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Accueil du site > Tribune Libre > Laïcisation, athéisme et consumérisme : d’un culte à un (...)

Laïcisation, athéisme et consumérisme : d’un culte à un autre

L’exigence, il y a un peu plus d’un siècle, de la séparation de l’Église et de l’État dériva rapidement vers une volonté pure et simple d’extraire la société française des carcans religieux qui étaient les siens depuis des siècles.
Mais à mesure qu’émergeait la société de l’athéisme radical qui devait constituer le terreau de la République laïque, une autre tendance commença à se développer et à s’approprier cet « espace spirituel » laissé vacant : le consumérisme.

Ce constat semble à première vue assez exagéré, mais la réalité nous montre tous les signes d’un phénomène qui n’est plus seulement économique ou social, mais qui tend à devenir religieux tant la société apparaît imprégnée d’une ferveur quasi-mystique, bien qu’encore latente.

Si l’on s’intéresse de plus près à l’étymologie même de l’athéisme, on comprend davantage le glissement qui a pu s’opérer : athéisme c’est l’absence de theos, de Dieu. Mais cela ne veut pas dire l’absence de religion. Ainsi, au bout d’un processus long de plusieurs décennies, la société est parvenue à se purger de Dieu, et de l’Église. Mais en aucun elle n’a réussi dans le même temps à supprimer le besoin de religion, de spiritualité, qui dort en chacun de nous, et pour cause : ce besoin est fondamental et constitue une part indissociable de chaque individu.
L’individu ressent un besoin de spirituel, mais surtout d’une éthique, d’une morale, découlant d’une spiritualité organisée. La disparition de l’influence de l’Église, l’effacement de la morale traditionnelle catholique, et l’incapacité de la République à combler ce déclin des instances spirituelles classiques fut à l’origine d’une mutation sans précédent de la société, découlant directement du capitalisme et de la publicité qui l’anime.

Ainsi, ce qui semble impensable a eu lieu : la consommation a pris cette place que la République n’a pas réussi à occuper. Le culte de Dieu, et de la spiritualité, s’effaça. La philosophie, l’éthique chrétienne qui était associée à cette spiritualité connut le même sort, et nous nous sommes acheminés vers une société où aucune « morale officielle » n’était en vigueur, où l’individu n’était ni citoyen, ni croyant. Au fil des générations, après des dizaines d’années de matraquage publicitaire et de conditionnement psychologique, l’individu devint ce à quoi une société entière le destinait : un consommateur. L’acte d’achat fut non seulement érigé en norme, mais presque en culte.
C’est alors tout un modèle normatif, athéiste mais religieux, qui s’imposa au fil des années, et avec lui de nouvelles valeurs exacerbées, celles de l’individualisme, de l’égocentrisme, de l’ostentation, de la possession, et d’une certaine forme de discrimination méprisante envers les profanes thésauristes, et envers ceux qui restent fidèles aux anciennes idoles morales et traditionnelles.

La dévotion pour de simples objets s’inscrit dès l’enfance où, dans un cercle vicieux, l’amour des parents envers leurs enfants se mesure à l’aune du nombre de cadeaux, et de leur prix, sous le sapin de Noël.
Mais en réalité, cette dévotion ne porte pas sur les objets proprement dits, mais sur l’univers symbolique et les signes qui y sont associés. Telles des reliques des temps modernes, la possession de ces objets s’apparente à la possession d’une fraction d’un mythe omniprésent et collectif, intégralement artificiel.

Les nouveaux temples sont ces centres commerciaux où d’immenses processions d’individus s’agitent dans un élan commun vers cet acte d’achat qui valorise le bon consommateur, comme autrefois la présence à la messe valorisait le bon croyant. Les publicités, omniprésentes, sont comme des appels quotidiens à la prière et rappellent à chacun la philosophie en vigueur, à laquelle il faut non seulement souscrire, sous peine d’une insidieuse exclusion sociale, mais qu’il faut en plus légitimer en consommant et, surtout, en arborant cet acte d’achat comme signe de réussite sociale.

Pour se faire une idée de la situation, il suffit d’observer ces scènes stupéfiantes qui se déroulent lors de l’ouverture des grands magasins pour ce rite récurrent de consommation massive et collective que ce sont les soldes : on y voit courir des femmes, prêtes à se battre et à se piétiner pour des morceaux de tissus, prêtes à n’importe quelles violences pour dénicher « une bonne affaire » avant les autres. Ces scènes n’évoquent-elles pas une forme de fanatisme ? Et l’objet de ce fanatisme n’est pas la possession de quelques morceaux de tissus disponible tout le reste de l’année, mais plutôt la volonté de se distinguer au cours d’un rite religieux en exprimant de la façon la plus violente possible sa dévotion à la religion consumériste, en montrant fiévreusement au collectif son appartenance au modèle normatif dominant.

