Laïcité et sécularisme
Si la laïcité à la Française est une exception dans le monde, de nombreux états, en Occident principalement, ont su plus ou moins officiellement séparer récemment le politique du religieux. Ils se sont sécularisés mais pas vraiment laïcisé pour autant.
Il existe encore, hélas !, de nombreux pays qui, à l’instar du Vatican ou de la République islamique d’Iran, sont de type théocratique, où la religion dominante régit autant la vie publique que la vie privée. En terre d’Islam, quand la Charia est à la base de la législation officielle, il est difficile de penser et de vivre en dehors des dogmes officiellement reconnus – qu’on pense, par exemple, au Mauritanien Mohamed Cheikh Mkhaitir, condamné à mort pour « apostasie » en 2014 et finalement expulsé en France à la suite d’une campagne internationale en sa faveur. Le Pakistan, l’Afghanistan... se définissent comme républiques islamiques. Et dans bien d’autres pays, quand bien-même on tolère d’autres religions que la religion dominante, on inscrit dans la constitution, comme en Indonésie, dans son article 29 que « L’Etat est fondé sur la foi en un Dieu un et unique ».
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En Occident, selon Thierry Rambaud (« Société, droit et religion », 2012.), « On identifie en général trois modèles de relations entre les cultes et l’État dans l’Europe communautaire : le modèle des Églises d’État (Angleterre, Danemark, Finlande), les régimes de séparation dits « stricts » (France, Pays-Bas, Irlande) et les régimes dits de « séparation-coopération » (Allemagne, Belgique, Autriche, Espagne, Italie…) Dans ces derniers – qui se disent pourtant officiellement laïques – les religions bénéficient d’avantages substantiels.
En Allemagne, l’État est constitutionnellement laïque mais comme on y considère que les religions contribuent à la cohésion de la société, l’État collabore avec de nombreuses organisations confessionnelles. Dans la plupart des Länder, les élèves des écoles publiques ont des cours de religion et les théologiens étudient dans les universités publiques. L’État prélève un impôt au bénéfice des Églises qui financent ainsi leurs dépenses.
En Italie, le nouveau Concordat négocié en 1984 indique que les principes du catholicisme appartiennent au "patrimoine historique du peuple italien". Par ailleurs, l’enseignement des religions, en particulier la religion catholique, reste obligatoire à l’école.
En Espagne – où l’État est séparé de l'Église depuis 1978 – l’article 16.3 de la Constitution précise qu’« aucune confession n’aura de caractère étatique. [ Cependant] les pouvoirs publics tiendront compte des croyances religieuses de la société espagnole et maintiendront en conséquence des relations de coopération avec l’Eglise catholique et les autres confessions », l'Église catholique étant reconnue comme celle de la "majorité des Espagnols". L’instruction religieuse est une matière obligatoire à l'école.
Au Portugal, la Constitution affirme la laïcité de l’État. Pourtant le pays a signé un concordat avec le Vatican qui garantit "le caractère exceptionnel des relations entre le Portugal et l’Église catholique". Il organise notamment l’enseignement religieux dans les écoles publiques par les prêtres – par ailleurs rémunérés sur fonds publics comme officiers d’état civil et enseignants – et rzeconnaît la validité civile du mariage religieux.
En outre, bien que l’Irlande ait depuis 1972 cessé de reconnaître un caractère particulier au culte catholique, le système scolaire primaire et secondaire reste principalement organisé sur une base confessionnelle. La Constitution prévoit que l’État doit s’efforcer de contribuer au financement des initiatives privées (confessionnelles ou non) dans l’enseignement primaire, quand l’intérêt public l’exige, sans discrimination. L’instruction religieuse – essentiellement catholique – est intégrée dans les matières laïques.
Quant aux Pays-Bas, si la révision constitutionnelle de 1972 en a fait un état « laïque », l’État continue à favoriser les cultes et un certain communautarisme. On voit bien que la séparation n’est pas pour autant la laïcité !
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Si on franchit l’Atlantique, on constate que la religiosité imprègne autant les sociétés anglo-saxonnes que les sociétés latines.
Dans les sociétés latines, la lutte pour l’émancipation de la tutelle hispanique ou lusitanienne a conduit à une certaine forme de laïcité compatible avec un prégnant sentiment religieux. C’est peut-être le Mexique qui est aujourd’hui le plus laïque de ces pays.
Aux États-Unis, le premier amendement de la Constitution de 1787 demande la séparation de l'Église et de l'État et garantit la liberté de culte. Il n’y est jamais fait référence à Dieu. La devise originelle des États-Unis est "E pluribus unum" ("De plusieurs, nous faisons un"). Les références à Dieu sont cependant omniprésentes dans la vie publique. La référence "One Nation under God"(Une nation sous Dieu) a été ajoutée au serment d'allégeance en 1954 et la devise "In God We Trust"(Nous nous fions à Dieu ») figurant sur la monnaie remonte à 1956, à l’époque de la Guerre froide, en opposition à l'Union soviétique athée et ne renvoient à aucun dieu en particulier. On évoque une "religion civile" constituant un socle spirituel national et assurant une compatibilité entre religion et laïcité mais depuis George Washington, presque tous les présidents des États-Unis ont prêté serment sur la Bible bien que ce ne soit pas exigé par la Constitution.
Au Canada s’opposent anglophones, communautaristes, et francophones, plus sécularistes. Une loi du Québec adoptée le 16 juin 2019, définissant et consacrant formellement la laïcité de l’État dans le cadre législatif actuel et en interdisant le port de signes religieux à certaines personnes en position d’autorité, y compris le personnel enseignant ainsi que les directrices et les directeurs des établissements primaires et secondaires publics, a soulevé un tollé. Cependant , pour le ministre de la Justice du Québec, Simon Jolin-Barrette, « la sécularisation du Québec et la laïcité appartiennent à un long processus débuté dans les années 1800. En Amérique du Nord, cette spécificité autour de la laïcité et de la langue française doit être protégée ».
Ainsi, si la laïcité régresse en certains points du globe, elle demeure un objectif pour de nombreux citoyens dans le monde, comme ces Algériens, tels Tarik Djerroud qui proclame que « la laïcité est une morale dans toute sa splendeur, une valeur qui rend la société vivante et optimiste,[...] une chance pour l’Algérie, l’une des meilleures certainement. Et il n’y a que les rentiers de la religion qui refusent la laïcité, il n’y a que les salafistes, les forces de la décadence en somme pour refuser la sécularisation du droit civil et rendre la foi à la seule appréciation du cœur humain. »
Aussi, plutôt que de chercher à la laïcité à la Française des « accommodements raisonnables », convient-il de ne pas lâcher prise et de faire en sorte que nous puissions tous vivre en bonne harmonie, indépendamment de nos convictions politiques ou religieuses.
Ne se posera plus alors que la question sociale qu’il faudra bien résoudre pour réellement pacifier notre société. La laïcité n’est pas une panacée mais une condition pour pouvoir vivre ensemble.
Jean MOUROT
Sur ce sujet et en complément, on lira avec intérêt le livre collectif initié par J.F. Chalot « Laïcité, une exception menacée, regards croisés sur un principe républicain ».
288 p. 15 € - En vente sur <thebookedition.com> ou chez J.F. Chalot.
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