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Accueil du site > Tribune Libre > Laïcité relative. A l’Européenne ?

Laïcité relative. A l’Européenne ?

Me. Badinter déclarait jadis dans l’enceinte de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH), à Strasbourg : « La tolérance, je ne sais trop ce que c’est, mais l’intolérance, çà oui, je sais ». On peut oser le parodier ici en usant de la même formule : « La laïcité on ne sait trop ce que c’est, mais, son absence ou son contraire, çà on sait ce que cela produit ».

La Cour a rendu une sentence, vendredi dernier, d’autant plus surprenante que dans l’affaire en question, fort banale au demeurant, elle avait condamné le 3/11/2009, l’Etat Italien en « Petite Chambre » (7 juges) pour violation de l’article 2 du Protocole 1 de la Convention Européenne (droit à l’instruction) faisant droit aux requérants.

 La « Grande Chambre »(17 juges), en quelque sorte juridiction interne d’appel, en a décidé différemment, le 17/3/2011, à la demande de renvoi du gouvernement italien.

Crucifix ou non, dans l’école publique .

Madame Lautsi, est mère de 2 enfants scolarisés en 2002 dans une école publique de Vénétie, dans laquelle les salles de classe comportaient des crucifix .

Après moultes va–et-vient entre la requérante( puis ses enfants) et les Appels du ministère public, pour exiger le retrait de ce signe religieux, sans succès, restait « Strasbourg ». La plainte y fut acceptée en dépit des difficultés d’accès à cette très haute et ultime juridiction.

Même des gouvernements d’autres pays ou organisations (ONG) ont été autorisés à intervenir dans les procédures écrite ou orale. C’est dire que le procès suscitait un intérêt bien plus prégnant dans la conjoncture, osera-t-on penser.

L’Italie n’échappe évidemment pas au débat sur l’immigration d’abord, sur l’identité ensuite pour en venir, encore conjoncturellement, à la laïcité.

L’Eglise aurait-elle pu exercer quelque pression ? A cette question innocemment posée, le représentant du Saint-Siège auprès du Conseil de l’Europe, Mgr Aldo Giordano , répond en toute bonne foi que, si en Italie la Constitution Républicaine de 1947 stipule que « tous les citoyens sont égaux devant la loi, sans distinction de sexe, de race, de religion » (Art 3) le pays continue de vivre cependant sous un régime de concordat signé avec le Vatican en 1929 ( Mussolini gratias) et renouvelé en 1984 sous Bruno Craxi (socialiste). Le prélat/diplomate fait siennes les paroles de Benoît XVI évoquant en décembre 2010 la question du crucifix « qui est l’emblème par excellence de la foi chrétienne, mais qui, en même temps, parle à tous les hommes de bonne volonté et, comme tel, n’est pas un facteur discriminant ». Soit ! Il y a effet beaucoup plus discriminant, même mortellement mais nous sommes là dans l’Europe du XXI° siècle, qui se veut exemplaire en matière des droits de l’homme.

Conjoncture et conjecture.

Bien sûr que la situation que nous vivons exige au moins une remise en question de nos rapports et parfois de nos relations interconfessionnels ou totalement libres d’appartenance quelconque aussi.

 La nature a horreur du vide et le flux, que ce soit celui du vent ou celui des migrations humaines, va des zones de hautes pressions vers celles de basses pressions . L’immigration est sans doute incontournable. Elle peut être raisonnée et heureuse pour les uns et les autres pour équilibrer ces pressions osmotiques. Les discours des partis politiques quels qu’ils soient ne peuvent être que semblables ou très approchants sur ce plan. En gros, d’ailleurs, ils le sont, la plupart des tenants souhaitant à la fois accueillir convenablement et dissuader tout aussi convenablement de s’abstenir d’immigrer. 

C’est pourquoi, très loyalement, il n’y aurait pas tant lieu de s’étonner de cette sentence de la Cour qui se projette au delà de quelques décennies à travers ses 17 membres/47, dans un souci de préservation de ce qu’il est convenu d’appeler un espace culturel européen. Un grand journaliste et écrivain européen, Daniel Riot, avait inventé la notion d’Eurosphère. Et çà avec ou sans le Vatican, çà va loin .

Antoine Spohr. (Article paru également sur Mediapart)


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11 réactions à cet article    


  • njama njama 22 mars 2011 11:17

    "Le prélat/diplomate fait siennes les paroles de Benoît XVI évoquant en décembre 2010 la question du crucifix « qui est l’emblème par excellence de la foi chrétienne, ...« 
    Le crucifix n’est pas le symbole du christianisme primitif, puisque c’était l’Ancre. (probablement en référence Héb 6/19-20  » Cette espérance, nous la possédons comme une ancre de l’âme, sûre et solide ; elle pénètre au delà du voile, là où Jésus est entré pour nous comme précurseur, ayant été fait souverain sacrificateur pour toujours, selon l’ordre de Melchisédek.« )

     Le symbole de la Croix est plus tardif , le Chrisme démarre avec Constantin I° au début du IV° s. Le deuxième Concile de Nicée en 787 tente de mettre fin à l’iconoclasme (querelle des Images) ...
    Si le Droit n’arrive pas à »trancher" le dilemme, l’Histoire le peut ... les premiers chrétiens étaient iconoclastes, la Torah écartait de façon non équivoque toute représentation divine :
    (« Tu ne te feras point d’image taillée, ni de représentation quelconque des choses qui sont en haut dans les cieux, qui sont en bas sur la terre ... Tu ne te prosterneras point devant elles, ... » Exode 20:4-6)
    La croix est bien davantage un symbole « théologique » que le symbole du seul christianisme. (La Croix, ses origines ...)

