La sécurité n’est pas le sécuritarisme
La chute de l’Etat social et de l’Etat démocratique se combine avec la montée de l’Etat pénal, policier et xénophobe. Le sécuritarisme monte.
Le sécuritarisme a DEUX ASPECTS, un volet interne, national, et un sens international en lien avec la montée du militarisme spécifique issu du 11 septembre 2001 et de la "théorie" du "choc des civilisations" de S Huttington. Le sécuritarisme est alors lié à une certaine conception de l’Europe repliée sur elle même et plus que jamais impériale.
Le volet externe, européen a été développé dans : Derrière le sécuritarisme, l’impérialisme ! - C Delarue
En interne, le sécuritarisme national a une origine plus ancienne. Il s’explique par la barre de perspective dite de la "fin de l’histoire" - dans la version de Francis Fukuyama - qui empêche de sévir contre ceux d’en haut, les responsable véritables de la mal vie populaire. Au lieu de penser la lutte contre le capital on dé-pense le salaire sur le marché des biens. Au lieu de montrer les hauts délinquants légaux en "col blanc", les capitalistes de casino profiteurs et voleurs, on a stigmatisé des couches populaires. Sarkozy ne fait que pratiquer ouvertement cette politique qui fait le lit d’un nouveau fascisme. Il faut donc rappeler que congrès du PS de l’Arche de 1991 a avalisé "la fin de l’histoire" en affirmant que le "capitalisme borne notre horizon pour longtemps". La stratégie d’hégémonie dite du "baiser qui tue" de Mitterrand à l’égard du PCF puis des Verts suivie de son corolaire l’offre de strapontins politiques dans la instances de la République a étendu ce qu’il faut appeler la longue trahison des partis de gauches à l’égard du peuple-classe.
Plus le social se délitait, notamment avec la montée du chômage et de la précarité, et plus la demande sécuritaire se renforçait. Comme le mode de production et de consommation capitaliste était "intouchable" - ce que signifie "fin de l’histoire" - les remèdes au chômage et à la précarité ne pouvaient qu’être périphériques, du genre "développement social des quartiers" (DSQ). Ces politiques de la ville n’ont jamais eu la prétention de s’attaquer à la racine du mal. C’est ainsi que le sécuritaire est venu s’adjoindre au social en faillite. Et, la droite ne pouvait qu’être à l’offensive sur ce terrain. Une certaine gauche lui a emboîté le pas, oubliant le rapport Maisonneuve et la volonté d’une déontologie policiaire.
De fait on constate un développement progressif d’une police mutiforme et surtout hyper visible et suréquipée en mode du combattant urbain. L’Etat policier se déploie dans les quartiers populaires délaissés et dans les lieux de transit pour surveiller toujours plus de monde mais cela se fait sur le mode du profilage car le contrôle est sélectif, en fonction de stéréotypes. Un étudiant noir sera contrôlé trois dans le métro et pas son collègue blanc (1). In fine ce sont bien les principes de libertés et d’égalité qui sont malmenés. Tout cela se traduit aussi par une législation et un budget en augmentation et orientés vers la sécurisation. Dans le même mouvement d’autres services publics seront eux "dégraissés", privatisés, marchandisés.
Avant d’entrer dans le vif du sujet notons bien que la sécurisation n’est pas qu’une affaire de police ni qu’une affaire de l’Etat. Non seulement il y a privatisation (modérée en France) industrialisation et marchandisation mais surtout élargissement du phénomène au-delà de la l’Etat.
"Sécurité de quoi ? de qui ? " la réponse devrait permettre de poser des pistes de solutions.
I - UNE AUTRE APPROCHE DU PROBLEME
A) De quelle sécurité parle-t-on ?
- Deux grandes distinctions :
1 - La distinction classique oppose la sécurité des biens et des personnes de la sécurité économico-sociale, celle qui défend la sécurité sociale, le droit à la santé, les droit du travail, la défense du statut des fonctionnaires, la défense du salaire face à l’inflation ou aux licenciements. Cette distinction pertinente qui recoupe grosso modo la division de la droite et de la gauche ne suffit pas. Il faut aussi distinguer au sein de la sécurité des biens et des personnes la sécurité qui protège réellement les droits fondamentaux et le sécuritarisme qui en fait les bafoue (2).
2 - Ce second critère de distinction peut devenir flou quand la peur, l’insécurité, l’incertitude prennent des proportions importantes. Peu à peu le besoin de sécurité admettra que les droits, les libertés et l’intervention démocratique soient bridés afin que la sécurité soit assurée. C’est dans cette dynamique que s’opère le passage du besoin de sécurité ordinaire, compréhensible et justifiée à la sécurité envahissante, pervertie, pathologique.
- Disposer d’un critère qui départage la sécurité du sécuritarisme est un avantage certain s’il est connu et adopté par le plus grand nombre et notamment par les agents institutionnels chargés des différentes formes de sécurité et de protection. Mais cela ne suffit pas à tout régler dans le concret des situations sociales.
B) Peur des uns et des autres et besoin de sécurité.
