Le bobo-social ou la tragédie du concept de charité
Petite histoire d’une génération de battants.
Le bobo-social n’est pas un bobo ordinaire.
Bien que majoritairement issu de la petite bourgeoisie, ou ayant contribué à la recomposer, l’économie française ayant eu besoin dès les années 50 de cadres aguerris aux techniques de tri, d’orientation, de recadrage des populations laborieuses pour asseoir la productivité de son économie, ces personnes, qui firent la grande époque de ce qu’on appelle le « social » en France, ne purent rarement se distinguer comme une classe sociale à part entière. Leurs métiers n’existaient pas ou peu. Car pour qu’un métier existe il faut au moins attendre que les employeurs le reconnaissent. Ce qui mis beaucoup de temps pour certains.
Assistants sociaux, psychologues, éducateurs ou animateurs, ils n’avaient pas la chance comme les médecins, de pouvoir s’abriter derrière un statut unique et une caste. Difficile également d’exercer son métier dans le privé, ou de se vanter de ses diplômes et de ses expériences professionnelles, toujours trop « exclusives ».
Leurs formations étaient des fourre-tout, et quand elles étaient trop pointues, elles ne leur servaient à rien. Ainsi, certains apprentis psychologues se posèrent des questions pendant des années, sur l’intérêt comparé des expériences d'un Pavlov ou de celles, plus douces, d’un Konrad Lorenz, puis se mirent au travail, et commencèrent à faire des fiches.
D'autres, plus chanceux, se retrouvèrent plongés dans le travail analytique, se passionnèrent pour l’anti-psychiatrie, se mirent au travail, et se mirent également à faire des fiches.
Rarement isolés, ces gens trouvèrent aisément des moyens de se regrouper dans des communautés de pensée. Sans trop le savoir, ils lisaient les mêmes livres, écoutaient les mêmes émissions, voyaient les mêmes films. Ils votèrent également pour les mêmes gens, se passionnèrent pour les mêmes débats, et élevèrent leurs enfants de la même manière.
Car les gens qui choisirent ces métiers dès les années 70, furent à peu près tous fabriqués dans le même moule, et passèrent donc à l’identique, dans cette énorme machine à broyer les idées, qui s'appelle la tragédie idéologique de la mouvance de gauche de la fin de notre XXe siècle.
Bohème, le bobo social l’était donc avant d’être bourgeois. Et contrairement au « pur » bobo, qui en fait une attitude artistique ou une extravagance, cette bohème est pour lui une sorte de tendance « au naturel » lourde, bien présente, voire gênante, mais indispensable à son existence, comme l’huile dans la salade, ou le fromage sur les pâtes.
Bourgeois, il l’est également bien sûr, mais tout petit, avec un minimum d’appétit pour la capitalisation. Avec son argent, il aura fait pourtant toute sa vie ce que l’on lui aura conseillé. Acheter très tôt une maison, avoir un compte épargne, une bonne mutuelle, ne jamais priver ses enfants de rien. Choses désormais impossibles pour la moyenne des nouveaux travailleurs sociaux.
Aguerri et informé par sa fonction à la compréhension des multiples aides et privilèges accordées en France dés la naissance de chaque individu, il aura savamment cumulé ses primes de salaires, réclamé ses avantages complémentaires, épargné pour sa retraite et profité de tout ce qui semblait fabriqué pour lui, des coupons de réduction pour les couches culottes, aux places de spectacle offertes par les institutions.
Moraliste par manque d’idée, ou faux idéaliste ayant joué à mépriser la morale, le bobo-social représente l’ultime version de ce beauf de gauche, qui a lu tous les livres, qui a été de tous les combats, mais qui n'est plus vraiment à l’aise avec les idées révolutionnaires, qu’il s’agisse de les appliquer à lui-même, ou à la société en général.
Car cette révolution, étant tombé dedans quand il était petit, n’a plus grand intérêt. Il y pense encore, le matin surtout, quand il se demande si cette chose a bien eu raison d’exister. Car le bobo social à bien eu du mal pendant toutes ces années, à faire surnager chez lui la cohérence d’une petite conscience de gauche.
