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Accueil du site > Tribune Libre > La sape indolore et quotidienne de la démocratie par les médias

La sape indolore et quotidienne de la démocratie par les médias

Le 7 juin 2008, la Cour Européenne des droits de l’homme annulait la condamnation de Jérôme Dupuis et Jean-Marie Pontaut, auteurs du livre « Les oreilles du Président » sur les écoutes de l’Élysée mitterrandien, en appelant la France à la plus grande prudence avant de sanctionner pour recel de violation de secret de l’instruction ou de secret professionnel « des journalistes qui participent à un débat public et exercent ainsi leur mission de « chiens de garde » de la démocratie  ».

 Est-ce bien ce rôle qu’exercent les médias quotidiennement quand ils insinuent dans les esprits par la répétition inlassable certaines représentations notoirement erronées qui égarent les lecteurs et dénaturent les règes de la démocratie.

La répétition, le procédé de l’inculcation

Le doute n’est plus permis. Une stratégie est à l’œuvre, misant sur la répétition, ce procédé de l’inculcation, dont la particularité est d’opérer de manière indolore. Espacées dans le temps, mais régulièrement effectuées, les répétitions créent, en effet, une accoutumance inconsciente, celle de la routine, qui anesthésie toute exigence de rationalité et permet l’inculcation indolore d’un comportement. C’est ainsi qu’agissent les panneaux publicitaires sur les routes ou dans le métro devant lesquels on passe matin et soir. On peut bien ne leur accorder aucune attention : leur perception en périphérie du champ visuel suffit et équivaut à une répétition d’énoncé qui, lentement et progressivement, finit par fixer l’information dans les mémoires.

Ce procédé insidieux était bien connu des Romains. La répétition du même schéma d’urbanisme dans leurs colonies tendaient à favoriser l’assimilation du mode de vie romain chez un Gaulois, un Celtibère ou un Maurétanien. Les Etats-Unis ne procèdent pas autrement pour répandre « l’american way of life » à travers le monde : musique, films, séries télévisées, vêtements et nourriture habituent l’étranger au même mode de vie.
Sans qu’on y prête attention, les médias ressassent avec constance les mêmes représentations erronées qui enferment les lecteurs distraits ou peu éduqués dans un schéma de réflexion contraire aux règles de la démocratie, mais approprié à la tyrannie. Deux exemples sont particulièrement flagrants.

1- Le discrédit de la présomption d’innocence

On a déjà dénoncé le premier dans un précédent article : il s’agit du discrédit pur et simple du principe de la présomption d’innocence par l’usage impropre et systématique de l’adjectif « présumé  » (1). Un crime, un viol ou un vol viennent-ils à être commis ? Les médias parlent aussitôt du meurtrier, du violeur ou du voleur «  présumé », qui a été arrêté et a avoué ou non. Or, « présumé » signifie, sauf erreur, « considéré comme… avant tout examen ». « Le meurtrier présumé  » est donc l’individu "considéré comme meurtrier avant tout examen" ! Les médias habituent ainsi les esprits à estimer que l’on peut être considéré comme coupable avant tout jugement. On a vu ce que cela a donné avec « l’affaire d’Outreau ». Or, cette manière de penser est contraire à celle qu’organise la démocratie, régime sous lequel on est considéré comme «  présumé innocent », et non présumé coupable, tant que l’on n’a pas été reconnu coupable par un tribunal.
 
Qu’on n’objecte pas que cette négation systématique de la présomption d’innocence serait le fruit d’une distraction ou encore de l’ignorance de ces jeunes journalistes qu’on voit aujourd’hui dans les médias ! On « présume » que leurs patrons ne sont ni distraits ni ignorants. Ils savent très bien, en certains cas, se passer de l’adjectif « présumé » pour qualifier un prévenu. Ainsi, pour parler de ce policier qui aurait tué sa famille avant de se suicider, Libération.fr, Le Figaro.fr et Le Point.fr , les 14 et 15 avril 2009, ont-ils pris soin de le présenter comme « le policier soupçonné du meurtre de sa famille  ». Ils connaissent donc bien le mot « soupçonné » !
 
Pour ceux qui ne verraient pas le danger à confondre présomption d’innocence et présomption de culpabilité, on peut rappeler que la seconde est la tare de la tyrannie où l’on est par principe coupable tant qu’on n’a pas fait la preuve de son innocence ! Or, est-il si ardu de concevoir qu’il est plus difficile d’apporter la preuve d’un acte non commis qui par nature ne peut laisser de traces, que celle d’un acte perpétré qui, lui, peut en avoir laissé, même si on tente souvent de les faire disparaître ?