La peur est fonction du type de violence : peur classique de la petite délinquance sur ses biens (1) et peurs des Autres perçu comme radicalement autres (2).
1 - Peur des dégradations matérielles et peur des violences physiques.
La crise," leur crise", génératrice de tensions et de violences diverses perturbe le rapport des forces antérieurs - celui d’après 1946 - plus favorable au "monde du travail". La peur "de classe" se fait pressante tant du côté des dominants, de la bourgeoisie que du côté du peuple-classe. C’est qu’elle a à voir de façon complexe avec l’inscription dans les rapports de production antagoniques.
- Les grands possédants veulent certes être protégés, leurs résidences, leurs voitures, leurs bateaux, leurs entreprises. Mais il n’y a pas qu’eux, pas que les riches enclavés dans des ghettos, à réclamer de la protection. C’est là qu’apparait le risque de division du peuple.
- Au sein du peuple-classe le besoin de sécurité qui concerne le droit au travail et au salaire, - on y reviendra - comprend aussi la protection des biens matériels de la maison à la voiture. Par exemple, les hauts fonctionnaires bien payés, disposent d’une sécurité économico-sociale suffisante tant en sécurité d’emploi qu’en rémunération. De ce fait, au regard de ce qu’ils possèdent matériellement, un besoin de sécurité portant sur les biens se comprend aisément ; besoin qui peut les rendre sensible au discours sécuritaire et à la pente sécuritariste.
Ce point de vue objectiviste ou strictement matérialiste ne pose qu’une possibilité et qu’une vérité relative portant sur une fraction du réel. La stricte vérité sur la question du sécuritarisme doit aussi prendre en compte l’effet des médias sur la subjectivité des individus. Du coup, le besoin de sécurité peut surgir artificiellement chez des individus ne possédant que très peu de biens. Il faudrait ici faire état d’études qualitatives.
Quoi qu’il en soit, ce biais sécuritaire surestime la menace contre la sécurité des biens et des personnes et concomitamment dénigre la nécessaire sécurité de l’emploi, de la santé, la droite et les socio-libéraux ont su rallier à leur projet de société sécuritaire certaines couches du peuple-classe.
2 - Peur des autres ou la sécurité inversée face à la mondialisation des migrations.
Ceux qui ont le plus peur ne sont pas les nationaux mais les migrants. Les migrants ont une peur réelle issue des tracasseries et des répressions quotidiennes dont ils sont l’objet. Les nationaux ont une peur fantasmatique, construite.
* Qui devrait avoir peur du racisme ?
En plus des peurs de dépossession ou de dégradation il faut ajouter un autre facteur : l’exploitation du racisme et de la xénophobie. Trouver un axe de ralliement de couches aisées du peuple-classe via ce qui est possédé par eux ne suffit pas pleinement si en même temps une menace n’est pas montrée. Il faut alors soit montrer une menace externe soit un ennemi intérieur marginal et détestable. Avantage de la stratégie, les rapports sociaux de classe disparaissent au profit d’un souverainisme national ou d’un sécuritarisme européen ou occidental. Les migrants ont, malgré leur diversité, bien souvent constitué, pour les possédants, à quelques exceptions près, un bouc émissaire utile. La stigmatisation des immigrés aide bien à la constitution de cette dynamique de conquête par les dominants d’une couche sociale d’appui interne au peuple-classe, une ou des couches sociales alors disposées à soutenir le sécuritarisme. Il en va de même du regard porté contre les tziganes, les roms et les gens du voyage.
* Sécurité et "Choc des civilisations"
Au niveau mondial, la thèse du " choc des civilisations " est venue apporter un autre appui faisant le lien entre sécuritarisme et occidentalisme. Et en France, depuis le vote du 17 mars 2009, l’occidentalisme se moule dans un atlantisme renforcé, celui de l’intégration du commandement militaire intégré de l’OTAN. Auparavant on pouvait évoquer un sécuritarisme proprement européen qui n’a d’ailleurs pas disparu mais qui tend à se fondre avec l’atlantisme et les intérêts supérieurs des USA.
II - … POUR D’AUTRES PERSPECTIVES
Il y a d’abord un travail idéologique à mener pour changer les représentations. Ensuite une vraie gauche devrait prendre des mesures pour inverser la tendance et donc en quelque sorte pour un Etat infra-policier et sur-social.
A) Changements possibles au niveau des représentations
Il y a des violences sur-estimées et d’autres réelles que l’on feint de ne pas voir.
1 - Ce qu’implique la promotion d’autres perspectives : changer de peurs et de haines.
* Promouvoir d’autres perspectives implique de changer sa peur ce qui n’est pas évident. Sauf si l’on pense que cette peur et cette haine subséquente sont socialement construites. Il y a sans doute un travail militant à mener qui permette de faire le tri entre les situations réellement dangereuses et celles qui ne le sont pas qui sont sources de craintes excessives et artificielles. Par exemple, on sait scientifiquement que les femmes sont plus en danger en famille que dans la rue mais la peur continue de sévir le soir dès qu’il fait sombre, car évidemment la rue la nuit n’est pas partout d’une sécurité assurée totalement.
