Le CFCM est mort, vive le CFCM
Le Ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve vient de lancer une réforme sur les institutions de l'Islam de France lors de sa visite à la mosquée de Cenon (33). Le choix des mosquées bordelaises est en même temps un choix qui n'est pas neutre. La relative faiblesse et le bon niveau d'intégration de la communauté musulmane dans l'agglomération en font une communauté relativement paisible et épargnée par des enjeux politiques et identitaires forts qui sont loin d'être le cas dans d'autres villes de métropole.
L'annonce faite consiste donc à refondre les institutions de l'Islam de France.
CFCM ou l'échec de l'autonomisation libérale
Cette décision acte de fait la fin de la légitimité du CFCM. Même si cette instance ne sera pas supprimée, elle est de fait clairement montrée du doigt pour son absence de représentativité et surtout d'inaction. Le fiasco communicationnel lié aux attentats de Charlie Hebdo et le pathétique épisode du dîner du CRIF ont certainement facilité le tournant politique. Cette politique de reprise en main par l'Etat de la communauté musulmane en France (car c'est bien de cela qu'il s'agit) montre que l'autonomisation encadrée et finalement assez libérale qu'avait lancée Nicolas Sarkozy lors de la création du CFCM est un échec patent.
La nouvelle instance qui, on ne change rien on recommence, consistera en un CFCM élargi pour mieux l'encadrer discutera de questions précises qui ne relèveront pas de théologies mais de l'organisation du culte n'est pas sans poser sur la réelle volonté d'intégration des musulmans en France. En effet quelle religion autre que l'Islam possède une instance similaire pour se rendre républico-compatible ?
La consécration de la société multi-culturelle ?
La nouvelle instance pose donc très clairement le lien entre intégration et Islam. En cherchant à obtenir des garanties sur la compatibilité républicaine des futurs imams par la validation d'un diplôme d'université, la République pousse un peu loin, la contractualisation avec la religion musulmane. Pas sûr que ce "contrat de confiance" soit à la hauteur des défis lancés dans la société française sur les questions d'intégration, de dérives fondamentalistes et de dialogue interculturel. Au passage, je ne sais pas si vous avez déjà suivi un diplôme d'université, mais c'est un peu un diplôme-bonus qui ne prouve strictement aucun engagement... L'objectif affiché est donc la construction d'une élite musulmane en France qui pourra être le porte-voix d'une communauté.
De plus, la constitution de ce nouvel organisme constitue un pas de plus vers une société multi-culturelle. En effet, dans la perspective d'une "République à la carte" déjà mise en place dans les territoires d'outre-mer, qui permettrait de pouvoir choisir ses jours fériés en fonction de sa religion, l'Etat français marque un pas de plus dans la communautarisation religieuse du pays.
Une brèche dans la laicité ?
En s'investissant de façon aussi importante dans l'encadrement de l'Islam en France, l'Etat marque un pas qui risque d'apparaître une brèche dans le principe de laïcité en encourageant son développement. Tout est échange de bon précédés. Afin de pouvoir faire passer aux yeux de la communauté musulmane son encadrement, l'Etat donne donc son feu vert et les garanties de son développement.
Pourtant ce deal implicite n'est pas sans poser des problèmes égalitaires vis à vis non seulement des autres religions mais aussi des athées.
Le risque est donc grand que le terme liberté brandit par de nombreux musulmans en France se voit opposer celui d'égalité et de fraternité.
Vers une charia républicaine ?
D'autre part, cette instance pourra décider des adaptations que l'Islam doit mettre en place pour se conformer à l'esprit républicain. En d'autres termes cela consiste ni plus ni moins à mettre en place une charia républicaine. En effet, la charia consiste à produire des normes dans de multiples domaines (doctrine, sociale, culturel, relationnel etc.) pour respecter l'esprit de la Révélation. L'enjeu est d'ici de pouvoir construire des agencements compatibles avec la République et la culture française. Cette charia républicaine en devenir est donc une arme à double tranchant : rendre les musulmans solubles dans la société française ou affirmer l'identité musulmane en France.
La mise à mort à peine déguisée du CFCM acte donc l'échec d'une communauté à pouvoir construire un dialogue constructif, représentatif et s'intégrer de façon évidente dans la République. La nécessité impérieuse pour l'Etat de reprendre la main risque donc de modifier un équilibre fragile sur un sujet sensible celui de l'investissement de l'Etat dans les questions religieuses. En cherchant à faire émerger une élite musulmane et républicaine, l'Etat prend un double risque : construire une élite musulmane politique et accélerer la construction d'une société multiculturelle au risque de son éclatement.
L'autre option plus cynique peut aussi consister à considérer qu'en élargissant la représentativité, on augmente le risque des divisions internes construisant ainsi dans cette nouvelle structure un nouveau panier de crabes.
Les unités communautaires et nationales risquent désormais d'être mises à rude épreuve...
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