2- Le discrédit du débat démocratique

Le second exemple est le discrédit du « débat démocratique » par l’usage impropre systématique du mot « polémique » chaque fois que s’élèvent des critiques. Ainsi Le Monde.fr titre-t-il, le 11 avril 2009 : « Le combat d’un journaliste agace Bogota et crée une polémique. » Le journaliste en question a osé parler de la part de responsabilité qu’ont, dans les crimes commis en Colombie, « les militaires, les groupes paramilitaires d’extrême droite, les élites politiques et les mafias ». Il s’est élevé également un débat à propos du récent tremblement de terre qui a ravagé les Abruzzes en Italie : un scientifique aurait alerté les autorités sans avoir été pris au sérieux : « Derrière l’unité nationale, une polémique ne cesse de s’étendre », écrit aussitôt le Figaro.fr, le 9 avril, récidivant le 13 avril par ce titre : « À L’Aquila, après le recueillement, la polémique ». Le Monde.fr lui emboîte le pas le même jour : « En Italie, dans les ruines de L’Aquila, le deuil cède la place à la polémique ». Le Point.fr évoque de son côté la « polémique sur la non-conformité des bâtiments.  »
De même, discute-t-on des salaires pharaoniques des patrons ? « Rémunérations des patrons : les dix jours qui ont fait polémique, » titre le site 20 minutes. Ou encore, l’assaut contre les pirates somaliens qui avaient pris en otages les passagers d’un voilier, « le Tanit » est-il contesté ? Le Post du 13 avril 2009 annonce que « la polémique monte à propos du choix de l’unité d’élite mobilisée ». Le 17 avril, c’est au tour du Point.fr de poser la question : « Polémique - Ingrid Betancourt : ange ou démon ? ».

Ainsi tout débat, nourri par nature de critiques, est-il dénaturé en « polémique  », tendant à délégitimer cette confrontations d’opinions qui fait la différence entre la démocratie et la tyrannie. Le mot « polémique » vient du mot grec « polemos  » qui signifie « guerre » où tous les moyens sont bons pour venir à bout de l’adversaire. Débattre pourtant ne signifie pas faire la guerre en usant d’ arguments obligatoirement fallacieux. Le discrédit, on le voit, est jeté sur la critique, dénoncée implicitement comme illégitime ou de mauvaise foi. N’est-ce pas habituer les esprits à se détourner de ce qui est l’essence de la démocratie au point d’avoir donné son nom à son institution essentielle, le Parlement, ce lieu où l’on parle et débat, et, dès lors, à recevoir plus volontiers une information qui ne suscite aucune discussion, comme en tyrannie ?

En entretenant le discrédit de la présomption d’innocence et du débat démocratique, les médias ne sont plus les « chiens de garde de la démocratie ». Ils minent insensiblement certains de ses piliers fondateurs pour préparer les esprits à la tyrannie. Qu’on ne s’étonne pas après que l’on cloue au pilori des innocents et que la liberté d’expression avec le droit à la critique qui lui est propre, finisse par scandaliser ! Paul Villach

(1) Paul Villach « La présomption d’innocence maltraitée par les médias de masse », AGORAVOX, 7 mars 2008

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17 réactions à cet article    


  • Caturix 22 avril 2009 11:50

    Excellent article.
    Lire à ce propos Chomsky
    - Propaganda,
    - La Fabrique de l’opinion publique,

    - La Fabrication du consentement. De la propagande médiatique en démocratie.

    D’ailleurs, depuis quelques temps, j’ai l’impression que nos politiques prennent exemple sur les techniques américaines... Ce n’est pas bon signe.


    • Paul Villach Paul Villach 22 avril 2009 19:36

      @ Caturix

      Ils ne connaissent que le mot « polémique » dès lors qu’il y a « débat ». « Le Monde.fr » de ce soir titre au sujet de l’affaire de la villa Drucker dans les Alpilles :
      « L’octroi d’un permis de construire à Michel Drucker suscite une polémique dans les Alpilles » !!! Paul Villach


    • poussant 25 avril 2009 20:35

      sans oublier la stratégie du choc de NAOMI KLEIN ! ça fait peur...un homme prévenu en vaux deux ? peut être..