Ecartelé dans les années 70 entre les pensums obligatoires que représentaient l’apprentissage universitaire de ces nouveaux métiers, et les multiples tentations marxo-léninistes, pro-situationnistes, hédonistes, ou radico-socialistes, il dut changer 20 fois de guide spirituel, passant de Marcuse à Vaneighem, de Sartre à Mao, de Jesus à Krishna, de Freud à W.Reich, et de Bakounine à Rocard. Il se rendit malade à tenter de déchiffrer Lacan, retenir des phrases entières des œuvres de jeunesse de Marx, fumer et manger des choses bizarres, et s’ennuyer affreusement dans les moindres débats.
Il s’en tira un peu mieux dans les années 80, car grâce à cette immense déferlante de gauche à chaque recoin d’un nouvel ordre bureaucratique, il avait enfin l’impression de faire partie d’un peuple élu. Il apprit à mieux se mentir à lui-même, à écrire parfaitement les textes demandés par les institutions. Reconnu enfin dans son métier, il apprit un nouveau langage, essentiellement positif, et tourné magiquement vers l’idée d’un progrès social permettant d’offrir la culture à ceux qui n’avaient rien, et la dynamisation économique à ceux qui refusaient tout. Il se mis alors en ménage, et pensa également à faire des enfants.
Ne s’avouant jamais complice des institutions pour lesquelles il travaillait tant, il ne se vantait jamais de son métier, préférant s’intituler acteur, pour avoir déclamé 3 textes en public, danseur, pour avoir osé 3 pas de ballet folklorique, ou réalisateur, pour rentabiliser l’achat de sa caméra.
La trahison du social français, ou l’histoire des faux coupables
Au milieu des années 90 commença l'ère du désenchantement.
Assis confortablement dans l’exercice de sa profession, ayant pris un peu de galon et dirigeant quelquefois admirablement ces nouvelles petites mains du service social qu'étaient ces travailleurs embauchés hâtivement par l’état pour contrôler les miséreux et les inactifs, le bobo social amorça enfin sa première grande crise de conscience.
N’ayant plus confiance en cette gauche dont il avait participé souvent à la trahison, craignant les logiques économiques comme autant de pestes impénétrables ou incurables, assistant impuissant à la main mise totale de l’état sur toute les institutions chargées du travail social par la mise en place de politiques du chiffre, et bien incapable d’accepter de conclure à l’inefficacité de la majorité des services qui l’employaient, lui et ses consorts, il commença à s’enfermer dans sa coquille.
En pleine crise de la quarantaine, réussissant souvent bien moins son divorce que tout ce qu’il avait fait auparavant, voyant d’un assez mauvais œil de jeunes concurrents dans le métier bien plus efficaces car se posant moins de questions, soucieux bien sûr de garder ses prérogatives, le bobo social devait absolument s’inventer un nouveau rôle.
Se servant d’une partie du fatras freudo-marxiste dont il lui restait quelques bribes, il se mit à inventer un langage incompréhensible pour le citoyen de base, et servant principalement à justifier l’inefficacité de ses services.
La souffrance de ceux dont il avait la charge passa du statut de calamité à celui d’un déficit de satisfaction quantifiable, et sondable par questionnaire. Son métier, composé autrefois de 95% de relations humaines et 5% de paperasses, finit par se partager à l’inverse de 95% de rédaction de dossiers, et de 5% d’ « interventions-expertises sur le terrain ».
Il dut se mettre à l’informatique, lui qui toute sa vie s’était pris pour un littéraire, s’informer sur l’intérêt des traitements chimiques à la misère sociale, prendre en compte les besoins des services de police et les diktats régionaux et préfectoraux, choses qu’il avait toujours soigneusement évité.
Son humanisme de gauche finit par ne plus subsister que comme un ensemble de tics, revenant à l’occasion, entre la poire et le fromage.
La droite, ce monstre monolithique qu’il avait soigneusement fuit et évité de comprendre pendant tant d’années, fini par lui apparaître non pas comme un outil politique de domination économique, doué d’une inventivité idéologique colossale, mais comme la résurgence plus ou moins ulcérée d’un nationalisme égoïste et autoritaire.
