Le 80ème anniversaire de l’assassinat de Léon Trotsky (1ère partie)
Le 21 août prochain sera le 80ème anniversaire de l'assassinat de Léon Trotsky.
La Ligue Socialiste Internationale a décidé de célébrer cet anniversaire par différentes manifestations notamment par des interventions sur sa chaîne YouTube intitulée "International Panorama". J'ai décidé de reprendre à mon compte cette initiative en traduisant, tant bien que mal, en français les interventions qui concernent la célébration de cet anniversaire. Vous voudrez bien m'excuser de prendre parfois quelques distances par rapport à une traduction littérale tout en essayant de rester fidèle au sens. J'ai ajouté les remarques placées entre parenthèses.
Dans la vidéo du 17 juillet 2020, le passage qui nous intéresse commence à 6mn 40s et se termine à 23mn 35s. C'est une discussion entre Alejandro Bodard qui est le coordinateur de la LIS (Ligue Internationale Socialiste) et le principal présentateur des vidéos et Martin Poliak de la commission de formation politique du MST (Mouvement Socialiste des Travailleurs - Argentine).
— Le prochain 21 août sera le 80ème anniversaire de l'assassinat de Léon Trotsky par le tueur envoyé par Staline. Comme nous l'avons annoncé, jusqu'au 22 août prochain, date à laquelle nous tiendrons un rassemblement international, nous évoquerons différents aspects de la vie et de l'œuvre de Trotsky afin d'en donner une compréhension globale et afin de faire ressortir toute l’importance de ce qu’il nous laisse en héritage pour les révolutionnaires. Pour commencer ce cycle, nous avons invité un camarade de la commission de formation politique du MST, le camarade Martin Poliak, pour commencer la discussion sur différents aspects de la vie de ce révolutionnaire russe.
(Dans la suite, nous avons en alternance les interventions d'Alejandro Bodart et de Martin Pollack)
— Bonjour Martin.
— Bonjour Alejandro. Bonjour tout le monde.
— Je voudrais te demander ce que tu dirais si les nombreux jeunes camarades qui nous écoutent te demandaient : qui est Léon Trotsky ?
— C'est une question à laquelle il serait possible de répondre de différentes façons qui seraient toutes pertinentes. On pourrait dire par exemple que Léon Trotsky était, avec Lénine, le principal leader de la révolution russe ou qu'il a créé et dirigé l'armée rouge ou encore qu'il a fondé la quatrième internationale et qu'il était l'un des principaux théoriciens du marxisme. Mais, il me semble que ce qui le définit le mieux c'est ce qu'il a lui-même écrit dans son testament quand il a dit qu'il a été pendant les 43 années de sa vie consciente un révolutionnaire. Je pense que c'est la meilleure définition parce que toute son activité, toutes les positions qu'il a occupées, que ce soit en étant au sommet du pouvoir politique après la Révolution Russe ou que ce soit en étant emprisonné, persécuté, déporté tout cela faisait partie de son militantisme révolutionnaire pour transformer la société, pour construire un monde sans exploitation, pour un monde socialiste. C'est pourquoi, si nous devons le définir, je pense que Léon Trotsky est avant tout un militant de la révolution, un militant du socialisme.
— Et si je te demande une synthèse de ce qui est actuellement le plus revendiqué au sujet de Léon Trotsky.
— Sa vie est facile à comprendre. Il s'est consacré très jeune à la révolution. A l'âge de 18, 19 ans il a formé un groupe de révolutionnaires en Ukraine, la région où il est né et qui faisait partie de l'empire russe. Puis il a eu un rôle exceptionnellement important dans les révolutions russes de 1905 et 1917 comme nous l'avons dit. Cependant, je crois qu'il y a certains aspects de son activité militante qui sont particulièrement importants à appréhender par rapport à la situation actuelle dans le monde et dans notre pays. En premier lieu, c'est la lutte contre le capitalisme et pour la révolution socialiste. Je crois que c'est une question fondamentale. Trotsky commence le programme de transition, écrit en 1938, en expliquant que les progrès techniques et scientifiques, sous le régime du capitalisme, n'amènent plus une amélioration de la vie pour l'humanité mais tout le contraire. Il reprend à son compte la fameuse alternative avancée par Rosa Luxemburg : Socialisme ou Barbarie. Sans une révolution socialiste, le monde est au bord de la catastrophe. Un an plus tard, en 1939, la seconde guerre mondiale éclatait. C'est pourquoi, je pense qu'il a vu clairement qu'il n'y avait pas d'issue pour l'humanité dans le maintien du capitalisme. Et, aujourd'hui, au milieu de la pandémie et de la crise économique, toute la réalité de ce qu'est le capitalisme apparaît au grand jour. Je crois que revenir à cette idée est très important non seulement par rapport à la classe dominante des exploiteurs qui évidemment défend le capitalisme mais aussi par rapport à bien des organisations de "gauche" qui nous proposent de choisir entre différentes formes de capitalisme. Ils disent : il peut y avoir un capitalisme plus humain, plus égalitaire. Même dans notre pays, toute la gauche à l'exception du trotskisme, a rejoint le gouvernement d'Alberto (Alberto Fernández, président de la Nation argentine depuis le 10 décembre 2019) et la même chose se produit dans d'autres pays. C'est pourquoi je pense que le trotskisme reste la seule orientation politique qui considère que la lutte contre le capitalisme et la lutte pour le socialisme est fondamentale.