* Promouvoir d’autres perspectives implique une mise à distance critique de la distinction de Romain Gary (3) entre le nationalisme " haine des autres " et le patriotisme " amour des siens ". Tous les nationaux ne sont pas dignes d’amour et tous les étrangers ne sont pas dignes de haine. Le partage ne s’exerce pas ainsi. Sur la base de l’idée que l’on ne doit pas aimer ce qui domine ou opprime la distinction peut alors prendre une autre tournure qui met en avant l’amour des peuples-classe du monde y compris sa fraction migrante et la haine des bourgeoisies, à commencer par sa propre classe dominante. Ce qui n’est pas parfois sans problème. Car le machisme - qui est à haïr - est interclassiste et international tout comme la laïcité à la française qui est elle sans doute à défendre même si interclassiste.
Mise à part ces exceptions et d’autres peut-être, l’opposition peuple-classe à la bourgeoisie correspond à une tournure d’esprit contraire au sarkozysme qui mieux que Le Pen pousse à la haine du proche de soi en terme de conditions sociales et favorise une connivence interne avec toutes les couches de la nation, à l’exception des fonctionnaires, qui font l’objet d’une phobie spécifique à côté de la xénophobie d’Etat.
2 - Voir et comprendre la violence de classe : celle "d’en haut" et celle réactionnelle d’en-bas.
Cette " haine " de la bourgeoisie n’est pas nécessairement une haine du bourgeois en tant que tel mais haine d’une classe d’une communauté humaine porteuse de dominations précises et d’oppressions vécues dramatiquement . Il y a à la fois dépossession et mépris de classe donc indignité. Autrement dit elle ne vise que rarement des individus précis et quand des individus sont visés c’est leur fonction qui est attaquée . Par ailleurs cette haine ne débouche pas massivement sur la violence physique des dominés, à l’exception des séquestrations patronales qui ne sont pas aussi méchante que la presse patronale le dit. La violence réelle et symbolique est d’abord celle de ceux d’en-haut Le mépris vient d’en-haut comme le racisme.
La haine des grands possédants, sans être irrépressible, est cependant montante et ce dans l’exacte mesure ou ce qu’ils possèdent "en trop" correspond à ce que les autres n’ont pas et devraient avoir pour vivre décemment. Evidemment il ne s’agit pas ici de science exacte dûment mesurable mais d’une perception non exempte de préjugés. Mais la "haine de classe" de ceux d’en-bas n’est pas totalement dénuée d’éléments de faits. Jean Ziegler l’a démontré récemment à propos des peuples-classe du sud . Chaque jour les informations en apporte des éléments. La dynamique d’appropriation privée des uns constitue une dépossession dramatique des autres.
B) Deux types de protection à promouvoir.
1 - Plus de social.
L’enjeu est de refonder le besoin de sécurité à partir de la situation contrastée du peuple-classe et donc en assurant deux types de sécurité, celle de ce qui est déjà perdue pour les défavorisés (emploi, salaire, logement) et celle qui est menacée (niveau de vie) des couches moyennes aisées bien distincte des grands possédants, des riches et des bourgeois.
Les modalités de la réalisation de ce projet est pour partie aléatoire. Hormis la défense de la Sécurité sociale le droit positif actuel, imprégné de notions respectueuses du marché et de la propriété privée ainsi que d’un Etat instrument de ce respect, semble inadapté. Il s’agit donc de mettre en place une " politique de classe " originale et offensive ; rien moins.
2 - Moins de répressif et autrement pour le résiduel.
Concernant la répression, celle-ci doit laisser la place à la prévention et à la lutte contre les inégalités. La répression résiduelle doit changer : On peut penser qu’un gouvernement de gauche modifierait à l’avenir la tarification des contraventions et délits en fonction de la situation sociale : on ne peut punir pareillement un riche et un pauvre.
La qualification de délits doit être revue aussi. La solidarité envers les " sans papiers " ne saurait être un délit dans " l’autre monde " possible.
* Pour un programme de protection globale spécifique
Aujourd’hui nombre d’études montrent qu’une minorité s’enrichit et que les couches moyennes se prolétarisent. Jamais la notion de peuple-classe n’a donc eu autant de pertinence. Dans perspective d’un rééquilibrage favorable aux peuples-classes d’ici et d’ailleurs il importe d’enclencher un programme visant à lui assurer protection. " Le bon protectionnisme est celui du peuple-classe " (4). Il s’agit d’une solution globale qui laisse dans l’incertitude la question plus resserrée de la sécurité proprement dite.
* Plus de social, moins d’inégalité c’est aussi plus de démocratie car la faculté de penser et de critiquer est meilleure sous un régime qui assure à la fois les libertés publiques (qui sont celle des humains et non d’abord celle des abstractions collectives dominatrices telle la "liberté d’entreprendre" pour faire du profit) et la sécurité d’emploi de tous ses membres.
Plus de démocratie c’est aussi moins de dérive vers un néo-fascisme de crise pour peu que les médiations politiques et sociales (partis, syndicats et associations) organisent la défense du peuple-classe au sein d’un environnement préservé.
Christian Delarue
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