La quête du sens dans un monde à la dérive
L'homme est cet étrange animal qui ni peut s'empêcher de se poser la question du sens de l'existence. Pourquoi y-a-t-il quelque chose plutôt que rien ? Dans sa recherche de trouver un sens à sa vie il a trouvé, au cours des siècles, deux types de réponse, qu'on peut appeler matérialiste et idéaliste. L’homme, ne serait-il que le plus évolué des mammifères, ou y a-t-il une différence essentielle qui le met au-dessus de tout animal ? La première thèse est une thèse matérialiste, qui a l’avantage d’être logique, cohérente et simple. C’est un point de vue rationnel, confirmé par l’empirisme : la réalité semble bien être ainsi. L’homme est bien un animal, supérieur aux autres, certes, mais par le degré seulement ou la qualité. C’est son intelligence supérieure qui l’élève au-dessus de tous les autres animaux.
Le matérialisme athée, qui consiste à tenter d’être heureux malgré le tragique de la vie, au lieu de lui chercher un sens aléatoire, trouvent beaucoup d’acceptation. Mais, il entraîne des conséquences inquiétantes : il n’y a plus de valeurs absolues ; il n’y a que des opinions, donc il n’y a pas de morales universelles, mais seulement des mœurs, des us et coutumes et c’est la morale qui doit se conformer aux mœurs et non pas l’inverse. Pour le matérialiste, la notion du bien et du mal se réduit à ce qui est socialement utile ou nuisible. Mais l’utilité, à proprement parler, n’est pas une valeur morale. S’il est vrai que nos croyances et nos règles morales se fixent parallèlement à l’acquisition de la langue, et sont ainsi déterminées par l’éducation, on accepte difficilement que tout soit relatif et prédéterminé.
D’une part, l’être humain possède clairement une dimension de liberté de choix que les animaux n’ont pas, et d’autre part nous pensons que certaines de nos valeurs sont quand même universelles.
Pour le matérialiste, la mort est le néant définitif, et le sens de la vie reste énigmatique. Il aura tendance à penser qu’il ne faut pas chercher un sens de la vie, mais plutôt d’en donner un, notamment tout simplement d’en profiter au maximum, ce qui revient au principe de Bentham : « Seek pleasure and avoid pain« - ce que fait tout animal. Ce qui relativise l’importance de la mort. Même les arguments contre la peine de mort sont relatifs. Le principal argument matérialiste contre la peine de mort consiste à démontrer qu’elle est inutile socialement : elle ne réduit pas le nombre de meurtres. Mais beaucoup de matérialistes ne sont pas contre la peine capitale pour certains crimes. Ils considèrent, par exemple, que d’avoir condamné à mort Hitler et les élites nazis était bien, et que l’exécution d’Eichmann était juste.
L’antithèse consiste à dire que l’homme n’est pas seulement le plus évolué des mammifères, mais qu’il possède en plus une conscience morale qui lui confère une dimension transcendantale lui permettant de ressentir que le sens de sa vie se trouve non seulement dans sa vie terrestre mais aussi au-delà. La mort est la conclusion de la vie terrestre, mais ce n’est pas un vide ou un néant définitif. Cette position idéaliste ou spiritualiste n’est pas moins raisonnable que la position matérialiste, puisque c’est notre raison qui nous indique qu’il doit y avoir quelque chose après la mort afin que la vie ait un sens. En reniant cette dimension de l’esprit humain, on se trouve confronté à l’absurdité de la vie comme décrite par Camus ou au gouffre de l’existentialisme de Sartre.
C’est la conscience morale qui distingue l’homme de l’animal. Elle est la source de la notion de devoir et elle est commune à tout être humain. Le sentiment éthique varie d’une société à une autre, mais il y a des bases communes. Arabes, Hindous, Chinois, Européens ont des mœurs différentes, mais leurs préceptes moraux ont beaucoup en commun. Tout être humain est disposé à un comportement moral, même si cette prédisposition est souvent étouffée par l’égoïsme. La conscience morale est le fondement de l’éthique. Elle est innée - Caïn savait spontanément qu’il avait fait un mal. Elle est soutenue par la raison, mais en aval non pas en amont. La raison n’est pas sa source. D’où vient cette conscience morale ? Pour le matérialiste : de la biologie sélective et de l’éducation. Pour l’idéaliste c’est l’étincelle de l’absolu, du divin, du transcendantal en nous qui nous fait savoir que l’homme n’est pas seulement un animal, pas seulement la somme de ses molécules physiques, et c’est cette étincelle de l’absolu en nous qui nous élève au-dessus de notre condition animale.
Les matérialistes écartent cette thèse comme « mythe rassurant », mais ils ont un certain confort est aussi de leur côté, car en se libérant de tout doute métaphysique, sans Dieu et sans vie après la mort, on n’est responsable que de soi-même, et l’individu peut affronter sa vie de manière logique et rationnelle. L’angoisse du doute reste le lot de l’idéaliste, sauf pour le croyant, convaincu de la vérité révélée de sa religion. Débarrassé de la croyance, la moi se trouve dépouillé de tout dogme et rêve d’être lui-même son propre recommencement. L’existence n’est plus vouée à un but qui se trouverait au terme du chemin : l’existence est le chemin même. Sans les dogmes et les croyances qui les avaient fait naître, on retourne à la simple vie. Faute d’espérer une transcendance, on trouvera sa joie dans l’ordinaire, et le signifiant dans ce qui paraissait autrefois insignifiant.
Les deux thèses sont à la fois invérifiables et infalsifiables. A chacun de trancher selon sa propre intuition ou conviction. La philosophie ne peut pas fournir une réponse définitive à la question, mais, en même temps, l’homme, inquiété par la conscience de sa mort, ne peut s’empêcher d’y réfléchir. Même les disciples du Bouddha n’échappaient pas à cette angoisse existentielle : ils lui demandaient régulièrement des précisions sur le Nirvana. Sa seule réponse était de leur reprocher de trop s’occuper du futur, insistant sur la sagesse de vivre dans le présent.
Le conseil de vivre dans le présent se retrouve aussi chez Pascal : « Le présent est le seul temps qui est véritablement à nous, et dont nous devons user selon Dieu. C’est là où nos pensées doivent être principalement comptées. Cependant le monde est si inquiet, qu’on ne pense presque jamais au présent et à l’instant où l’on vit ; mais à celui où l’on vivra. De sorte qu’on est toujours en état de vivre à l’avenir, et jamais de vivre maintenant. » Cette réflexion de Pascal me semble très juste, et encore très vraie à notre époque !
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