    Peut-être faut-il relancer le débat entre l’iconoclasme et l’iconodulie pour sortir de l’impasse juridique ? La laïcité doit-elle être iconoclaste ou peut-elle être iconodule smiley


    • A. Spohr A. Spohr 22 mars 2011 11:37

      Quelle érudition ! Merci . Je prends des notes, vérifie et vous répondrai.


      • Francis, agnotologue JL 22 mars 2011 12:05

        Bonjour A. Spohr,

        Est-ce justifié de mélanger laïcité et immigration, comme vous le faites là ?

        njama écrit ci-dessus : « La laïcité doit-elle être iconoclaste ou peut-elle être iconodule ».

        A cette question posée en termes trop savant - mais soit, quand on veut être précis et concis, ça s’impose-, je réponds : ni l’une ni l’autre, par définition !


        • A. Spohr A. Spohr 22 mars 2011 15:59

          Lisez plus attentivement et interprétez svp après. S’il est question de conjoncture ( le débat qui a lieu dans toute l’Europe) et de conjecture, (i.e la crainte de l’avenir.....)c’est pour suggérer ce rapport entre laïcité et immigration. Je m’abstiens de juger, je constate.Le problème ne se posait pas du temps de l’immigration de chrétiens chez des chrétiens. Je crois d’ailleurs qu’à terme, il ne se posera plus entre chrétiens et autres... mais il faut du temps et des gains et regains de tolérance.


        • Francis, agnotologue JL 22 mars 2011 18:46

          A. Spohr,

          j’ai lu attentivement , mais j’ai peut-être eu le tort de considérer que cette question - mal posée et bien évidemment liée à l’immigration - vous paraissait recevable. 

          Question mal posée, d’une part parce qu’elle mélange les genres : ce n’est pas la laïcité qui doit choisir d’être iconoclaste ou iconodule mais, éventuellement, l’autorité qui est en charge de la faire respecter ; d’autre part, mal posée parce qu’elle est une question piège, c’est-à-dire « fermée » malenconteusement.


        • Robert GIL ROBERT GIL 22 mars 2011 12:49

          L’Abbé Pierre élu député, Christine Boutin brandissant la Bible dans l’hémicycle ou Dominique Strauss-Kahn faisant sa campagne électorale kippa sur la tête, les exemples de mélange des genres sont nombreux. Cela n’a apparemment jamais choqué personne, et les critiques n’ont jamais été très virulentes ! Dans ces cas là, l’irruption de la religion dans la sphère publique était plutôt bien tolérée.voir ci-dessous :

          http://2ccr.unblog.fr/2011/01/25/vous-avez-dit-laicite/


          • njama njama 22 mars 2011 13:12

            Il serait intéressant de savoir sur quel point juridique la Grande Chambre a contredit l’arrêt très motivé rendu le 3 novembre 2009 !

            Mgr Aldo Giordano invoque le Concordat de 1929, ça date et c’était sous l’Italie fasciste qui en 1924 imposait le drapeau national dans toutes les classes ! L’arrêt rendu n’ignore pas du reste ces références historiques dans ses points 16 à 23, lequel 23 contredit d’ailleurs ce Monsignor :

            20. L’article 118 du décret royal no 965 du 30 avril 1924 (Règlement intérieur des établissements scolaires secondaires du Royaume) est ainsi libellé : « Chaque établissement scolaire doit avoir le drapeau national, chaque salle de classe l’image du crucifix et le portrait du roi ».

            23. La religion catholique a changé de statut à la suite de la ratification, par la loi no 121 du 25 mars 1985, de la première disposition du protocole additionnel au nouveau Concordat avec le Vatican du 18 février 1984, modifiant les Pactes du Latran de 1929. Selon cette disposition, le principe, proclamé à l’origine par les Pactes du Latran, de la religion catholique comme la seule religion de l’Etat italien est considéré comme n’étant plus en vigueur.

            56. [...] L’État est tenu à la neutralité confessionnelle dans le cadre de l’éducation publique obligatoire où la présence aux cours est requise sans considération de religion et qui doit chercher à inculquer aux élèves une pensée critique.

            57. La Cour estime que l’exposition obligatoire d’un symbole d’une confession donnée dans l’exercice de la fonction publique relativement à des situations spécifiques relevant du contrôle gouvernemental, en particulier dans les salles de classe, restreint le droit des parents d’éduquer leurs enfants selon leurs convictions ainsi que le droit des enfants scolarisés de croire ou de ne pas croire. La Cour considère que cette mesure emporte violation de ces droits car les restrictions sont incompatibles avec le devoir incombant à l’État de respecter la neutralité dans l’exercice de la fonction publique, en particulier dans le domaine de l’éducation.