Nous assistons ces dernières années à un renforcement de ce culte consumériste, sous l’œil de l’oligarchie politico-médiatique qui n’hésite pas à mettre en avant ce phénomène comme un signe de progrès social qu’il faut soutenir, comme en témoigne d’ailleurs l’utilisation récurrente du terme « pouvoir d’achat ».
En réalité, ce nouveau culte va clairement à l’encontre de l’effort de Civilisation en introduisant une nouvelle philosophie, de nouvelles valeurs a-morales intégralement opposées aux valeurs traditionnelles sans lesquelles aucune société humaine n’aurait put émerger ni se développer.

C’est donc une voie de « décivilisation » que nous empruntons, sous le double effet du déclin de la morale et de la spiritualité traditionnelle d’une part, et de l’émergence d’un culte athéiste et consumériste d’autre part.
Par conséquent, il n’est pas de lutte intelligente contre le capitalisme et ses dérivés qui ne soit dans le même temps un combat pour la morale et les fondements spirituels historiques de notre nation.

Vincent Vauclin


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14 réactions à cet article    


  • Robert GIL ROBERT GIL 21 janvier 2011 13:12

    Dans un monde idéal, aucun signe religieux ne devrait être permis à l’intérieur des instances de la République, ni aucun élu ayant des accointances avec des groupes d’intérêts privés ne devrait y siéger. Pourtant de nombreuses personnalités politiques vont régulièrement à l’université d’été du Medef ou au diner du Crif ! La laïcité nous permet de vivre ensemble, malgré nos différences d’opinions et de croyances. Ce n’est ni une négation de la religion ni une négation de la sphère privée. La laïcité c’est simplement le refus de l’Etat de se soumettre à quelque idéologie partisane que ce soit.


    • Tetsuko Yorimasa Tetsuko Yorimasa 21 janvier 2011 14:09

      Il me semble que comme beaucoup de personne vous faites une erreur fondamentale à propos de l’Athéisme qui consiste à croire que la morale ne peut être qu’issue de la religion

      Je vous invite à lire ce passage sur la morale athée tiré du livre « Le Québec athée, une anthropologie populaire » de Claude M. J. Braun : http://atheisme.ca/repertoire/braun_claude/moraleAthee_fr.html


      • Francis, agnotologue JL 21 janvier 2011 14:15

        Très intéressante digression sur le sujet qui devrait intéresser beaucoup de monde.

        Pour qui accepte la définition selon laquelle les théologies se placent d’autorité au dessus du principe spécifiquement rationnel de non-contradiction, alors l’opposé véritable des théologies n’est pas l’athéisme mais le rationalisme. On peut parfaitement être athée et irrationnel, hélas !

        Bernard Stiegler dit que « L’investissement produit l’avenir dont la spéculation ferme au contraire les possibilités (*) : le spéculateur, par opposition à l’investisseur, agit contre les intérêts du monde dans lequel il vit. »

        La publicité est la liturgie du consumérisme à l’instar du populisme qui spécule contre l’intérêt des masses auxquelles il s’adresse.


        • Polo 21 janvier 2011 15:05

          Sur le thème général religion et laïcité, il y a un certain nombre de références d’articles sur http://www.infoselec.net/religion-et-laicite/ , que j’ai trouvés assez intéressants


          • L’Ankou 21 janvier 2011 15:14

            Je tique.

            D’une part, ce qui fonde le terreau de la laïcité n’est pas, comme vous le dites, un athéisme radical désireux d’expurger toute religiosité de nos institutions, mais le résultat d’un pluralisme religieux qui sait, au nom de la paix sociale et du « vivre ensemble », accepte de reléguer le fait religieux dans la sphère privée.

            D’autre part, il me semble que l’habillement ou la possession de choses, au moins dès l’antiquité grecque et l’Egypte pharaonique, est une façon de marquer son positionnement hiérarchique dans la société. Or, ce ne sont ni des civilisations athées, ni des civilisations capitalistes.

            Ceci fragilise singulièrement les liens que vous tentez d’établir entre, d’une part, la course à la possession matérielle à des fins de positionnement social et, d’autre part, la baisse du fait religieux (si tant est qu’elle soit établie) ou le capitalisme.

