Agro-écologiste, écrivain et philosophe, Pierre Rabhi est aussi un homme politique atypique. Atypique car agissant volontairement et même par conviction en dehors des partis institutionnels. A 71 ans, ce colibri révolutionnaire se veut sobre et modéré. On ajoutera même rassurant. Sobre de par sa simplicité communicative à l’inverse d’un inutile bouffon du style Vaquette. Et rassurant car aujourd’hui, cette même simplicité se veut paradoxalement originale. Quand le trop plein d’attributs extérieurs dénote une intériorité vide de sens, le retour à la sobriété se révèle naturellement salutaire.
« Tout changement implique le changement de soi car si l’être humain ne change pas lui-même, il ne pourra changer durablement le monde dont il est le responsable. » Cette déclaration pleine de bon sens et pertinence nous amène tout droit vers la remise en question métaphysique, notion indispensable en vue d’un progressisme collectif. C’est la raison pour laquelle Pierre Rabhi en appelle clairement à l’insurrection des consciences, à ce que l’individu cesse de se dédouaner de ses responsabilités.
Au fil de ses conférences -qui connaissent d’ailleurs un franc succès notamment la dernière au cinéma Le Prado à Marseille-, Pierre Rabhi établit un clivage empreint de valeurs, celui opposant la sobre simplicité à l’illimité superflu générateur de frustration. Une vision implicitement subversive de nos jours, au sein d’une société marchande néolibérale considérant uniquement le citoyen comme un simple et docile consommateur.
Pour Rabhi, l’accomplissement de l’être, son épanouissement, n’est pas dans la possession. Et on le croit volontiers, même si l’idéologie libérale capitaliste nous incite à fonctionner selon ce schéma et que la majorité des gens fonctionnent inconsciemment comme cela : je possède donc je suis, je suis car je possède.
« Grâce aux bonnes idées de chacun, créons un mouvement politique sans être dans la politique. Car le monde politique n’est pas en adéquation avec la gouvernance nécessaire. » Voilà qui a le mérite de la clarté. Non à la politique politicienne par les partis. Oui aux bonnes volontés coopératives.
Sa ligne politico-idéologique a justement de quoi interpeller : changement de la matrice en incarnant soi-même l’utopie, changement du système éducatif, autre rapport de l’humain à la nature via l’agro-écologie, produire et consommer local… tels sont ses grands axes.
Le philosophe prône aussi et surtout la modération, la sobriété, l’entraide et non la destruction, la concurrence. Sa philosophie va jusque dans la sémantique lorsqu’il préfère parler de sexes complémentaires plutôt que de sexes opposés. Ce sont peut-être des mots certes, sauf que Pierre Rabhi y joint des actes avec le
Mouvement Colibris créé en 2006 et dont la charte a été signée par près de 9000 personnes. Pour ce qui est d’ordre spirituel et philosophique, toutes ces résolutions sont salutaires. Sur le plan purement politique, c’est encore un peu court pour être réellement subversif à l’heure où se met dangereusement en place la gouvernance mondiale.
Lui et
Pierre Jovanovic ont de nombreux points communs que je vous laisse deviner. Rabhi, Hillard et Jovanovic nous font même aimer leur prénom. Pierre, c’est classique et surtout français, ce qui devient de plus en plus rare avec les nouvelles générations. Rare comme le cheminement de cet agriculteur de formation. En effet, passer de l’islam au christianisme lorsqu’on est un Français d’origine algérienne est particulièrement original et même assez marginal. Mais entre Rabhi et Jovanovic, il n’y a pas que leur prénom
en commun, même si leur prénom
est commun. Car nombreux sont ceux qui, aujourd’hui, comprennent ou commencent à comprendre que la révolution devra être spirituelle et métaphysique au-delà de l’essentiel concret politique. « L’avenir de l’humanité sera sacrée ou ne pourra pas être. » Mystique Pierre Rabhi ? Assurément. Son combat ne peut être que spirituel. D’abord spirituel. On le comprend immédiatement aux idées développées et on ne peut que s’en réjouir.
Les esprits tordus pourront toujours avoir recours à l’argument de la démagogie sous cet apparent discours apaisant. Sauf qu’au-delà des concepts politiques, on distingue nettement les valeurs comme pierre angulaire d’un discours basé sur la raison. Et c’est ce qui importe. Des valeurs lui collant à la peau, dès les premiers mots employés, quelque soit le sujet, sur la forme comme sur le fond du propos.
Il se dégage une saine philosophie, libre et même virile de ce corps frêle et menu. Une spiritualité d’une grandeur telle que tout militant humaniste devrait en faire sienne et une fois imprégné, faire en sorte que les autres s’en imprègnent aussi. La méthode colibri décuplant les énergies positives, créatrices et coopératives au service d’un concept révolutionnaire. C’est comme le savoir, il ne vaut que s’il se transmet. Il nous faudra donc apprendre et faire apprendre. Répandre le bien. Un souffle nouveau inculquant une tout autre matrice. Conscientiser, coopérer, se regrouper, grandir spirituellement. Evoluer et faire évoluer.