    • Caturix 26 avril 2009 11:27

      @ Paul Villach
      Pour ce qui est de l’emploi du mot « polémique », c’est très bien observé. Mais il y en a tant d’autres...
      Cela dit, une question me tarabuste depuis que je m’intéresse à la question (et ce n’est pas nouveau) : est-ce un phénomène linguistique naturel (une mode) ou une action délibérée ? Il est certain que dans certains cas, le glissement sémantique est voulu (« frappe chirurgicale ») mais parfois, il peut y avoir doute. Dans le cas présent, j’ai l’impression que le mot « polémique » n’est que l’effet de la super-médiatisation. J’entends par là que tout vocabulaire violent attire l’attention des spectateurs. Ainsi, on a abusé et surabusé de ce qualificatif au point qu’actuellement, il s’agit d’une utilisation inconsciente.
      Avouons toutefois que cela sert bien les desseins de certains !


    • Lisa SION 2 Lisa SION 2 22 avril 2009 11:50

      Paul, ce qui m’étonne le plus, c’est le coût annoncé au lendemain d’une forte tempête.

      " En entretenant le discrédit de la présomption d’innocence et du débat démocratique, les médias ne sont plus les « chiens de garde de la démocratie ». Ils minent insensiblement certains de ses piliers fondateurs pour préparer les esprits à la tyrannie. " en 1972, le jt faisait 85 % d’audience. La multiplication des chaines fait qu’il est beaucoup plus difficile de contrôler l’info, ce qui explique la guerre actuelle. Rien n’est plus démocratique que la toile libre, ce qui explique la guerre actuelle genre Hadopi. Mais cette guerre actuelle témoigne de la tyrannie qui plane au dessus de nos têtes. http://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/un-tapis-rouge-pour-la-mafia-du-54674 soulève le voile sur ce que pourrait se cacher derrière la vitrine légale.

      Ceux qui mettent en exergue le discrédit, en profitent pour discréditer leurs détracteurs, et plus particulièrement Fréderic Lefrèvre. Dès qu’il prend la parole, c’est pour dénigrer quelqu’un.


      • PtitLudo PtitLudo 22 avril 2009 12:07

        Il est clair qu’on passe de plus en plus de la présomption d’innocence à la présomption de culpabilité. Radars automatiques, loi HADOPI, Julien Coupat, etc ... on voit que les exemples récents sont nombreux.

        Et vous avez raison, tout celà passe doucement dans le cerveau limbique de la population à force de répétition médiatique. Il suffit de voir les interviews lors des micros-trottoirs par exemple lors des grèves. Cheminots=assistés, grève=prise d’otage, ... Termes que l’on n’a pas entendu par exemple lors des grèves récentes de marins-pêcheurs.


        • abdelkader17 22 avril 2009 14:23

          LQR la propagande du quotidien Eric Hazan édition la fabrique
          http://www.la-bas.org/article.php3?id_article=852&var_recherche=hazan
          à écouter sans modération.


          • pendragon 22 avril 2009 14:56

            Les miroirs n’ont pas encore été inventés. Vous percevez mieux vos travers chez autrui.


            • Relladyant icare 22 avril 2009 15:00

              Ce qui est dit sur la confusion entre les termes « soupçonné » et « présumé » est juste, mais anecdotique.

              Ce qui est dit la polémique est faux. La définition du terme polémique n’a rien de péjoratif, le discrédit que ce terme apporterait sur les critique est imaginé par l’auteur.
              Définition : Relatif à un désaccord, à une dispute agressive.

              Ou est donc le problème à dire que quelque chose est polémique quand il y a un désaccord ?

              De façon générale, et ça se confirme à lire les réactions ici, je me méfie très fort des gens qui prennent des airs de Jean Moulin pour nous ouvrir les yeux à nous pauvres moutons, face au IIIéme Reich qui s’installe. Souvent, ils sont les artisans de ce qu’ils dénoncent.

              Alors si je devais dire quelque chose sur la forme de pensée unique diffusée par les média, je parlerai des carcans idéologiques qui pèsent sur certains sujets, je parlerai du novlangue qui interdit de nommer les choses, je parlerai de la véritable « mise en prison médiatique » qui arrive à certains individus lorsqu’ils se sont risqué à tenir des propos « inadaptés » aux plateaux TV, etc... (je parle par exemple de Bigard dernièrement et le 11 septembre).