            Pour finir, en affirmant que « l’individu ressent un besoin de spirituel, mais surtout d’une éthique, d’une morale, découlant d’une spiritualité organisée », vous extrapolez à l’humanité entière un sentiment qui, sans doute, vous est personnel, et que partagent peut-être vos proches. Bien d’autres, à commencer par moi, ne le ressentent pas, au point, parfois, de considérer que la quête obsessionnelle d’un sens que ce monde-ci devrait absolument avoir et qu’il tirerait d’un autre monde invisible et inaccessible, est une bien mystérieuse infirmité.

            Bien à vous,
            L’Ankou


            • Sylvain Reboul Sylvain Reboul 21 janvier 2011 17:57

              Votre thèse est fausse ; les pays les plus religieux et le plus chrétiens d’occident sont pourtant tout aussi « consommateurs », USA, Allemagne, Suède etc...


              Cela veut dire tout simplement qu’il n’ y a pas de lien entre religion et niveau ou désir de consommation. Ceux-ci procèdent du capitalisme et de la démocratie qui ont libéré le désir narcissique bridé par les sociétés traditionnelles théocratiques, sous le regard d’un dieu répressif et punitif. Mais ce bridage ne fonctionnait pas pour les aristocrates et les classes ou castes dirigeantes. 

              • Radix Radix 21 janvier 2011 18:00

                Bonsoir

                Quel charabia capillotracté !

                "Les nouveaux temples sont ces centres commerciaux où d’immenses processions d’individus s’agitent dans un élan commun vers cet acte d’achat qui valorise le bon consommateur, comme autrefois la présence à la messe valorisait le bon croyant. Les publicités, omniprésentes, sont comme des appels quotidiens à la prière et rappellent à chacun la philosophie en vigueur, à laquelle il faut non seulement souscrire, sous peine d’une insidieuse exclusion sociale, mais qu’il faut en plus légitimer en consommant et, surtout, en arborant cet acte d’achat comme signe de réussite sociale."

                Ben oui même les croyants vont au super-marché !

                Si la croyance permettait de se passer des nourritures terrestres... les église, les temples et les mosquée seraient pleines !

                Radix


                • Radix Radix 21 janvier 2011 20:18

                  Visiblement Mr Vincent VAUCLIN n’aime pas les critiques !

                  Tant pis pour lui car il y en aura d’autres !

                  Radix


                  • Radix Radix 21 janvier 2011 21:32

                    Mais je dois dire que la conclusion : "Par conséquent, il n’est pas de lutte intelligente contre le capitalisme et ses dérivés qui ne soit dans le même temps un combat pour la morale et les fondements spirituels historiques de notre nation.", m’ouvres des perspectives et avec l’auteur je réclame le retour des druides dans les super-marchés comme guides spirituels sur la fraicheur des salades !

                    Radix


                  •  C BARRATIER C BARRATIER 21 janvier 2011 20:31

                    Rapprocher la religion théiste et le consumérisme est audacieux mais pas faux. Car dans les deux cas il y a la montre, des chefs « m’as tu vu ? »des profiteurs mais aussi des gens heureux de consommer.
                    Les deux peuvent aller ensemble, comme SARKOZY, chanoine de LATRAN qui trahit la constitution et la République dans son discours sur l’instituteur et le curé, et qui est parfaitement intégré à la jet set des milliardaires, avec le symbole du Fouquet’s qui comme LATRAN marque son arrivée au pouvoir.

                    http://chessy2008.free.fr/news/news.php?id=42

                    Il y a bien aujourd’hui une croyance mondiale au Marché libre et non contraint, qui serait par nature bienveillant et d’intérêt général, comme si l’Economie était une fatalité, alors qu’elle n’est que de la politique. L’Economie libérale va d’échec en échec, mais les dirigeants y coient car ils croient à la mécanique politique qui leur remplit les poches. La croyance est nourrie par l’appétit, l’intérêt personnel...

                    Une spiritualité théiste ou athée peut lorsqu’ elle se détache de l’argent pour soi ou sa chapelle faire sienne la spiritualité de la République représentée par sa déclaration des droits de l’Homme qui s’est imposée au monde. La République des égaux est donc la plus belle transcendance de l’homme qui tourne le dos à la domination des autres, à l’accaparement de richesses...

                    Je suis donc en désaccord avec l’auteur.