Le système économique, qu’il avait pourtant tenté de cerner, et dont il avait jugé sévèrement les principes, ne devint condamnable que pour en dénoncer les excès.
Il vécu la mondialisation comme un mal nécessaire, s’insurgeant contre l’exploitation des enfants en Asie ou au Portugal, mais refusant de regarder dans les yeux la grosse machine industrielle qui l'effrayait depuis toujours, il se rendit aveugle à l’écroulement des systèmes de production des marchandises dans les pays nantis.
Confiant dans les sacro-saints principes de dynamisation d’une économie libérale, qui s’arrangeait depuis toujours pour profiter des crises et déficits, avec l’invention de « volants acceptables » de mise au rebut des individus, détestant par-dessus tout les chiffres et les maths, il ne se rendit compte quasiment de rien, et ne protesta que très timidement à tout ce que les politiques de gauche puis de droite mirent en place pour privatiser, déréglementer, défiscaliser le système de production.
Sa vision du spectacle politique devint également monochrome.
Lui qui était dans sa tendre jeunesse le champion de la critique consumériste, céda enfin à la mièvre tranquillité d’un confort domestique fièrement gagné.
Il finit par s’habituer aux vaines gesticulations télévisuelles, faux émois, et sombres excitations d’une classe politique et de leurs chiens médiatiques, pour s’accorder à la représentation parfaitement morale d’un échiquier composé de deux cases.
Avec les bons d’un côté, si possible de gauche, et qui essayent de faire ce qu’ils peuvent, et les autres, les méchants racistes-antisémites-violents-irrespectueux-incultes-inexpérimentés. qui passent leur temps à dire du mal, et à brouiller les cartes.
Fatigué de réfléchir, fatigué lui-même du pouvoir, et angoissé par le sort du monde, il s’avouera humblement préférer subir la férule d’un patriarche lâche, plutôt que se passionner pour les ambitions éclairées d’un vaillant candidat.
On trouvera le bobo-social un peu triste, ou amère. Mais on ne le prendra jamais en défaut de se déconsidérer politiquement. Inaccoutumé à se sentir coupable, et libre de tous remords, il pourra s’accuser lui-même d’avoir raté sa vie, mais sauf de rares exceptions, l’on ne le verra jamais se donner des claques pour les choix laborieux qu’il aura fait.
A la fin de sa carrière, il rendra essentiellement l’institution qui l’aura employée, ou l’état, responsable de l’échec de son métier, ou de ce qu’il aura tenté.
Pourtant il n’osera jamais s’avouer que le social en France, avait admirablement réussi sa mutation en substituant son travail d’assistance et de compréhension individualisée, à une activité globale de traitement des problèmes sociétaux permettant de trier scientifiquement les malades, les indésirables et les irrécupérables, par pathologie, ethnie et quartier, comme à une autre époque Thiers, Turgot ou Tocqueville inventaient cette nouvelle chasse à l’homme, en cherchant à distinguer les bons et les mauvais pauvres.
Il avait contribué à prévenir tout incident à la limite de l’implosion, mais n’avait permis le salut qu’à ceux qui, pour disparaître du champ de ses inquisitions, acceptaient de se plier à tout.
Il était rentré tête haute dans les quartiers pour y intégrer un peu d’apprentissage de vie.
Il en repartait tête basse en y ayant rendu obligatoire l’apprentissage de l’intégration.
Pourquoi le Monsieur y vient plus nous voir Maman ?
L’état, malade de ses finances publiques, ou plutôt de la publicité faite à ses finances, cherchait à se désengager du traitement social au profit des régions. Mais pour ne rien perdre du contrôle de l’institutionnalisation renforcée de totalité de ces métiers liés au social et à la culture, tout fut désormais négocié et acquis sous forme de contrat. De l’association usant et abusant de milliers d’heures de bénévoles et désirant simplement remplacer la photocopieuse, au pauvre RMIste devant lui aussi signer ce contrat.