              Pour les autres sujets, regardons du côté de tout ce qui touche au racisme, à l’Islam, aux Juifs, aux homosexuels, à la délinquance, etc... (la parole n’est libre sur ces sujets que pour répéter des slogans prêt-à-penser déjà homologué et validés)


              • ocean 24 avril 2009 03:27

                icare, je ne vous suis ni sur l’innocuité de la confusion entre soupçon et présomption en matière judiciaire, ni sur celle de la confusion entre désaccord et polémique sous le clavier d’un journaliste.

                Présumer comme vous le faites qu’il serait ’anecdotique’ de confondre la présomption, qui est un a priori, avec le soupçon, qui est une hypothèse, ce serait dire qu’on pourrait remplacer notre « présomption d’innocence » par le « soupçon d’innocence », et que vous ne verriez pas d’inconvénient notable à être accueilli au tribunal par un juge qui vous dirait pour entrer en matière : « asseyez-vous, je présume que vous êtes coupable », et qui poursuivrait en vous disant « je vous soupçonne de vouloir rejeter le crime commis sur d’autres ».

                trouveriez-vous cela « anecdotique » ? je ne le crois pas, et j’ajoute que vous auriez raison.

                Quant à la confusion entre désaccord et polémique, je la soupçonne de faire peu de cas de l’étymologie qui veut que polémique signifie guerre  ; or, je présume que vous savez bien qu’ « on peut ne pas être d’accord sans être fâché », et que l’application de cette maxime rend des services inestimables dans la vie de tous les jours.

                Ne me dites pas que vous n’en avez jamais soupçonné l’utilité !


              • Paul Villach Paul Villach 24 avril 2009 09:50

                @ Océan

                Vous exprimez les choses admirablement, cher Océan. Paul Villach


              • Daniel Arnaud Daniel Arnaud 22 avril 2009 16:01

                L’affaire Colonna, dans laquelle un individu a été présenté comme coupable à l’opinion pendant une décennie est également emblématique. Et pose un sérieux problème en démocratie : le procès en appel qui a eu lieu en mars avait-il seulement pour but d’entériner ce qui était « présumé », et semblait érigé en dogme a force d’être « répété » ?


                • Lucrezia 22 avril 2009 16:54

                  Pour ceux qui auraient oublié : La seule chose qui intéresse les médias et les journalistes aujourd’hui c’est l’audimat, le tirage ou leur carrière et certainement plus le contenu, le débat citoyen d’idées !

                  Quand à la « Démocratie », plus personne n’en a que faire ou pire toute le monde la sape arguant que elle et « trop » ou pas « assez » aboutie ... jusqu’au jour, ou les occidentaux la perdront Démocratie, la pleureront et comprendront bien tard combien la Démocratie est fragile ...


                  • Relladyant icare 22 avril 2009 21:58

                    @Chantecler : oui. Il suffit de taper « sarkozy polémique » dans google pour voir que même le Figaro emploie ce terme dans un titre :

                    "

                    Sarkozy, polémique,
                    se place du côté des victimeshttp://www.lefigaro.fr/politique/2008/02/25/01002-20080225ARTFIG00346-sarkozy-polemique-se-place-du-cote-des-victimes.php

                  • souklaye 22 avril 2009 18:36

                    La polémique enrichit ses promoteurs autant que ses clients qu’elle distrait.

                    L’offre du scandale idéologique est indexée sur le taux d’ignorance des masses et le niveau de fascination des médias.

                    Il y a quelque chose de fantasque d’avoir la possibilité d’injecter du burlesque dans une pratique démocratique ubuesque.

                    Le système narratif de la polémique est basé sur la multiplication à l’extrême des apartés.

                    La suite : http://souklaye.wordpress.com/2009/04/21/note-de-service-la-polemique-virale-pleonasme/


                    • morice morice 23 avril 2009 08:36

                      excellent : en somme la star academy amène une dictature.... décérébrons, des moutons sont plus faciles à mener à l’abattoir.... chantecler, vous devez déposer CLAFOUTISME, ça résume trop bien la situation !!


                      • ddacoudre ddacoudre 26 avril 2009 22:28

                        bonjour villach

                        excellent rappel.
                        tous les jours l’on peu vérifier la nocivité de la lobotomiesation journalistique, tout dernièrement un journaliste du JT se plaignait d’un air désespéré de n’avoir que de mauvaises nouvelles à donner, et cela sans rire. je me demande parfois s’ils sont conscients de la pauvreté à laquelle ils ont conduit se vital besoin d’informer à une caricature.

                        cordialement.

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