                    • titi titi 21 janvier 2011 21:50

                      Il y a quand même une notion interessante dans cet article : c’est la notion de vide laissé par la religion.
                      Alors C.Barratier nous dit que ce vide peut être comblé par des valeurs républicaines.
                      Or ce n’est pas possible car ces valeurs ne répondent pas à deux questions : d’où venons nous et où allons nous.
                      Si je suis persuader que la réponse à ces questions ne se trouve pas non plus dans la religion, il n’empêche que l’humain à besoin d’être rassuré.
                      « Nous venons du néant et nous y retournons » ca demande plus de caractère pour être accepté que « nous sommes créés par (1.dieu)(2. dame nature) (3. les martiens (selon Rael)) et nous allons (1.le rejoindre) (2. être réincarné) (3.rejoindre les martiens) * » (*) rayez les mentions inutiles.

                      Et finalement dans le retour du religieux , ou l’engouement pour les horoscopes et autres niaiseries je ne vois que le besoin de rassurer les gens sur ce qui se passera plus tard et en particulier lorsque la partie s’arretera.
                      Car si on parle beaucoup de l’Islam, on oublie, mais c’est vrai que eux ont le savoir être de rester discrets, les évangélistes qui ouvrent des salles plus vite que ne ferment les églises.

                      Et en conclusion, je suis persuader que, puisqu’on ne peut pas interdire les religions, qui restent un besoin, il faut que l’état en choisisse une, la proclame religion d’état, nomme entretienne et controle les prédicateurs, à l’exclusion de toute autre pour qu’elle devienne un outil de politique intérieur et maintenir l’unité.


                      •  C BARRATIER C BARRATIER 22 janvier 2011 10:08

                        Titi dit que les hommes ont besoin d’être rassurés, comme si son besoin à lui était celui de tous les hommes. La majorité des êtres humains (je pense aux Chinois en particulier) n’a pas ce besoin là ! Et dans notre Europe qui fut assujettie au christianisme, les gens qui ont besoin d’être rassurés ne songent pas forcément à leur mort mais à la sécurité de leur vie, de leur accès aux soins, à la retraite, à la paix....
                        Pas de vide pour moi donc, voilà comment je vis cela très bien, sur cet article
                        « Sens de la vie, sens de l’univers »

                        http://chessy2008.free.fr/news/news.php?id=59

                         Titi se trompe encore sur ce qui est la base de l’unité d’un pays : c’est aujourd’hui la liberté de pensée ! Il ne faut pas confondre unité et dictature. La république qui imposerait une religion ne serait plus la République ! Il se trouve que la Déclaration des droits de l’homme de notre Révolution française est devenue la déclaration universelle. Elle est mondialisée, c’est un progrès fantastique de l’humanité. Une ébauche importante d’unité mondiale.

                        Ce n’est pas l’athéisme qui a fondé la laïcité et la République, c’est l’exigence de liberté de pensée et d’égalité entre les pensées des uns et des autres...dans la fraternité. La FRANCE a très bien réussi cela, et ses outils qui font leurs preuves sont l’école, les services publics...qui ne se mêlent pas de religions mais les respectent toutes.

                        La demande claire de Titi, c’est qu’un religion via l’Etat pompe pour elle le fric des contribuables quels qu’ils soient. J’imagine que la religion à choisir serait la sienne....Je ne connais aucun croyant qui dise "Il faudrait faire une religion d’Etat avec telle religion (qui ne serait pas la sienne). Ce sont pour les croyants toujours les religions des autres qui sont moins bien ! Le problème est qu’ils sont tous pareils !

                        Quant aux questions qu’il pose, d’où venons nous, les astronomes, les biologistes ont la bonne réponse, de même sur le où va l’univers, on le sait, on peut le prouver. Il oublie une question , lui qui croit je pense qu’un dieu a créé l’homme...qui a créé dieu ? J’ai la réponse, dans une totale certitude : c’est l’homme. L’histoire de la poule et de l’oeuf en quelque sorte.


                        • Alain Astouric Alain02 28 janvier 2011 15:05

                          Bonjour,

                          Décidemment les excès du marketing et de la pub se nichent vraiment partout. Aussi il devient urgent de lire La tyrannie du marketing

                          (En vente dans toutes les librairies de France, Belgique et Suisse).

                          http://astouric.icioula.org


                          • Claire29 Claire29 1er février 2011 13:25

                            Aux USA,B.Obama peut dire :« Dieu bénisse les Etats-Unis. »En France,si le chef d’Etat a le malheur de citer Dieu dans un discours,il s’attire les foudres de tous les laïcards du pays.
                            Cette France laïcarde ressemble à ces pays communistes où la religion se pratique en cachette.Il ne faut pas s’étonner qu’elle détienne le triste record de la consommation d’antidépresseurs qui n’améliorent pas le moral des Français puisque notre beau pays est aussi champion du monde du pessimisme.

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