La santé version américaine en France pour 2012 ?
Nicolas Sarkozy a durci le ton, mardi à Cahors (Lot), sur les politiques sociales, qu’il lie au déficit et à la dette, et a prévenu que le RSA, âprement défendu par Martin Hirsch, Haut commissaire aux Solidarités actives, serait calibré en fonction des finances de l’Etat.
[...] "Transmettre à nos enfants la facture de nos dépenses de santé et de retraite, via la dette, alors même que la population française vieillit, est profondément immoral. Nous reviendrons à l’équilibre de nos régimes sociaux, là encore par la réforme", a-t-il promis.
"Les politiques sociales ne peuvent continuer ainsi à alimenter le déficit et la dette" Cahors (AFP).
"Transmettre à nos enfants la facture de nos dépenses de santé"... Voilà donc un premier pavé dans la mare.
Lorsque Sarkozy fut élu l’an dernier, j’étais certain qu’une partie de
son action au gouvernement concernerait la dérive de la Sécurité
sociale vers une privatisation plus ou moins lente. Je ne connais pas
le détail des propositions qui sont en train de prendre forme chez les
parlementaires, mais je vais m’évertuer à partager un petit peu mes expériences
vécues aux Etats-Unis et les raisons qui me poussent à penser que la France va
se diriger vers le modèle américain durant les dix prochaines années, au
moment où les candidats démocrates à la présidentielle aux Etats-Unis prennent
une direction opposée.
>
Je suis arrivé aux Etats-Unis suite à une proposition d’emploi incluant une assurance maladie nommée Blueshield.
Cette assurance privée offre plusieurs options parmi lesquelles
l’entreprise choisit un plan pour ses employés, suivant ses finances. Je
faisais donc parti des chanceux assurés
aux Etats-Unis (40 millions ne le sont pas du tout), mais le système ne marche
pas tout à fait comme en France, enfin pas comme en France quand je
l’ai quittée en 2003, car visiblement il y a déjà eu quelques
changements en direction d’un système à l’américaine. Lorsque je vais
chez le médecin, je dois payer un forfait appelé un copay. Cette somme suivant les différentes assurances que j’ai pu avoir depuis cinq ans oscilla entre 10 et 25 dollars (aujourd’hui ça bloque plutôt vers 20). Alors forcément, ça doit vous faire sourire vu le prix de la consultation en France.
Mais il faut comprendre que les frais médicaux aux Etats-Unis sont une vraie manne financière, une amie française venant rendre visite à son copain a eu la superbe expérience de tomber malade un samedi soir. Aux Etats-Unis, quand on tombe malade le week-end ou entre 18 heures et 8 heures le matin, il n’y a que deux solutions appeler les urgences ou se déplacer soi-même vers le service d’urgence d’un hôpital. Eh oui, la privatisation du système n’offre pas automatiquement de médecins de garde ou de pharmacies de garde, mais heureusement les supermarchés 24 h/24 ont des produits pharmaceutiques en rayons, et quelques chaînes ont même des pharmacies intégrées (rarement ouvertes 24 h/24) permettant d’obtenir les médicaments non disponibles en rayon. Bref, on conduisit notre amie vers les urgences, après 3 heures d’attente sans voir George Clooney débarquer (pas grave en soit il y avait sûrement des cas plus urgents), elle put enfin être consultée par un interne du service qui diagnostiqua un état grippal et posa deux médicaments sur ordonnance, dont un médicament avec inscrit en gros sur la boîte stéroïde, ce qui nous a un peu surpris sur le coup. Le tout à récupérer à la pharmacie de garde se trouvant à quelques kilomètres de distance, la pharmacie de l’hôpital étant fermée le week-end... N’étant pas assurée aux Etats-Unis, ils lui présentèrent la facture qu’elle dut régler sur le champ : 250 dollars pour la consultation, et 500 dollars de médicaments génériques. Bam, heureusement, la Sécu et sa mutuelle en France la remboursèrent par la suite.
Cela devait faire trois mois que j’avais migré vers la Californie et je me disais que bon forcément sans assurance ce genre de débordements pouvait arriver et que, peut-être le week-end, les hôpitaux pratiquent des prix plus élevés. Etant plutôt en bonne santé, j’oubliais un peu l’affaire, et la situation ne semblait pas trop difficile à gérer pour les petits bobos puisque bon nombre de médicaments pour le rhume, les rhyno, les maux de têtes sont disponibles directement en supermarché sans ordonnance à des prix relativement raisonnables. Puis, de temps en temps, j’entendais des histoires étonnantes : un collègue venant du Texas fut motivé pour venir travailler en Californie où les salaires sont plus hauts dans mon secteur pour éponger au plus vite un endettement à hauteur de 40 000 dollars à 30 ans. En effet, il s’était fracturé un bras en faisant du BMX et l’assurance refusa de prendre en charge ses frais d’hôpital car il n’avait pas prévenu l’assureur avant l’intervention (il était inconscient après sa chute) afin d’obtenir leur approbation pour le remboursement et aussi pour la circonstance aggravante qu’il était de sa responsabilité de ne pas prendre de risque en utilisant un véhicule potentiellement dangereux. La mauvaise foi d’une assurance privée n’a pas beaucoup de limite (Sicko de Michael Moore malgré quelques approximations, oublis et partisanneries excessives relate assez bien de ces dérives).
