La reine rouge de l’immunité va-t-elle gagner face au SARS-CoV-2 ?
Cette étude propose d’interpréter l’évolution du SARS-CoV-2 et de l’épidémie à la lumière de concepts inventés dans le cadre de la compréhension de l’évolution. Elle tente de conférer un sens aux observations scientifiques mais ne propose aucune solution thérapeutique. Quant aux mesures de freinage, elles relèvent du politique.
La mécanique rationnelle peut calculer avec une précision inouïe la trajectoire d’une comète, en revanche, les simulations sur le climat ou sur l’évolution d’une épidémie ne sont pas fiables car elles dépendent de deux indéterminismes, l’un épistémologique, l’autre ontologique. Le modélisateur ne connaît pas tous les paramètres et les processus étudiés dépendent des conditions quantiques, autrement dit, ils sont fondamentalement probabilistes et influent sur les prédictions. Le ciel est réglé par le Kosmos et la gravité, les phénomènes terrestres dépendent du Kronos et des fluctuations quantiques. Y compris le vivant. Ce double indéterminisme explique que les récentes prédictions sur le cours de l’épidémie de Covid-delta se sont avérées erronées. 50 000 contaminations/j devaient affecter les enfants après la rentrée scolaire. Le chiffre relevé est inférieur à 2500, soit une division par 20. A quoi joue l’épidémie ? On peut tenter d’y voir plus clair en utilisant l’hypothèse de la reine rouge.
1) La reine rouge (extraits d’un essai en préparation du l’évolution)
Il y a quelque 50 ans, l’évolutionniste Van Halen cherchait quelles causes pouvaient expliquer l’extinction des souches microbiennes et des espèces. Il proposa de concevoir une évolution dynamique imposant à chaque organisme de s’adapter en permanence, non pas pour faire face aux conditions physiques mais pour rester dans le jeu existentiel en présence d’autres organismes amenés eux aussi à s’adapter. Le principe est assez simple, calqué sur la concurrence entre entreprises, chacune devant innover sans cesse pour éviter de disparaître face à des concurrents plus audacieux. Cette hypothèse a été nommée hypothèse de la reine rouge, en référence au livre de Lewis Carroll, De l’autre côté du miroir. Lors d’une course effrénée Alice remarque que : « l’on arriverait généralement à un autre endroit si on courait très vite pendant longtemps, comme nous venons de le faire. » Et la reine de répondre : « Ici, vois-tu, on est obligé de courir tant qu’on peut pour rester au même endroit. Si on veut aller ailleurs, il faut courir au moins deux fois plus vite ». Le principe est simple, pour rester en place dans un biotope, chaque espèce doit s’adapter avec la même vitesse que les autres espèces. Et donc suivre la reine rouge qui donne la cadence. A l’origine, l’hypothèse de la reine rouge a été formulée pour expliquer la course aux « armements géniques » réalisée par des micro-organismes. Elle a été étendue aux organismes pluricellulaires. Cette hypothèse doit cependant être mise au point. L’image de la course aux armements est trompeuse, laissant penser qu’il y aurait une intention sélectionnée. En réalité, le génome des micro-organismes ne cesse de muter, de créer des cartes, mais ce sont les phénotypes qui déterminent le résultat de la sélection. La reine rouge n’est ni à l’origine de ce processus ni une règle, elle décrit le résultat du jeu adaptatif joué par les micro-organismes, et comme le précise Van Halen, le jeu est à somme nulle.
Il n’y a aucune reine rouge qui détermine le rythme adaptatif, ce sont les organismes qui contribuent à déterminer la vitesse nécessaire pour suivre le rythme, à l’instar des coureurs de fond qui règlent la vitesse de la course et non pas un directeur de course assis sur le banc de touche. L’hypothèse de la reine rouge, formulée en 1973, a nourri les spéculations sur les ressorts de l’évolution, en s’appuyant sur la masse colossale de séquençages génomiques.
Une autre figure est entrée dans le jeu génomique afin de décrire une évolution réductive (Que je suggère d’opposer à une évolution productive). La reine noire désigne elle aussi un résultat et non pas une règle. La reine noire conduit vers une issue en sens inverse de la reine rouge. Cette hypothèse a été introduite par Jeffrey Morris en 2011. Lorsque des cartes apparaissent, les conserver et les transmettre impose un coût du point de vue de la logistique mnésique. Alors, il arrive que des organismes se délestent de gènes pour diverses raisons. Parce qu’une protéine structurale ou fonctionnelle n’est plus utilisée, parfois remplacée par une autre, ou quand se produit une coopération symbiotique, les organismes comptant alors sur d’autres espèces pour assurer quelques fonctions vitales. La reine noire tire son origine d’un jeu de cartes américain « Heart » ; certaines cartes donnent une pénalité à celui qui les détient. La plus grosse pénalité est attribuée à la reine de pique qui est la carte par excellence dont il faut se délester pour espérer gagner la partie. Dans un certain sens, la reine noire décrit une évolution plus subie que poussée par un élan vital, une invention de forme. Je ne parlerai pas de la reine écarlate dans l’évolution, qui n’a pas sa place en virologie, et que j’ai introduite dans mes recherches sur l’évolution.