La faiblesse de ses moyens, totalement dépendante de la misère financière à laquelle toute politique sociale devait obligatoirement être liée, et ce dès les années 90, l’avait déjà conduit à l’adoption d’un langage fataliste. Le « pas trop le choix », le « faire avec », le « mieux que rien », avaient ainsi remplacé les slogans positivistes et vitalistes d’antan.
Conscient de la destruction extraordinaire de la confiance que les habitants de ce pays mettaient dans les politiques locales, il se gargarisa de formules chirurgicales ou ethnologiques, comme « reconstruire le lien social », « refavoriser la mixité », « remédiatiser l’esprit populaire », ou « retrouver l’expression des champs de cohésion disparus ».
L’abus du préfixe « re » suggérant que tout avait existé, et qu'il ne suffisait plus que de faire revivre ces choses en tapant dans les mains, et en y croyant très fort. Sachant pourtant qu'il n’aurait jamais plus l’outrecuidance d'inventer des choses nouvelles, pour ces gens auxquels ils avait vendu 50 fois le monde par jour pendant 20 ans, mais que l’on avait fini par priver de tout, jusqu’à leur identité. Car c’est une règle chez les gens qui font du porte à porte : quand on vend des choses dont on n’est pas sûr de la qualité, il faut éviter de tirer deux fois la sonnette si l'on a rien d’autre à vendre.
Ayant enfin fini par abandonner publiquement son bréviaire Freudo-Lancanien, tout en le réservant à l’analyse brouillonne de ses propres déboires familiaux, il sera devenu comportementaliste, préférant tout faire pour financer des groupes de jeunes Rappeurs, ou des colos, rebaptisée pour la forme « séjours de rupture », et devant guérir provisoirement les adolescents des quartiers « difficiles », d’un mal social endémique ne portant plus de nom, et que plus personne n’ose juger.
Le fatalisme social ou l'ultime arnaque du grand capital
Il aura donc passé les dernières années de sa carrière à faire de très belles choses, sans rire, comme aider des gens à « conscientiser leurs émotions », à « engager des processus d’extinction comportementaux négatifs », à favoriser leur « esprit entrepreneurial », à accepter le « coaching éducatif », à « partir pour mieux revenir », et à « réengager des processus identificatoires ».
Et lui-même jugera très modestement l’ensemble de son travail, comme celui d’un acteur institutionnel ayant défendu toutes ces années « l’idée marginale d’un possible », ou celui d’un résistant ayant tenté malgré ses failles de « repérer l’universel des problématiques sociales dans la singularité de son expérience ».
Sa hiérarchie qu’il aura vue se renforcer de façon totalement pyramidale, les systèmes de pression sur chacun des salariés de ce système, la restriction drastique des effectifs entraînant chaque jour toujours plus de paperasse pour moins d’efficacité, l’espionnage et les manipulations dont il aura lui-même pu être victime, il mettra tout cela sur le compte d’un nécessité de fonctionnement, permettant de défendre son pauvre petit service, chose perpétuellement menacée, car c’est une audace incroyable du libéralisme que d'avoir inventé l'instabilité de ces institutions. Il finira même par être d'accord avec ce besoin hypothétique de rentabilité du secteur social, imposant d’évacuer par intérêt tout personnel concurrent ou oisif, et par hygiène, toute brebis galeuse.
Ne cherchant plus à prendre sa revanche sur un système qui l’aura exclu en réalité depuis longtemps, il abordera son heureuse et méritée période de retraite avec une petite angoisse existentielle bien méritée.
Trop fatigué ou timide pour se mettre à apprendre un nouveau métier, lassé par avance des cours de poterie ou de macramé qu’il fréquentait déjà à 20 ans, découragé par le regard, ou plutôt la fuite du regard des autres, le bobo-social va se persuader très rapidement qu’il n’a qu’un choix, continuer à faire du social, mais cette fois-ci à son compte.
