Lagarde républicaine mobile
« Les Français doivent adopter des comportements et des modes de consommation différents à la fois pour préserver leur pouvoir d’achat et pour préparer l’avenir » a déclaré la ministre de l’Économie Christine Lagarde lors d’un entretien publié dimanche 4 novembre dans Le Parisien. Face à la hausse du prix des carburants, notre grande trésorière en appelle à « l’intelligence des Français » à qui elle a demandé de modifier leurs modes de vie et notamment de rouler un peu plus à vélo.
Bien que je ne prétende pas appartenir à la catégorie des « Français intelligents », je dois confesser être tout à fait rétif à l’idée de revenir à l’âge de pierre, fût-ce au nom de l’intérêt suprême de la nation. J’ai donc conçu un projet de lettre ouverte à Christine Lagarde, pour l’éclairer et possiblement éviter tout malentendu qui aurait pu naître d’une méconnaissance de nos élites, au fond bien compréhensible et bien excusable, pour ce qu’il est convenu de nommer « le comportement et le mode de consommation d’un Français moyen », catégorie dans laquelle je me range sans fard. Je vous soumets ce projet :
Chère Christine
S’il vous prenait l’idée, certes saugrenue, de venir un jour visiter un humble représentant du peuple qui travaille plus pour gagner plus, de ce même peuple que vous semblez si peu connaître en dépit de son nombre immense, il faudrait m’excuser de ne pouvoir vous offrir l’exact décor de la vermineuse indigence que vous semblez rêver pour vos concitoyens.
Vous savez Christine, la France, même celle d’en bas, ne ressemble plus à celle de Rabelais ou aux tableaux de Bruegel l’Ancien et de Rembrandt. Ils sont révolus ces temps obscurs et glaciaux où même la télévision en noir et blanc n’existait pas.
Au risque de vous décevoir, ma maison n’est donc pas la bauge infâme et fétide où votre affection bienveillante aimerait me voir croupir. Chez moi, point de lampe à huile, je vis au tiède et mieux, j’ose l’avouer, au chaud, au sec et au clair.
Mes loisirs ne se résument pas à de crapuleuses orgies quand, échappant aux durs labeurs et à la mélancolie de l’obscur et glacial bureau de mes maîtres, je retrouve mes amis jongleurs, troubadours et les filles de joie pour m’esbaudir au son du luth et des tambourins et déclamer des vers paillards jusqu’au bout de la nuit, l’âme chauffée par la vinasse et la face rougie à la chaleur de l’âtre fumant d’une cheminée où sèchent jambons et châtaignes. Non !
J’ai également renoncé depuis longtemps à la carriole pour livrer mes clients, ainsi qu’à la chaise à porteur ou au cyclo-pousse pour mon usage personnel et celui de ma famille. Pis, chaque été quand je traverse la Méditerranée pour me rendre en Corse, j’avoue préférer les ferry-boats à d’autres moyens de transport plus austères ou rugueux tels la galère ou, comme vous ne manqueriez pas de nous le suggérer, le pédalo. J’accepte, sur ces points, d’être irrémédiablement classé par vos services dans la catégorie des « mauvais Français ».
Enfin j’ajoute que je ne suis pas exactement vêtu de guenilles misérables faites de drap rugueux et de cuir bouilli et qu’à l’heure des repas j’ai généralement de quoi me nourrir, et souvent mieux à déguster qu’un morceau de pain noir, quelques glands et une insipide bouillie de millet.
Mais ne vous méprenez pas, Christine, si je vous dis tout cela c’est dans le seul but de vous épargner l’effroi, la déception et le désagrément de ne pas retrouver, s’il vous prenait l’humeur étrange de me rendre visite, l’antre nauséabonde et humide que vous semblez imaginer, mais plutôt une manière d’installation bourgeoise, incluant quelques raffinements tels l’eau chaude, l’électricité et le chauffage central ainsi qu’une humble automobile, dotée d’un moteur à explosion, que j’entends conserver en dépit du renchérissement des carburants.
Et ce d’autant plus aisément, si vous consentiez à modérer la gabelle (vous dites TIPP, je crois, en parlant de ce droit d’accise) dont vous frappez si énergiquement (60 centimes d’euro pour le super sans plomb 95 et 43 centimes d’euro pour le gazole) le combustible générateur de la force motrice de mon modeste véhicule.
En vous remerciant par avance pour votre mansuétude, je vous prie d’agréer, etc. etc.
Le ton est certes un peu sec, mais je pense qu’il faut être vigilant (monter la garde ?) et savoir faire preuve de franchise, de courage et d’abnégation si l’on veut se débarrasser de ces croyances naïves, qui sont souvent les plus coriaces, à commencer par celle qui consiste pour nos dirigeants à penser qu’ils peuvent nous prendre indéfiniment pour des couillons.
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