La révélation
L’arrestation d’un magnat, russe, de l’internet, Pavel Durov, PDG de Telegram, constitue une révélation. Une double révélation.
Tout le monde y a vu une atteinte à la liberté d’expression, un contrôle de la population par celui du moyen d’échanger des idées. Nous sommes dans une prison à ciel ouvert où, comme le décrivait Michel Foucault, l’activité principale de l’État est désormais de « surveiller et punir ».
Nous avons vu à quel point les élections n’avaient plus pour conséquence de porter une majorité au pouvoir, mais l’occasion d’asseoir le pouvoir des dirigeants choisis par l’oligarchie, ou de nier les résultats. La population vote pour ceux qui lui sont désignés ou bien on la sanctionne.
Désormais nous voyons à quel point l’oligarchie cherche à assurer à tout prix le contrôle des esprits, par la censure, le mensonge, les affabulations (les anglo-français disent « narrative »), y compris en arrêtant un membre de cette même oligarchie lorsqu’il devient un dissident.
La censure à tout prix dans notre démocratie exemplaire est donc le premier objectif de cette arrestation. Faire taire définitivement les voix dissonantes. Mais l’hyper-crise que nous vivons ne permettra sans doute pas de les faire taire, car d’autres viennent par d’autres moyens. D’autre part, l’effet dialectique de cette arrestation est de mettre en lumière la fausseté profonde du mythe occidental comme étant le lieu de la libre expression. Autrefois, les dissidents russes étaient utilisés pour affaiblir l’URSS, et cela a bien fonctionné, au nom de la liberté. Mais aujourd’hui, c’est un dissident russe qui est le symbole de cette perte de liberté en Occident. Les rôles se renversent, et ce n’est pas au profit de l’image réelle que cet Occident donne.
Le second objectif, plus sournois, plus caché, mais peut-être beaucoup plus profond, est celui de la concurrence que crée Telegram face au monopole états-unien de l’internet et des réseaux sociaux. Ils réitèrent en France ce qui avait été envisagé contre Tiktok aux USA.
Là réside le vrai danger auquel est confronté le capitalisme immatériel états-unien devenu prépondérant. Cette concurrence menace tout simplement la base même de leurs profits. Car si massivement une part importante de la population se tourne vers ces nouveaux produits, ce sont autant de clients, donc de sources de profit qui échappent ainsi aux méga-structures états-uniennes.
Alphabet, propriétaire de Google, Youtube, Androïd notamment ou Facebook, propriétaire de WhatsApp, mais en général les Gafams, craignent pour leurs bénéfices, car une extension des réseaux concurrents diminuera leur profitabilité, ce qui avec les investisseurs volatiles peut rapidement finir par un effondrement boursier.
C’est alors l’ensemble du système, le turbo-capitalisme, qui pourrait être touché, car il repose désormais beaucoup plus sur l’immatériel, que le matériel. Chute du nombre d’abonnés, chute des entrées via la pub et le partage de données, perte de confiance, le cercle infernal habituel craint.
Le pendant de la baisse tendancielle du taux de profit dans le capitalisme matériel (dû à l’augmentation relative du capital fixe par rapport au capital variable), verrait le jour au niveau du capitalisme immatériel, via la perte d’attractivité, créant une baisse du taux de profit immatériel.
Cette baisse peut s’expliquer simplement par le fait qu’au début, une innovation apporte un avantage comparatif, mais au fur de l’écoulement du temps, d’autres entités deviennent à leur tour capables de développements équivalents, mais à moindres frais. La plus-value immatérielle provenant de la qualité d’information et de conception aura alors tendance à diminuer. Mais utiliser les tribunaux pour éliminer les concurrents dans un monde soi-disant libéral peut s’avérer fatal sur la confiance vis-à-vis de ce système censé prôner la concurrence libre et non faussée !
Cette arrestation constitue alors une double révélation. Celle de la perte de démocratie en Occident, qui n’est pas vraiment nouvelle, et celle de la fragilité de la nouvelle économie turbo-capitaliste basée sur la financiarisation de l’immatériel. Comme si le turbo avait des ratés.
Dans le même temps, ce sont deux mythes occidentaux qui sont ainsi malmenés, celui de la libre parole et celui de la libre concurrence.
Si cette hypothèse est vraie, il faudrait s’attendre à une situation vraiment chaotique en Occident, même si c’est déjà le cas, s’il renonce à ses propres mythes pour sauver ses mises de fonds.
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