— Et quoi d'autres ? D'une certaine manière, tous ceux qui se réclament du trotskisme parlent du combat de Trotsky contre le capitalisme. Mais quoi d'autre ? Parce qu'il y en a beaucoup qui ont mené des révolutions et même fait reculer la bourgeoisie lors de révolutions mais nous ne pouvons pas dire que ce sont des trotskystes parce que ces révolutions ont stagné ou reculé. Quelle autre caractéristique revendiquez-vous ?
— Je crois qu'il y a un point clé dans le combat de Trotsky, qui est étroitement lié à son combat contre la bureaucratisation de la première révolution victorieuse, la révolution russe. Comme vous le savez, ce processus se termina par une contre-révolution interne. C'est ce qu'on a appelé la dégénérescence de ce processus révolutionnaire. Elle a fini par faire perdre bon nombre des conquêtes de la révolution avec, en particulier, l'assassinat de tous les leaders qui avaient dirigé la révolution de 1917 (Je n'ai recensé que 5 bolcheviks de 1917 qui ont survécu aux procès de Moscou et à la terreur stalinienne : Kalinine, Jdanov, Vorochilov, Kaganovitch et Molotov. 3 seulement ont survécu à Staline). Trotsky fut celui qui a combattu cette bureaucratisation. Il fut aussi celui qui avait compris que le socialisme ne se réduit pas à certaines mesures économiques comme la nationalisation de moyens de production mais que le socialisme est nécessairement le système le plus démocratique qui puisse exister pour les travailleurs. Cela est indispensable pour discuter et planifier l'économie et toute la vie sociale. Par conséquent, là où il y a une dictature à parti unique comme celle qui a existé en Union soviétique et dans d'autres pays dits « socialistes », il n'y a pas de réel socialisme parce que, précisément, le socialisme est la forme suprême de démocratie pour la classe ouvrière, la meilleure participation active de la classe ouvrière dans la gestion du pays. C'était l'une des batailles que Trotsky a livrées contre le stalinisme, contre la dictature d'un parti unique, contre les camps de concentration, contre les camps de travaux forcés où ils ont envoyé beaucoup d'opposants. Et, parallèlement à cela, il a mené la lutte pour l'extension de la révolution, pour l'internationalisme. Il a expliqué que la révolution dans un pays n'est qu'une part de la lutte contre le capitalisme qui est un système mondial. Tout cela est synthétisé dans sa théorie de la révolution permanente laquelle a plusieurs stades de développement mais nous pouvons la synthétiser en disant : celui qui n'avance pas recule, tout changement qui ne progresse pas à l'intérieur du pays lui-même et vers d'autres pays finit par se dégrader et être un obstacle pour faire progresser les droits des travailleurs.
— Au début de notre cycle de conférences, j'ai essayé de répondre à une question soulevée précédemment quand nous parlions du Nicaragua et du Venezuela. L'une des questions était : pourquoi les révolutions se terminent-elles par des catastrophes comme celles-ci ? Est-ce inévitable ? Qu'a-t-il manqué aux processus révolutionnaires comme celui du Nicaragua qui a généré de grandes attentes en 79 ou au Venezuela ? Tu y es allé et tu y a fait un travail politique pour faire avancer le processus révolutionnaire. Que manque-t-il à ces processus révolutionnaires qui se répètent depuis la Seconde Guerre mondiale ? Nous avons vu de grandes révolutions qui, au lieu d'avancer, reculent jusqu'aux désastres qui ont accompagné la chute de l'Union Soviétique dans pratiquement tous les pays où la bourgeoisie avait été expropriée. En t’inspirant de Trotsky, comment expliquerais-tu cela ? Que manquait-il à ces révolutions ?