            58. Partant, il y a eu violation de l’article 2 du Protocole no 1 conjointement avec l’article 9 de la Convention."


            pour lire le détail de l’arrêt
            http://www.ricercagiuridica.com/sentenze/index.php?num=3147


            • Cocasse cocasse 22 mars 2011 13:55

               La nature a horreur du vide et le flux, que ce soit celui du vent ou celui des migrations humaines, va des zones de hautes pressions vers celles de basses pressions . L’immigration est sans doute incontournable.

              N’importe quoi.
              Des mesures adéquates, et une bonne réputation internationale de « La France, terre d’accueil c’est fini », même si cela mène à croire que « Ces salauds de français n’aiment pas les immigrés, n’y allez pas vous serez mal accueilli », et l’immigration sera largement contournée.
              Il faut décourager l’immigration par tous les moyens quand on a 5 millions de chômeurs + des millions de précaires.
              Et il faut la décourager tout autant, quand le pourcentage d’immigré à dépasser les limites de l’acceptable, et menace la cohésion sociale.


              • njama njama 22 mars 2011 14:32

                Selon le Journal La Croix, la Grande Chambre de la CEDH s’est repliée sur un élément « historico-socio-psychologique » très subjectif pour infirmer l’autorité du 1° jugement :

                Celle-ci a donc tranché vendredi après-midi : si le crucifix est bel et bien un symbole religieux, il n’y a pas « d’éléments attestant l’éventuelle influence que l’exposition sur des murs de salles de classe d’un symbole religieux pourrait avoir sur les élèves », estime-t-elle. Avant de conclure : « on ne saurait donc raisonnablement affirmer qu’elle a ou non un effet sur de jeunes personnes, dont les convictions ne sont pas encore fixées ».

                Si l’article précise qu’en 1° Instance les 7 juges étaient unanimes dans la décision, il ne dit rien de l’expression des 17 juges de la Grande Chambre ...

                Une grande victoire pour l’Europe titre zenith.org
                "La Cour a reconnu que dans les pays de tradition chrétienne, le christianisme possède une légitimité sociale spécifique qui le distingue des autres croyances philosophiques et religieuses et justifie qu’une approche différenciée puisse être adoptée lorsque nécessaire. C’est parce que l’Italie est un pays de tradition chrétienne que le symbole chrétien peut avoir légitimement une présence visible spécifique dans la société."

                On comprendra la joie dans le landerneau tradi ou celui de la COMECE, mais pas sûr que cet avis fumeux soit partagé par les foules ?
                Une légitimité sociale spécifique ... ??? espérons que ce nouveau concept ne nous fasse pas des petits tous azimuts ...


                • Cocasse cocasse 22 mars 2011 14:45

                  Jusque là il n’y avait pas besoin de débat sur la laïcité.
                  Le problème c’est pas la « laïcité » en général, le problème c’est l’islam politique qui prend ses aises avec la république.
                  Si on parle de laïcité, les mêmes islamistes pourront rétorquer sur des broutilles ou reprocher encore des « défauts de laïcité » accordés à la chrétienté, alors qu’ils sont peu nombreux. Ou alors on supprimerait les jours fériés au nom de la laïcité.
                  Nous n’avons pas à remettre en cause nos traditions fussent-elles issues de la chrétienté, pour nous incliner dans un contre-débat initiés par les adorateurs de l’islam.

                  Pas de langue de bois sur la laïcité, cela va plus loin, c’est aussi culturel. L’islam on n’en veut pas chez nous, c’est pas plus compliqué. Ou alors dans une proportion modeste.
                  Avant que cet islam là ne devienne vraiment gênant voyant et revendicatif, personne ne parlait de laïcité.
                  Laïcité, c’est juste le mot politiquement correct qu’on emploie pour contrer les islamistes.


                  • njama njama 22 mars 2011 23:56

                    @ l’auteur
                    je ne pense pas qu’il y ait ou qu’il puisse y avoir une « laïcité relative » sur un modèle qui serait européen.
                    Nous sentons bien que si cette Grande Chambre n’a pas voulu statuer en suivant « le raisonnement développé par l’ECLJ dans ses observations écrites , c’est qu’elle n’a pas voulu se substituer aux prérogatives du Gouvernement italien en disant que  »le Conseil de l’Europe n’est pas fondé sur le rejet et l’exclusion de l’identité et du patrimoine religieux européen. [...] Vouloir imposer une conception exclusive de la neutralité religieuse conduirait à saper les fondements même de la Convention ...« 
                    Cette décision ne pourrait donc faire jurisprudence en dehors du contexte italien ... puisque c’est sur celui-ci qu’elle se fonde.
                    Que les européistes  »crucifistes" satisfaits par cette décision juridique ne se réjouissent pas trop vite, elle ne saurait faire école et être transposable partout.
                    Qu’on se le dise ... !

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