Pour résumer, l’évolution des micro-organismes se conçoit comme un jeu de cartes génomiques transmis de génération en génération avec un brassage de cartes, des insertions de cartes et d’autres dont le jeu s’est défaussé. Les cartes sont à l’image de notices de montage, elles sont lues, décodées, transcrites en épigénomes puis en protéome ce qui permet de produire les phénotypes fonctionnels dans l’existence. La « mécanique » de la diversification joue sur deux niveaux au moins, le génome qui fournit l’identité spécifique et génotypique du spécimen, de l’espèce ; le monde des ribosomes qui gouverne en relation avec le génome et avec l’environnement l’identité phénotypique. C’est ce second niveau qui gouverne les phénomènes de pléomorphisme, autrement dit des variations induites par l’environnement, ou alors stabilisées par ce même environnement. La diversification phénotypique est un processus de type source effectué en réaction aux variations du champ qui représente la partie de l’environnement pouvant influer sur les sources.
2) La reine rouge et le développement des virus
Les mécanismes de diversification génétique utilisés dans le jeu de la reine rouge ont été observés dans le monde des micro-organismes mais aussi des animaux. Il ne faut pas oublier que la sélection et l’adaptation se jouent avec les cartes génomiques transcrites et traduites en épigénome et protéome. Le jeu de la reine rouge s’applique au développement de l’épidémie de Covid sous réserve que l’on effectue deux sauts (shift) de paradigme. D’abord concevoir une diversification au niveau épigénétique, puis admettre que les acteurs en présence sont les cellules immunitaires de l’organisme et les cellules infectées. Le système immunitaire ne combat pas un virus mais les cellules transformées par le virus et qui deviennent des agents étrangers. Les cellules infectées sont lancées dans une lutte pour proliférer en utilisant les signaux viraux qui transforment le phénotype cellulaire, cette lutte se joue contre les cellules immunitaires. C’est un combat non pas génétique mais épigénétique qui se joue avec les phénotypes. Avec d’un côté les armes épigénomiques fournies par le virus et combinées aux mécanismes épigénomiques des cellules infectées, de l’autre les armes épigénomiques des cellules dendritiques, des lymphocytes CD4+, CD8+, des cellules B et T de la réponse adaptative, plus d’autres cellules recrutées pour la réponse inflammatoire.
Le jeu phénotypique de la reine rouge immunitaire est en principe asymétrique dans la mesure où l’armement épigénomique des cellules immunitaires est plus vaste, intégré dans le génome, sélectionné depuis des millions d’années. Contrairement à ce qu’indique la thèse néodarwinienne, la diversité génétique n’est pas un processus accidentel et aléatoire, comme un jeu de dés ; elle est souvent générée par les organismes vivants en réponse (réaction) à une situation d’instabilité, de stress, de nouveauté (Muraille, 2018). Lors de l’infection virale par le SARS-CoV-2, les cellules infectées utilisent les armes épigénétiques pour en infecter d’autres, mais aussi pour se défendre contre l’offensive menée par les cellules immunitaires. Cette guerre entre phénotypes utilise la diversité épigénétique, traduisant des deux côtés une multiplication de déterminants phénotypiques si bien qu’un pléomorphisme immunitaire se développe chez un patient infecté. Ce pléomorphisme concerne également le virus. Les virions produits par les cellules infectées ne sont pas tous identiques si l’on note que chaque virion doit être fabriqué en ajoutant des composants supplémentaires sur les protéines structurale et notamment des sucres, surtout sur la protéine S qui possède 22 sites pouvant être glycosylée, l’opération se déroulant lors de la phase de maturation dans l’appareil de Golgi.
La reine rouge décrit la variabilité génotypique et phénotypique dans les organismes vivants. Elle est un élément important dans l’explication du vivant, signalant la place des générateurs de diversité dans les équilibres écosystémiques ainsi que la réponse adaptative lorsque les déséquilibres se produisent. Elle est rarement invoquée pour expliquer les infections virales et les épidémies. Car le virus n’est pas considéré comme un organisme. En revanche, si un virus est interprété comme un générateur de diversité agissant de manière inappropriée, alors les cellules infectées peuvent être insérées dans le jeu de la reine rouge. Lorsqu’un virus pénètre dans un tissu, les cellules changent de phénotypes et adoptent un comportement aberrant, si bien que la réponse de l’organisme est interprétable comme une maladie auto-immune. La maladie virale est un désordre phénotypique, alors que le cancer est un désordre dans les génomes cellulaires dont l’effet devient incontrôlable et conduit à une croissance de la tumeur. Lors d’une infection virale, il n’y a pas de croissance cellulaire mais la propagation dans les tissus d’une modification phénotypique.