— Les situations sont souvent différentes mais elles ont toutes un point commun. Par exemple, dans le cas de l'Union soviétique, c'est une révolution qui a été vaincue. Il y a eu une contre-révolution. Ceci est important car le stalinisme est souvent considéré comme une continuation de la révolution russe. Or, pour nous, il est important de souligner que le stalinisme, pour s'établir, a dû liquider le meilleur de l'avant-garde révolutionnaire et ouvrière de ce pays. Il y a donc eu une défaite majeure de la révolution elle-même. Dans la lutte des classes, il y a des victoires, des revers, des défaites. Là, le stalinisme, à la suite d'une certaine conjoncture politique en Europe, a réussi à s'installer et à vaincre les révolutionnaires. Mais, dans d'autres pays, il est arrivé qu'une rupture nette du système n'ait même pas été envisagée. Vous en avez nommé deux : le Nicaragua et le Venezuela. Dans ces deux pays, il y a eu, à un moment, les conditions pour faire des transformations structurelles, pour avancer vers le socialisme. Mais, dans les deux cas, la décision politique d'aller de l'avant n'a pas été prise. Les sandinistes, après la révolution de 79, ont proposé la fameuse économie mixte. Ils ont dit : "Le Nicaragua ne sera pas un nouveau Cuba". Il fallait coexister avec l'impérialisme, avec la bourgeoisie. Le résultat est maintenant bien connu. Le Nicaragua a fini par devenir l'un des pays les plus pauvres d'Amérique latine. Le Venezuela est un autre cas. Il y a eu un processus de mobilisation très important. Des changements fondamentaux étaient possibles. Il a même été question de socialisme au 21ème siècle. Mais il n'y a pas eu cette volonté de la part de la direction politique au temps de Chavez, sans parler de Maduro, pour vraiment avancer dans une rupture avec la bourgeoisie, avec l'impérialisme afin d'aller vers le socialisme. Donc, si vous me demandez ce que ces processus ont en commun, ma réponse sera que, dans les deux cas, il a manqué une direction politique révolutionnaire qui comprend vraiment que, si elle ne continue pas d'avancer, elle retombera, que chaque conquête doit être suivie d'une nouvelle conquête, qu'il est impossible d'établir un accord avec la bourgeoisie et les classes dominantes pour gouverner un pays ensemble comme ils ont essayé de le faire au Nicaragua ou au Venezuela. Par conséquent, la tâche primordiale est toujours de résoudre la crise de la direction révolutionnaire du prolétariat comme cela a été indiqué par Trotsky dans le programme de transition. Ce qui manque pour avancer vers le socialisme, contrairement à ce que pensent les sceptiques, c'est une direction révolutionnaire qui puisse acquérir une influence politique de masse, qui puisse influencer la population dans les luttes qui, inévitablement, vont à nouveau avoir lieu comme on le voit au Chili, aux Etats Unis, au Liban... Il faut que ces luttes, qui sont inévitables, puisse être menées avec à leur tête une véritable direction révolutionnaire qui les conduise vers la victoire du socialisme sans essayer de passer des compromis ou de maintenir la lutte dans le cadre du capitalisme.
— Tu as expliqué que Trotsky insiste pour désigner le capitalisme comme l'ennemi et qu'il est nécessaire de le renverser. Tu as aussi expliqué qu'il était à la tête de la lutte contre la bureaucratisation et qu'il est nécessaire que la classe ouvrière soit le principal acteur de tout processus révolutionnaire. C'est pourquoi la démocratie ouvrière et les prises de décisions par la base sont des propositions fondamentales du programme trotskyste. Par ailleurs, Trotsky comme Lénine disait que la tâche essentielle était la construction d'une direction révolutionnaire internationale. Lénine a même dit que ce n'était pas la prise du pouvoir en Russie qui était le plus important mais la construction de la troisième internationale et Trotsky a dit pratiquement la même chose. Au-delà du fait d'avoir créé l'Armée Rouge, ce qui était un grand exploit puisqu'elle a vaincu 19 armées impérialistes sans grande préparation militaire et, au-delà du fait de se battre ensuite contre la bureaucratie, Trotsky a dit que c'était la construction de la quatrième internationale qui était son travail le plus important. Pourquoi l'internationalisme fait-il partie du trotskisme ? La question mérite d'être posée, parce qu'à l'inverse, les Partis Communistes ont cessé de se dire internationalistes en ce sens que la troisième internationale a été dissoute. S'il leur arrive encore de parler d'internationalisme, ils ne sont plus engagés dans la construction d'une internationale. Pourquoi les trotskistes sont-ils fondamentalement attachés à la construction d'une internationale et pourquoi sont-ils les seuls à mener ce combat, à juger que l'international est plus important que le national ?
— En premier lieu, il faut rappeler que l'internationalisme est constitutif du marxisme. L'idée que le socialisme ne peut pas s'instaurer dans un seul pays est exprimée dans le Manifeste du Parti Communiste. Le fait que seuls les trotskystes mettent en application ce principe fondamental du marxisme prouve que le stalinisme a rompu avec le marxisme, que le stalinisme était un liquidateur du marxisme. C'est pourquoi la construction de la quatrième internationale est si importante pour Trotsky (Cela montre, par la même occasion, que des organisations comme Lutte Ouvrière en France n'ont rien à voir avec le trotskisme). Trotsky a décidé de fonder la quatrième internationale pour deux raisons : une raison principalement défensive par rapport au programme marxiste qui a été abandonné par les réformistes et les staliniens et l'autre raison parce que Trotsky était convaincu, comme Lénine, qu'il n'était pas possible de vaincre le capitalisme autrement qu'au plan international. En effet, le capitalisme est un système qui fonctionne au plan international. Nous le voyons aujourd'hui. Par exemple, nous le voyons en Argentine lorsque les travailleurs se battent contre une entreprise comme Latam, une compagnie aéronautique. Qu'a fait la compagnie ? Elle a emmené ses avions ailleurs. Quand ils ne peuvent plus exploiter les travailleurs d'un pays, ils vont exploiter ceux d'un autre pays. Le capitalisme fonctionne internationalement et est organisé internationalement. Il a ces propres organisations internationales. Il a l'ONU, il a l'OTAN, il a le Fond Monétaire International, la Banque Mondiale... (Il a aussi l'UE et la BCE). La lutte de la classe ouvrière pour ses droits ne peut donc être qu'un combat international. Il est impossible qu'une victoire survive dans un seul pays face à un marché international qui domine le monde. Ce n'est pas seulement une agression politico-militaire qui apparaît souvent et doit être surmontée mais c'est l'économie mondiale elle-même qui ne permet pas qu'un pays socialiste puisse survivre dans un monde capitaliste. C'est pourquoi l'internationalisme est une notion de base du marxisme qui est donc nécessairement partie intégrante du trotskisme. En fait, il y a eu beaucoup d'autres révolutions. Vous avez parlé des sandinistes, nous pouvons parler de la révolution cubaine, de la révolution chinoise... Dans aucun de ces cas, les dirigeants n'ont appelé à construire une organisation internationale comme Lénine et Trotsky l'ont fait à la suite de la victoire de la révolution russe. Dans ces cas, aucun des dirigeants ne percevait que le plus important était de prolonger la révolution et la lutte au monde entier et non pas d'essayer de ne défendre que ce qui avait été gagné dans un seul pays. Plus encore, il n'y a aucun moyen de défendre ce qui a été obtenu, autrement qu'en allant vers de nouvelles conquêtes. Aujourd'hui, les trotskystes, et non pas tous ceux qui se réclament du trotskisme, mais les vrais trotskystes sont les seuls qui défendent la nécessité de construire une organisation internationale, la nécessaire solidarité internationale avec des campagnes internationales. Mais j'insiste tout particulièrement sur la nécessité de construire une organisation internationale car, on peut parfois trouver dans le mouvement ouvrier des partis politiques qui organisent des campagnes de solidarité avec certaines luttes mais, le problème est de construire une organisation internationale et c'est ce que nous essayons de faire avec la LSI (Ligue Socialiste Internationale).
— Nous allons continuer à discuter de différents aspects du trotskisme jusqu'au 22 août. Veux-tu ajouter quelque chose pour les camarades qui nous écoutent ?
— Il me parait important de rappeler, comme nous le disons toujours, que tout ce que nous disons là a pour but de susciter l'intérêt des militants pour le sujet. Bien évidemment, le travail de Trotsky et son activité militante, englobent plusieurs sujets importants. J'espère que l'étude que nous en faisons va servir à continuer pour approfondir afin de nous éclairer dans les tâches actuelles que nous avons pour la lutte contre le système capitaliste, pour le combat pour construire une internationale avec des dirigeants dans tous les pays. C'est le combat qui permettra de trouver une issue pour les travailleurs.
— Merci Martin. Nous continuerons à faire appel à toi pour discuter de cela et d'autres sujets. Rappelez-vous : le 22 août grand rassemblement organisé par la Ligue Socialiste Internationale et chaque semaine regardez "international panorama" sur notre chaîne YouTube puisque nous continuons des exposés sur la vie et le travail de ce révolutionnaire russe.
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