Puis ma femme et moi décidâmes d’avoir un enfant, et ce fut un parcours du combattant. Dans un premier temps, nous étions affublés d’un gynéco incompétent et misogyne qui parlait à ma femme comme à une enfant de 2 ans en pratiquant sa discipline sans aucune douceur (j’vais pas vous faire un dessin). Sur les conseils d’une amie (pas dans le besoin), on fit une visite chez une gynécologue en dehors du programme Blueshield (car tous les médecins ne sont pas couverts par les mêmes assurances), résultat des courses une seule consultation de 15 minutes nous coûta 450 dollars + 90 dollars pour une prise de sang. Les 15 minutes de consultation se résumèrent majoritairement à une discussion façon psy. Après de nombreuses tergiversations au téléphone avec mon assurance pour changer de réseau, nous trouvions enfin des gens compétents et agréables et un hôpital de qualité (le système est complexe et je ne peux pas entrer dans le détail, mais on ne peut pas choisir facilement ses médecins, son hôpital sans obtenir l’approbation très subjective de l’assurance). Point positif, concernant les nombreuses visites au gynéco, un seul paiement forfaitaire de 20 dollars fut nécessaire et la prise en charge de seulement 30 % des frais pour prélèvements sanguins. L’accouchement eut quelques complications et nous sommes restés quatre jours à l’hôpital, expérience franchement très bonne avec un super personnel et un lieu très agréable.
L’assurance couvrit tous les frais concernant la maternité et heureusement : la facture s’élevait à 40 000 dollars. Le prix d’une journée d’hôpital peut coûter facilement 6 000 dollars/jour sans aucun examen, une pacotille !
Un autre exemple fut une intervention chez un spécialiste de la dévitalisation dentaire, mon dentiste ayant préparé le terrain pour poser une couronne, le spécialiste me fit une intervention uniquement pour dévitaliser le nerf, cela dura deux fois une heure et là mon assurance ne remboursait que très partiellement les frais à hauteur de 30 % sur 1 200 dollars (c’est un peu la loterie les taux de remboursement lors de rendez-vous chez les spécialistes). Alors forcément 800 dollars de ma poche ça fait mal, mais wow quel joli pactole pour ce spécialiste qui traite deux patients en même temps (on anesthésie l’un pendant que l’anesthésie de l’autre prend effet). Faites les comptes : 800 dollars en deux heures de temps à deux patients, ça nous fait 1 600 dollars toutes les deux heures, soit 6 400 dollars par journée complète travaillée. A raison de trois jours de travail/semaines, on arrive à 19 200 dollars, soit en gros 80 000 dollars par mois en ne travaillant que trois jours dans la semaine. Attention il y avait quand même une assistante, une secrétaire à payer et deux locaux de 6 m² pour traiter les patients, la pièce la plus grande étant la salle d’attente...
Un dernier exemple vient du témoignage d’un ami américain dont le frère à l’aube de ses 30 années a fini ses études de neurologie
en France, de retour aux Etats-Unis après une semaine de recherche d’emploi
pour démarrer sa carrière, un hôpital lui proposa deux contrats 600 000
dollars/an pour 4 j/7 ou 1 200 00 dollars/an pour 6j/7. Du haut
de sa vision hautement humaniste de la fonction de chirurgien, il
choisit le contrat 6j/7... Le salaire moyen aux Etats-Unis tournant à 36 000
dollars/an, on obtient un véritable fossé.
Le voilà le problème qui s’est installé aux Etats-Unis au fil du temps, la valeur première du système de santé, c’est le pognon que peuvent en tirer leurs acteurs : médecins, hôpitaux, assurances, groupes pharmaceutiques, laboratoires, etc. Le pire c’est que tous n’en tirent pas parti et que la compétitivité ne fait pas baisser les prix, elle met en difficulté certains hôpitaux par rapport à d’autres et pénalisent les populations en fonction de leur localisation. Tu vis dans un quartier moyen, l’hôpital est moyen car il ne peut pas attirer autant de client et les clients un peu plus fortunés le fuient pour aller vers des soins plus cher et plus renommés, résultat dans un quartier riche les soins coûtent plus cher, puisque ça se bouscule au portillon...
Ce point sur la compétitivité est très important et sert de levier permanent aux politiques de privatisation, l’ouverture à la concurrence ferait baisser les prix. Ceci est un mensonge pur et simple et, tant que les Français le goberont, la marche vers des systèmes de santé aussi déplorables que celui des Etats-Unis se fera irrémédiablement. Je n’ai aucun doute que le travail de sape sur la fonction publique ait pour but ultime de pouvoir atteindre une privatisation du système de santé, tout simplement car cela s’inscrit dans une démarche de récolte de profit et que le pactole est énorme. En fait, je ne vois aucune raison que ce glissement ne se fasse pas sous l’impulsion de Sarkozy car les effets visibles ont lieu suffisamment tard pour ne pas remettre en cause une éventuelle réélection en 2012. Le risque pour lui est relativement mineur et il a toujours le fusible du Premier ministre comme joker.
Les récentes annonces autour du déremboursement de l’optique, de la réforme sur les hôpitaux semble donner raison à mes craintes.
Moi qui suis de plus en plus déconnecté de l’opinion française, et qui a tout de même l’espoir de rentrer en France un jour (en partie pour les vertus de son système social tel que je l’ai connu) je vous pose la question :
Les Français veulent-ils vraiment d’un système de santé qui cherche à soulager le poids de leur porte-monnaie au détriment de leur santé ?
26 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON