Laïcité … laïcité outragée, laïcité bafouée, laïcité attaquée, à quand laïcité épurée ?
Plus de cent quinze ans après la Loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État, dite loi sur la laïcité, nous en sommes encore à entendre parler çà et là de référents laïcité, de formation des fonctionnaires à la laïcité[1], et tout dernièrement d’états généraux de la laïcité.
Pauvre laïcité ! Tout le monde y va de sa sauce, sans compter son dévoiement par les politiques.
Pour ne pas être en reste, je souhaite rajouter la mienne avec une réflexion qui s’articule autour de trois laïcités :
- La laïcité Constitution
- La laïcité inspiration
- La laïcité aspiration
Explication …
1) La laïcité Constitution :
C’est la seule, la vraie, qui s’entend par l’Article premier de la Constitution actuelle (1958) :
« La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances… »
Ainsi, le modèle politique selon lequel notre pays est organisé est celui du modèle républicain dont l’un des quatre piliers est la laïcité, cité en deuxième position, si l’on veut accorder à l’ordre une quelconque importance. Cela veut dire que le politique, l’État, se tient à l’écart des religions, tout en garantissant au citoyen la liberté de croire (ou de ne pas croire ou de changer de religion), ainsi que de pratiquer librement son culte, sous certaines restrictions qui relèvent du respect de l’ordre public, comme le dispose la loi de 1905 dans son Article premier : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public. »[2]. La neutralité de l’État est confirmée par l’Article suivant : « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte… »[3], condition sine qua non afin qu’il puisse garantir les libertés évoquées, comment cela pourrait-il en être autrement sinon ?
Et si l’on remonte un peu plus loin dans le temps, Ferdinand Buisson, philosophe de l’éducation, directeur de l'enseignement primaire en France de 1879 à 1896, écrivait dans son Dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire (1883), ce qui fut probablement la première formulation de la laïcité : « La Révolution française fit apparaître pour la première fois dans sa netteté entière l’idée de l’État neutre entre tous les cultes, indépendant de tous les clergés, dégagé de toute conception théologique… : la grande idée, la notion fondamentale de l’État laïque, c’est-à-dire la délimitation profonde entre le temporel et le spirituel, est entrée dans nos mœurs de manière à n’en plus sortir. » « Cela permet l’égalité de tous (…) devant la loi, (…) l’exercice de tous les droits civils, désormais assurés en dehors de toute conviction religieuse et la liberté de tous les cultes. ». Autrement dit, une résultante de la Révolution fut que le pouvoir politique ne s’occupait désormais que de la vie terrestre des individus, leur laissant le choix de gérer leur relation quant à l’Après-vie, à l’aune d’une nouvelle citoyenneté instituant l’égalité de tous, la liberté inconditionnelle de conscience, et la liberté conditionnelle de pratique religieuse.
Cela posé, les choses paraissent claires, sauf que, toute loi et tout principe ayant leur limite, nous sommes confrontés parfois à des situations problématiques, en raison de vide juridique, et c’est là qu’intervient la laïcité inspiration.
2) La laïcité inspiration :
ou esprit de la laïcité, concrétisé par l’empreinte culturelle et les dispositions légales impulsées par l’entrée dans nos mœurs, comme le dit F. Buisson, de celle-ci[4]. À titre d’illustration, on peut citer : le droit civil de Napoléon, l’école de la République, puis plus récemment, la loi sur la contraception, la loi sur l’IVG, la stricte neutralité de l’agent de la fonction publique (cf. la circulaire de la note 1), la loi interdisant le port de signes religieux ostensibles à l’école publique, la sensibilité aux religions. Ces concrétisations s’inscrivent dans le sillon de notre héritage historique : les guerres de Religion ; le Siècle des Lumières et les penseurs qui l’ont précédé (Machiavel, Hobbes, Locke) ; l’affaire Calas, à Toulouse autour de 1762, et celle du chevalier de la Barre, à Abbeville autour de 1766, cette dernière ouvrant la voie à l'abrogation du délit de blasphème dans notre pays ; l’emprise du catholicisme et du clergé sur la vie quotidienne des sujets du Roi, dans quasiment tous les domaines (exemples : pour être sujet français il fallait être baptisé, selon la formule Cujus regio, ejus religio ; le médecin était susceptible de subir les foudres de la justice royale si son patient décédait sans qu’il n’ait fait en sorte que ce dernier reçoive l’Extrême onction ; le refus de l’Église d’enterrer chrétiennement les comédiens) ; et la Révolution bien entendu. Tout cela compose l’esprit de la laïcité.
Aujourd’hui, de nouvelles limites ont surgi, notamment en raison de la visibilité croissante de l’islam. Ainsi en est-il de la question des accompagnatrices voilées des sorties scolaires ou d’une candidate voilée sur une affiche électorale[5]. On se retrouve alors dans le champ des interprétations, ce qui nous amène à la laïcité aspiration.
3) La laïcité aspiration :
C’est la laïcité selon l'aspiration de chacun. De la laïcité « ouverte » à la laïcité « fermée », en passant par la laïcité « de collaboration » ou « de reconnaissance » ou « participative », de la laïcité d’Éric Zemmour à celle de Jean Baubérot, en passant par celle d’Henri Peña-Ruiz ou de Patrick Weil, notre laïcité ne manque pas d’être habillée de différents qualificatifs, ni d’être commentée au gré des sensibilités des uns et des autres. Sur un plan pratique, quand les circonstances l’exigent, le juge est appelé à trancher, parfois le Conseil d’État, voire la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Toujours est-il que les décisions prises sont parfois, sinon souvent, contestées, comme par exemple celle de l’Assemblée plénière de la Cour de cassation dans le cas de la crèche Baby Loup en 2014, largement discutée.
Et pour revenir à la candidate voilée dans le cadre d’une campagne électorale, le CE a rendu une décision le 23 décembre 2010, qui stipule : « La circonstance qu’un candidat à une élection affiche son appartenance à une religion est sans incidence sur la liberté de choix des électeurs ; qu’aucune norme constitutionnelle, et notamment pas le principe de laïcité, n’impose que soient exclues du droit de se porter candidates à des élections des personnes qui entendraient, à l’occasion de cette candidature, faire état de leurs convictions religieuses ». C’est une façon de voir. Or, certains soutiennent un contre-argument, légitime, qui affirme qu’être candidat à une représentation publique c’est s’engager dans la politique, donc dans le fonctionnement de la République, ce qui vaut obligation de neutralité dès la déclaration d’intention.
Conclusion :
Les problématiques dans lesquelles on invoque régulièrement la laïcité sont nombreuses[6], et les tergiversations politiques produisent un foisonnement de chartes, de vade-mecum et de controverses qui entretiennent la confusion et les divisions. Ne serait-il pas temps d’arrêter de se chamailler sur une définition de la laïcité, de l’approcher de manière holistique (elle est tout à la fois, avec une hiérarchie des critères), dans une interrogation sur la visibilité du religieux dans l’espace public ? Le projet de loi « confortant le respect des principes de la République », actuellement en discussion, est supposé apporter des solutions. Seront-elles globales ? Attendons de voir de quoi accouchera la montagne, mais il est urgent d’apaiser la société, quitte à faire des mécontents, quelle que soit leur confession : n’est-ce pas cela qu’avait produit aussi la loi de 1905 ?
[1] Pourtant, la circulaire du 15 mars 2017 relative au respect du principe de laïcité dans la fonction publique prévoyait déjà dans le détail, au titre 2.1 Renforcement de la formation initiale et de la formation continue, ladite formation. Qu’a-t-on réellement accompli depuis sur ce plan-là ?
[2] Ce qui reste dans la droite ligne de l’esprit de l’article 10 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 qui stipule : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi ». Toutefois, et depuis lors, la liberté d’expression religieuse a été subordonnée à d’autres contraintes, comme par exemple le droit des contrats (cf. par exemple Cour de Cassation, Chambre sociale, du 24 mars 1998, 95-44.738 https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000007039387/ s’agissant d’un employé-boucher qui refuse de toucher à la viande de porc), ce qui est la preuve que si, dans notre culture, la liberté religieuse est la règle, elle reste relative.
[3] L’alinéa suivant prévoit néanmoins la création des aumôneries afin de permettre aux citoyens en situation de privation de liberté/mouvement de pratiquer leur culte : « Pourront toutefois être inscrites auxdits budgets les dépenses relatives à des services d'aumônerie et destinées à assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics tels que lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons… »
[4] Malheureusement les mœurs se perdent.
[5] C’est la dernière « affaire » en cours, dont la photo accompagne ce texte.
[6] Exemples : les repas dans les cantines publiques, la laïcité à l’hôpital publique, dans l’entreprise, dans les associations, le financement des cultes, l’électoralisme communautaire, etc.
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