Pour résumer, un virus réalise en utilisant le principe du transfert horizontal de gènes un transfert horizontal de phénotype, alors que la cellule mature d’un organisme résulte d’un transfert vertical de phénotype, autrement dit l’expression d’un des phénotypes possibles encodé par le génome et généré en réaction à un environnement. Le virus est un mécanisme archaïque, hérité des origines de la vie et qui n’a pas été éliminé pour on ne sait quelle raison. Le virus génère des phénotypes chimériques, autrement dit une diversité phénotypique dans les cellules infectées qui n’en n’ont pas besoin mais qui se laissent en quelque sorte piéger par la ruse du signal encodé par le virus. Plusieurs scénarios sont alors joués au sein d’une population servant de réservoir à un virus.
a) virus endémique et reine noire. La plupart des virus ne sont pas détectés car ils sont hébergés dans des réservoirs d’espèce sans occasionner de pathologie. Les organismes ont alors développé des mécanismes de freinage viral permettant de contenir la puissance de transformation phénotypique. Un équilibre se dessine, une symbiose en quelque sorte. Cette conjoncture a été observée dans de nombreuses espèces animales et tout particulièrement dans celles qui nous intéressent au plus haut point, les chauves-souris. La reine noire peut être teintée de rouge lorsqu’un virus crée des affections en nombre, au rythme des saisons, comme on le constate avec les virus causant le rhume, coronavirus historiques, rhinovirus, grippe H1N1. La situation ne diverge plus, elle est stabilisée et le virus est classé comme endémique.
b) Divergence épidémie et reine rouge. Lorsqu’un virus engendre une épidémie, c’est que son mécanisme de perturbation phénotypique influence les cellules hôtes et que l’infection virale prend un ascendant sur la réponse immunitaire des populations infectées. C’est ce qui s’est produit avec l’émergence de la pandémie causée par le SARS-CoV-2. Le générateur de diversité a produit une conjoncture de type reine rouge. Le virus historique a généré plusieurs phases pandémiques avec la diversification des variants. Cette évolution n’a rien d’inédit si l’on se réfère à une revue sur les générateurs de diversité dans les interférences biologiques : « Les générateurs de diversité jouent un rôle clé dans la relation hôte/pathogène. L'hôte et l'agent pathogène présentent tous deux des mécanismes DG (génération de diversité) et une grande partie de leurs interactions dépendent de ces mécanismes. La relation hôte/pathogène peut, en partie, être considérée comme une compétition entre les DG au niveau de la population. L'importance de la diversité individuelle dans le contrôle des épidémies n'est actuellement pas prise en compte dans les stratégies vaccinales. Dans le cadre des campagnes de vaccination, il peut être important d'éviter l'uniformisation des réponses immunitaires. Ainsi, comme je l'ai suggéré précédemment, il pourrait être intéressant d'administrer des vaccins distincts ciblant le même pathogène au sein d'une population donnée. » (Muraille, 2018)
Le principe de la reine rouge a accompagné l’évolution de la pandémie avec l’apparition des variants grâce à la ruse de la diversification. Actuellement, trois variants delta circulent, 21A, 21I et 21J. Face aux variants, les humains infectés disposent des générateurs de diversification immunologique employés par les cellules en première puis seconde ligne dans la défense contre les tissus infectés. La diversité en immunoglobuline est un atout qui peut être renforcé par un vaccin bien ajusté, capable de rendre plus efficace la partie réglée par la reine rouge immunitaire.
c) la fin de l’épidémie. La convergence endémique se produira lorsque le jeu de la reine rouge sera achevé et que le virus basculera dans une tendance de type reine noire. La reine rouge de l’immunité aura alors réduit l’infection virale au sort réservé par la reine noire. Cette éventualité nous échappe, même si la vaccination peut freiner modérément l’offensive virale tout en préservant les sujets à risque des formes graves. Le schéma le plus probable est la convergence endémique, avec une circulation modérée du virus et c’est la tendance observée dans la plupart des pays.
Muraille, E. ; Diversity Generator Mechanisms Are Essential Components of Biological Systems : The Two Queen Hypothesis ; Front. Microbiol., 13 February 2018
https://doi.org/10.3389/fmicb.2018.00223
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