Les mendiants du coeur
Il deviendra alors utile à toutes ses associations désargentées, autrefois copieusement financées par l’état, les villes ou régions, mais animées aujourd’hui exclusivement par des bénévoles de tout bord. Sa fascination pour la charité lui permettra de s’occuper des super exclus, des pauvres, des malades, de ce quart monde, au besoin en les invitant chez lui, ou en tentant de leur faire croire qu’ils peuvent être utiles.
Il s’occupera de gens qui viennent de loin, ou d’autres qui sont revenus de tout. Il préfèrera du Comorien plutôt que du Russe, car plus paumé et moins arrogant. Il acceptera les dépressifs légers, en fuyant comme la peste, les gens à problème. Il donnera beaucoup, mais jamais assez pour que les barrières disparaissent, et ne recevra quasiment rien en retour, si ce n’est l’aigre douce impression de ne pas être complètement inutile.
Il fréquentera également les officines politiques, plus en observateur éclairé qu’en militant actif. Il découvrira un peu mieux son corps, et tentera de faire du sport, mais sans grande passion. Il retrouvera ses collègues, ou ceux qui travaillaient dans la même branche, et partagera avec eux quelques angoisses existentielles, pleurant quelques larmes sur la vie qui passe, les mauvais coups, le mauvais temps, et leurs pensions trop maigres.
N’étant plus trop habitué au regard sur lui-même, les petites névroses de la tendre jeunesse lui sauteront à la figure comme des guignes, quand à celles de la maturité, il les grossira souvent par abandon mélancolique.
Il ira donc revoir le psy, auquel il racontera tout pour la quarante troisième fois.
Il lui fera encore un petit coup de transfert dans les deux sens, puis l’oubliera un peu, en se félicitant de sa couverture sociale, et en se demandant s’il n’aurait pas du faire ça comme métier.
N’ayant jamais vraiment pris la peine d’accepter de vieillir, car immergé depuis l’âge de 20 ans dans l’idée d’une éternelle jeunesse, le bobo social, tentera de s’accrocher encore à ses enfants, sachant aussi peu arrêter de vouloir être père ou mère, que d’organiser intelligemment son travail de grand-parent. Car comme tout le monde, le bobo-social a besoin de passion pour réveiller ses passions. Mais toujours très mal organisé dès qu’il s’agit de travailler pour lui, véritable champion de l’anti-dialectique, et plus ou moins prolétarisé, il cherchera encore farouchement à reproduire les mêmes problèmes existentiels, les mêmes faux devoirs, les mêmes fausses passions, les mêmes débats stériles, et donc le même ennui.
Souvent célibataire, l’homme cherchera celle qui devra le guérir de toutes ses humiliations.
Il la voudra jeune, plus jeune que lui, pauvre aveugle, n’ayant eu que si peu de regard pour celles qui ne représentaient pas l’absolue jeunesse. Il n’aura aucune chance de la trouver, mais quand, au hasard de ses rencontres et de sa furieuse obstination, il rencontrera celle qui lui ressemble, il n’osera jamais s’avouer à sa hauteur, et finira pas la perdre tristement. Soulagé donc, mais presque sans regret.
Plongée dans la même situation, la femme, plus intelligente et plus lucide, recherchera l’ami, l’épaule, le complice, le compagnon, sans jamais vouloir rien forcer, et sans plus trop y croire.
Elle le trouvera, elle aussi, mais craignant par-dessus tout ces hommes, leur regard ou leur absence de regard et leur manie à vouloir juger de tout, elle cherchera à préserver son univers, et aura beaucoup de mal à reconstruire quelque chose.
Le binome bobo-social, car bon nombre n’hésitèrent pas dès les années 70 à s’associer concubinalement puis maritalement, aura mieux résisté.
A l’examen, l’on remarquera pourtant, sauf exception, une extraordinaire stratification de la structure idéologique de ces couples. Osez vous moquer quelques secondes de leur réalité, ou de leur passé, professionnel ou privé, osez mettre en doute leurs lectures à propos desquelles ils se consacrèrent ensemble à bâtir de véritables mausolées à leurs idoles, et vous vous aurez à peu près la même impression qu’un touriste en short ayant traversé sans se rendre compte la frontière nord-coréenne, et se retrouvant nez à nez avec une mitrailleuse.
