La propriété, une idée neuve pour la gauche ?
La propriété individuelle n’est pas une notion typiquement de gauche. Dans le cadre de la refondation du PS, il apparaît urgent de s’intéresser à ce sujet, cruellement d’actualité sous la forme du logement, et d’apporter des réponses innovantes et de gauche.
Une des étapes les plus importantes du développement de l’enfant est la découverte, parfois douloureuse, du principe de réalité. Une fois acquis, ce principe va nous suivre toute la vie et teinter nos décisions d’adultes de réalisme et de pragmatisme. Ainsi, à la question : « De quoi a-t-on besoin pour se sentir bien ? », va-t-on mettre en avant la notion d’épanouissement personnel avant de convenir qu’il n’est pas facile d’y parvenir lorsqu’on vit dans des conditions matérielles difficiles. Posséder, pouvoir acheter par plaisir, mais bien plus souvent pour se rassurer (les acheteurs compulsifs sont des anxieux pathologiques) est essentiel. Le fait de « posséder » a un caractère sécurisant, voire gratifiant. Satisfaire les besoins essentielles, fondamentaux, des citoyens est un objectif prioritaire pour les politiques publiques, par égalité et solidarité, certes, mais aussi pour leur permettre de se consacrer à autre chose qu’à survivre : « ventre affamé n’a point d’oreille » disait le fabuliste. Il est classique de considérer que le système communiste, niant la notion de propriété, a fait une erreur majeure qui a contribué à son déclin, ou à son échec. L’évolution du système chinois et l’explosion capitaliste que l’on observe lorsque l’on va à Shanghai est une preuve assez évidente du désir d’enrichissement et donc de possession. Plus indirectement et pour illustrer l’intensité du phénomène, au-delà des considérations religieuses, la réticence au don d’organe peut être une métaphore démonstrative de la profondeur de la notion de propriété. La propriété est un besoin essentiel et elle revient aujourd’hui au premier plan de l’actualité par l’intermédiaire de la question du logement. La gauche n’a pas, par nature et historiquement, une culture positive de la propriété (« la propriété c’est le vol »), mais elle doit ouvrir une réflexion sur ce sujet et avoir un discours fort et clair. Ce discours doit s’accompagner de mesures explicites et symboliques montrant comment la gauche de demain va se saisir de cette question en innovant mais sans se renier. Distinguer la question de la propriété et du logement va à rebours de toutes les enquêtes d’opinion mais aussi du sens commun ; en effet, le logement est un problème majeur dans notre pays, plusieurs candidats à la présidentielle, mais pas la nôtre, avaient mis ce problème en haut de leur liste de proposition. On comprend aisément que ne pas avoir d’espace, vivre dans un logement que l’on n’aime pas et où sa famille ne peut s’épanouir est une souffrance quotidienne, une gêne pouvant aller parfois jusqu’à un sentiment diffus d’insécurité, voire de honte, ce qui n’est pas seulement matériel. Il est donc crucial de résoudre ce problème. La gauche se doit d’apporter une solution à cette question qui, sous un aspect concret, révèle un invariant, un archétype, de nos sociétés occidentales.
C’est toute l’habileté politique du candidat Sarkozy que d’avoir proposé « une France de propriétaires ». Et que décide-t-il : une déduction d’une partie des intérêts d’emprunt pour le logement principal de façon à alléger le coût total du bien acheté ; de quoi séduire une majorité de Français et alimenter les colonnes de la presse. Que propose le Parti socialiste, ou plutôt qu’elle réponse fait-il ? D’abord il s’oppose à cette mesure parce qu’elle favorise les ménages les plus aisés, ceux qui peuvent acheter. Ce n’est pas faux. Puis il propose, soit de réserver cette mesure aux familles à faible revenu, soit de se lancer dans un grand programme de logements sociaux avec obligation aux villes de respecter la fameuse loi SRU. A la « France de propriétaires » il oppose la France des locataires sociaux ! Qui peut aujourd’hui croire que le slogan de campagne « une France de locataires en HLM » va galvaniser le « peuple de gauche » ? La gauche continue, avec une belle obstination, à proposer cette mesure alors que l’opinion publique adhère massivement au projet de droite et rejette, ou ne croit pas, au projet socialiste. Difficile de considérer cette proposition comme un progrès social et humain dans la France d’aujourd’hui. Ni la proposition (moins d’impôts)de Sarkozy, ni la réponse socialiste (plus d’Etat) ne permettent de solutionner le problème. Mais le nouveau président de la République marque des points en associant une politique qui satisfait tout à la fois l’aspiration populaire à la propriété et celle, tout aussi populaire, au rôle effectif de l’Etat. Communication, démagogie ? Possible ! Mais efficace car répondant à une notion collective profonde et partagée. La mesure semble alors rendre possible un rêve grâce à une solidarité de l’Etat (qui perçoit moins d’impôts) et lui donne une allure équitable (tout le monde peut le faire). Le Parti socialiste est, lui, gravement en dehors du sujet, paralysé par sa culture de générosité. Cette générosité constitutionnelle est un fantasme historique. Elle l’empêche d’agir et d’innover. Elle donne l’impression terrible du nivellement par le bas. Et en plus, on peut s’interroger sur la capacité de l’Etat et des collectivités à construire les 7 millions de logements sociaux qui seraient nécessaires, de les gérer, d’éviter les effets de seuils des plafonds de ressources.
