire d’individus , ce , au détriment de ceux qui crèent ces bénéficices avec leur sueur,vouloir bien vivre est humain , planquer son pognon sur des ’’’’’iles ’’’’’ est criminel à chaque lettre que je tape un enfant meurt de faim ! .Que ceux qui mettent toute les fruits de cette sueur humaine , s’imaginent seuls dans le désert sans eau !!!!


        • Aldebaran Aldebaran 16 octobre 2010 20:16

          Excellent article qui fait bien de relier l’esprit critique au doute cartésien.

          Devant les autorités de l’époque, Descartes aurait été obligé de déclarer : « je pense donc je suis », après avoir affirmé : « je doute donc je suis. » Mais la hardiesse de Descartes et son articulation nous fait traverser sur un pont solide ce qui reliait la rive hasardeuse à celle qui est sécurisée, sans dépaysement ni déguisement. Mais cette horizontalité tendra à toujours minimiser la transcendance.
          De ce doute, Descartes a fait un pensée, prévisitant la future phénoménologie et l’existentialisme, et il n’y aura aucune raison objective de ne pas faire entrer Pascal parmi les précurseurs de ces divers courants.

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