Dans la même veine, vous aurez peut-être la malchance de tomber sur ces couples concurrents idéologiques, qui se déchirent depuis 30 ans, et sont à l’affût de n’importe quel témoin. Ca partira juste après le dessert. Vous n’aurez que 3 secondes pour vous enfuir avant que la maison vous tombe dessus.
Et si vous rencontrez ces couples bonzes, ayant accumulé la soumission professionnelle depuis des lustres sans férir, sans une critique, sans un mot sur le boulot à table, comme dans certaines familles d’ouvrier, surtout ne leur dites rien. Vous avez l’impression qu’ils sont forts, parce qu’ils passent leur temps à faire leur jardin, s’occuper de leurs ruches, ou a caresser leur chien. Mais en leur disant la vérité, vous risquez de les briser comme du verre.
Cours vite camarade, le social est derrière toi
Ainsi, celui qui fut ce champion du partage humaniste, et de la volonté de changer le monde, celui qui pendant plus de 30 ans entretenait les croyances dans les mêmes idées de 1968, ce véritable héros, ce maçon stakhanoviste, capable autrefois de poser plus de 30.000 briques par jour pour reconstruire du lien social, finit aujourd’hui par se demander ce qu’il a bien pu oublier, parmi quelques petites choses fondamentales.
Et comme il connaît tout cela par cœur, l’examen de conscience va très vite
Vivre ensemble, … C’était la base.
Quand il s’imaginait dominer ce monde parce qu’il possédait à la fois la vérité sur la planète, et quelques moyens économiques pour avoir le temps d’y agir un peu ses idées, il ne fallait pas oublier de partager, et toujours laisser la porte ouverte, à ses proches comme aux autres.
Et il sait qu’il ne l’a pas fait, ou si peu.
L’humour, le jeu, …Cela faisait aussi partie de la donne du départ.
Trop timide ou frileux, il a oublié cela aussi, quelquefois en faisant agir des spécialistes de la communication à sa place. Qui n’amusaient personne bien sûr.
Et pour retourner à ses lamentations qui recouvraient toujours les petites joies, les petites victoires, les petits bonheurs. Car il aura passé toute son existence professionnelle à réclamer des moyens, ou à contester la nature de ceux qu’on lui donnait. Se trouvant aveugle, il pleurait pour qu’on lui donne des yeux, se voyant manchot, réclamait qu’on lui recouse des bras.
Aujourd’hui, il lui reste l'envie de se moquer de tout, mais reste à l’affût.
La critique, la férocité, … Il y pensait toujours, mais pour abandonner ces armes aux pieds de l’ennemi comme des trophées dont il ne pouvait jamais être fier. Quand il était en forme, on le traitait de terroriste intellectuel, et il finissait par se taire. Et quand il n’avait plus que la force de prendre des notes sur le système, il finissait par les perdre ou les déchirer. Car critiquer des choses pour ne jamais les décrypter, et tenter d’en commenter d’autres mais sans les remettre en cause, c’est un jeu facile, mais au fond, si difficile.
Il sait qu’il paye tout cela dans l’amertume, et sans pouvoir trouver un seul Saint auquel se vouer.
Mais aujourd’hui, le bobo-social est encore condamné à réfléchir.
Car en cet instant, il lui manque encore une petite décision :
Voter Hollande et accepter de barboter dans la marmite graisseuse de la social démocratie en asphyxiant définitivement ses idées pour continuer à survivre, ou voter pour le Front de Gauche, et retrouver des petites choses qui le rendait aimable, en risquant d'être vigoureusement ballotté par quelques forces vives, mais dans des terres merveilleusement inconnues.
Iconographie : « Les fascinés de la Charité », tableau de Georges Moreau de Tours (1848-1901) - collection musée des Beaux-Arts de la ville de Reims. La Charité étant ici le nom de l’hôpital où les fanatiques docteurs Luys et Charcot se firent une gloire à inventer une nouvelle maladie qu’ils baptisèrent l'hystérie, et ce, à grand renfort d'hypnose, d'incantations magiques, et de bricolage idéologique.
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