Que la Fondation AgoraVox incite par une publicité à un soutien public, rien de plus naturel et de plus sain ! Que celle-ci n’hésite pas à critiquer la concurrence, aucun problème ! Encore faut-il que le reproche qui lui est fait, soit fondé. Or, il ne semble pas qu’il le soit ici.
Une caricature trompeuse
Peut-on, même par caricature et donc outrance simplificatrice, réduire l’information diffusée par les médias traditionnels, symbolisés ici par la télévision, à cette sommaire onomatopée « Blablabla » ? Ce serait trop simple. N’est-ce pas au contraire parce que l’information qu’ils diffusent, est autre chose que du « blablabla » et qu’elle est même très élaborée, qu’elle nécessite l’analyse à laquelle appelle avec raison la Fondation AgoraVox ?
Les médias comme arguments d’autorité
Avant l’existence d’un site comme AgoraVox rendu possible par le prodige d’Internet, la relation des médias aux récepteurs étaient exclusivement descendante. L’information était proférée par des prophètes sur la montagne en direction du peuple dans la plaine. Mac Luhan le perçoit clairement dès 1968 dans son ouvrage « Pour comprendre les médias ». Indépendamment des sujets traités, cette simple orientation, selon lui, est même l’information essentielle diffusée chaque fois par les médias traditionnels, qu’ils soient journaux, radios ou télévisions et quoi qu’ils disent : « Le médium est le message », résume-t-il dans un beau paradoxe. Sans pouvoir répliquer ni contester, le lecteur, auditeur ou téléspectateur est alors en situation de seule réception et donc de soumission à une autorité qui l’informe de haut en bas comme bon lui semble.
C’est ainsi que les médias traditionnels ont usurpé une autorité et prétendu livrer de la réalité la seule représentation légitime. Des formules naïves populaires l’attestent : « Je l’ai lu dans le journal ! - On l’a dit au poste ! » La publicité en fait même un argument d’autorité pour vendre n’importe quoi dès lors que le produit a été présenté dans une émission : « Vu à la télé » est toujours affiché comme un label de qualité.
Des poupées journalistes comme leurres d’appel sexuel
Le recrutement d’un type particulier de journalistes a ajouté à ce leurre de l’argument d’autoritéle leurre d’appel sexuel dont la force est de rejeter en lisière de perception tout autre considération que lui-même sous l’empire de l’attirance sexuelle provoquée. Où que l’on tourne les yeux, les chaînes de télévision exhibent aujourd’hui des poupées-journalistes (hommes et femmes). Qu’importe les informations qu’elles développent, les récepteurs ont plus d’yeux pour leur grâce que d’ouïe pour leurs paroles. Le paradoxe de Mac-Luhan reçoit ici un second sens : la sidération exercée par « l’objet du désir » qu’est le ou la journaliste est la seule information essentielle, quels que soient ses propos.
L’information indifférente
Pour autant, ces informations ne sont pas du « blablabla ». Elles obéissent aux contraintes inexorables qui s’exercent sur l’information. L’une d’elles est la contrainte des motivations de l’émetteur qui ne saurait révéler volontairement une information susceptible de lui nuire. Dans ce contexte, l’information donnée qui est livrée volontairement peut être vue souvent comme du « blablabla ». Il est plus pertinent de l’appeler information indifférente qui, en raison de son apparence futile ou frivole (stars, sports, temps, faits divers, modes d’emploi), permet d’écarter les sujets qui fâchent et sert de leurre de diversion. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’elle envahit l’espace de diffusion d’information pourtant si exigu : elle fournit dans les démocraties un instrument de censure discrète en ne laissant plus de place aux autres informations, quand les tyrannies, elles, recourent à la violence de la censure ouverte : les colonnes blanches de journaux comme en 14/18, l’interdiction des journaux ou l’incarcération des journalistes quand ce n’est pas leur assassinat.