Que pourrait-on proposer qui soit de gauche progressiste et moderne ?
Même si comme Bernard Stigler on peut avoir l’idée que le consumérisme à outrance porte en lui les germes de la chute du capitalisme, force est de constater que ce dernier se porte plutôt bien, si l’on en juge à son degré d’exportation internationale. Prenons-en acte, sans renoncement mais avec pragmatisme et réalisme. Et pour ne pas renoncer, redonnons à la politique toute sa force, et au pouvoir politique, c’est-à-dire à l’Etat, tous ses moyens d’intervention. L’Etat possède, malgré tout et on le voit aujourd’hui, une forte capacité budgétaire et une forte capacité d’emprunt. Il pourait donc immobiliser, pour une période courte de 12 à 18 mois, une somme importante. Il peut utiliser cette somme pour acheter, ou faire construire, des logements sur tout le territoire dans une proportion jamais envisagée jusqu’à lors de plusieurs millions d’appartements et de maisons. Il achète au prix actuel du marché mais bénéficie d’un effet de masse puisqu’il peut se porter acquéreur d’un immeuble entier ou d’un lotissement complet. C’est lui qui désormais fait les ventes à la découpe. Après cette première vague d’achat, il effectue une revente à prix coûtant, ce faisant il fait baisser les prix du marché, qui peuvent même s’effondrer. Certes, il ne fait pas une bonne affaire, ce différentiel initial représentera dans notre démonstration le prix que l’Etat, donc les Français, sont prêts à payer pour résoudre le problème du logement. Gageons que cet investissement sera inférieur aux cadeaux fiscaux de Nicolas Sarkozy... Ensuite, il reproduit l’opération jusqu’à la résorption de la problématique des mal-logés, rapidement, les prix ayant baissé encore, tous le monde devrait pouvoir en bénéficier. Et cela d’autant plus que d’astucieux dispositifs d’aide aux prêts, pourquoi pas effectués directement par l’Etat lui-même, devraient permettre à chacun d’emprunter. Quelques points peuvent être soulevés dès à présent en réponse aux agents techniciens de l’administration qui vont dire que cela est impossible et à ceux qui trouveraient cela démagogique :
• Bien entendu, ces logements devraient bénéficier d’un droit immobilier particulier impliquant qu’ils ne peuvent être cédés à un prix supérieur à leur prix d’achat durant une période incompressible de 20 ans, le dispositif pourrait être celui d’un bien dit grevé.
• L’Etat risque, par ses investissements massifs, de faire monter les prix. Ce risque existe mais il n’est pas certain, en particulier parce que l’Etat dispose de moyens d’aménagement du territoire (route, autorisation d’implantation de commerces, etc.) qui peuvent permettre de valoriser des biens et des terrains a priori peu chers. C’est probablement dans cette direction que se feront les premiers achats. La conséquence la plus probable est que les investisseurs vont délaisser l’immobilier (ce qui ne sera pas un mal) au profit, pourquoi pas, des entreprises petites ou grandes.
• Les mesures de Nicolas Sarkozy sont, elles aussi, censées favoriser la propriété, mais l’Etat dispose d’une carte dans sa poche qu’il ne prévoit pas d’utiliser. Il peut profiter de cette action pour promouvoir, outre l’aménagement du territoire, le développement durable par la mise en place de logement aux normes environnementales les plus strictes et donc proposer aux acquéreurs des logements de qualité.
• La gauche pourrait dire qu’il faut alors ajuster les prix en fonction du revenu. Ce serait une réponse qui, une fois de plus, alimenterait le nivellement par le bas. La gauche doit accepter l’idée qu’il vaut mieux des injustices relatives, que des inégalités qui se creusent. Ce dernier point s’entend à l’exclusion des plus démunis (qui peuvent bénéficier d’aides) et des plus riches, très riches (qui n’ont pas d’intérêt à acheter ce genre de biens puisqu’ils ne peuvent plus spéculer ou louer à prix d’or leurs appartements).
• Enfin, dernier point qui est l’avantage le plus stratégique, il s’agit d’une réponse de gauche avec un Etat qui intervient pour solutionner un problème qui touche majoritairement un électorat qui nous est possiblement favorable. Cette réponse utilise le système pour le tourner vers les besoins des citoyens, elle est moderne, elle revient aux fondamentaux d’une gauche qui croit en l’Etat.
Cette mesure mérite sûrement d’être approfondie sous les angles techniques et financiers, mais elle est une réponse politique à un problème social et humain lancinant, non résolu en 81 ni en 97. La gauche ne doit plus attendre pour savoir comment loger les Français, consolider les familles et apaiser les « cités ». Annexe : Le calcul rapide du coût est le suivant : Acheter ou faire construire 1 million de logements de 100 m2 à 2 500 euros du m2 (prix moyen national FNAIM appartements et maisons réunis) coûterait 250 milliards d’euros. L’emprunt de cette somme pourrait être effectué par les établissements publics fonciers locaux en leur permettant d’acquérir du bâti et étendre leurs ressources à d’autres types de recettes fiscales (droits de mutation par exemple). Le remboursement de cette dette, de courte durée, serait largement supportable et ne viendrait pas s’additionner à la dette de l’Etat.
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