Le leurre de l’information donnée déguisée en information extorquée
Mais l’information donnée stratégique, même formulée selon les stéréotypes de la langue de bois, peut révéler, de son côté, un arsenal de leurres insoupçonnés, comme le leurre de l’information donnée déguisée en information extorquée si méconnu. Une émission de Christophe Nick sur France 2, le 17 mars prochain, invitera à en prendre la mesure. S’inspirant des expériences de Stanley Milgram, elle devrait obliger un acteur de jeu télévisé à infliger sur l’ordre de l’animatrice Tania Young des décharges électriques à un autre.
Milgram avait masqué son étude de la soumission à l’autorité par une prétendue observation des effets de la punition sur l’apprentissage. Ainsi voit-on, dans le film d’Henri Verneuil, « I comme Icare », (1979) - qui, pendant 20 minutes, reproduit sommairement ces expériences - le professeur Nagarra (alias Milgram) se tromper volontairement sur l’identité d’un des deux participants en l’appelant du patronyme de l’autre : « M. Rivoli ? lui demande-t-il en lui tendant la main – Ah non ! M. Despaul ! » se récrie l’intéressé. « Alors vous, vous êtes M. Rivoli ! » réplique Nagarra en s’adressant au second participant.
Pourquoi cette mise en scène ? Pour que M. Despaul en conclue sans aucun doute possible que le professeur Nagarra ne connaît pas M. Rivoli, qui est pourtant son assistant ! Car Despaul, comme moniteur, va être chargé de punir chaque erreur de l’élève Rivoli à coup de décharge électrique. Les erreurs de Rivoli n’importent pas, il ne reçoit aucune décharge, il mime la douleur. Mais Despaul n’en sait rien : il est, lui, le seul sujet d’étude : jusqu’où obéira-t-il dans la gradation des ordres de punition par décharge électrique qui vont de 15 en 15 volts jusqu’à 450 volts ?
Une information donnée – peu fiable par nature - est donc livrée à Despaul par Nagarra – « Je ne connais ni l’un ni l’autre des participants » - en lui offrant la prémisse implicite d’un syllogisme – « Nagarra s’est trompé sur les identités » – pour qu’il en déduise une conclusion qui devient par raisonnement personnel de Despaul une information extorquée, plus fiable par nature – « Nagarra ne connaît ni l’un ni l’autre ». Le tirage au sort des postes de moniteur et d’élève est l’objet du même leurre : Despaul est invité le premier à choisir à l’aveugle un papier qui le désigne comme moniteur. Un raisonnement implicite l’amène, ici aussi, à convertir l’information donnée qui n’est pas fiable en une information extorquée plus fiable : « Puisque les postes ont été tirés au sort, j’avais une chance sur deux d’être moniteur ou élève ». Seulement, il ignore qu’il ne pouvait être élève puisque les deux papiers qui lui ont été présentés, portaient tous deux la mention « Moniteur ».
Le leurre de l’information donnée déguisée en information extorquée est fréquemment utilisée : qu’on se souvienne de « l’affaire des Irlandais de Vincennes » où la cellule antiterroriste de l’Élysée a déposé les armes et l’explosif au domicile des prévenus pour mieux les confondre, en août 1982 : armes et explosif « découverts » n’étaient-ils pas la preuve de la dangerosité des individus. L’affaire du bagagiste de Roissy en décembre 2002 et janvier 2003 a connu le même leurre et Dieu sait si les médias s’y sont enferrés : par suite d’un conflit familial, des armes avaient été placées dans sa voiture pour en faire un terroriste. Outre l’objet compromettant simulé, il en va de même chaque fois que sont simulés des aveux, des accidents, des enquêtes, des pluralismes de sources, des procès ou même des photos instantanées.
Il est donc simpliste de qualifier de « blablabla » l’information que diffusent les médias traditionnels. Elle met en jeu des stratégies autrement plus complexes que cette caricature le laisse penser. Elle mobilise parfois des leurres et des réflexes qui, chaque fois, peuvent tromper le récepteur qui les ignorent. C’est bien d’ailleurs parce que cette information n’est pas du « blablabla » qu’elle nécessite une analyse. Mais celle-ci n’est possible que si l’on dispose de concepts fondés. Or, la particularité des médias est de brouiller les pistes : n’ont-ils pas commencé par rendre incompréhensibles pour en faire des leurres les mots mêmes de « communication » et d’ « information » ? Paul Villach