Le choix de Macron de ne pas reconfiner
Face à la crise du coronavirus, il n'existe pas, dans l'absolu, de bonne solution. Tout au plus peut-on espérer faire le choix de la moins mauvaise des solutions à un moment donné. La décision de ne pas reconfiner sous la pression populaire manipulée par des scientifiques alarmistes était la moins mauvaise solution. Mais il faut penser plus philosophiquement et se demander quelles sont les bonnes questions à se poser face à cette irruption violente du réel dans notre société.
Comment poser les bonnes questions ?
Face au réel dangereux de ce virus, les idées ne font pas le poids. Pourtant, la France est le pays qui aime débattre des idées. Cela remonte au Siècle des Lumières. Mais, en cette période qui bouleverse tout, notre réflexe bien français de recourir aux idées montre très vite ses limites en premier lieu parce qu'il intervient sous la formulation négative suivante : "pourquoi ne pas ?" Par exemple : " Pourquoi ne pas reconfiner les plus vulnérables ?", "pourquoi ne pas vacciner les étudiants ?", "pourquoi ne pas adopter le passeport sanitaire à l'instar de tel pays ?". Mais les questions posées sous cette forme négative ne sont pas tenables. Les seules questions valides sont : "Faut-il faire ceci ou cela et, si oui, pour quelles raisons ?"
Le choix du moment se pose aussi. Trop de considérations vitales sont en jeu (les conséquences sur les vies humaines, sur les libertés fondamentales...). Par conséquent, une question en "pourquoi ne pas ?" n'est pas de mise. Elle le serait dans un débat au sein d'un cercle de réflexion ou de comités de citoyens sur des sujets moins vitaux et moins imminents mais pas ici. "Pourquoi ne pas ?" marque presque une forme de légèreté alors que la gravité impose de s'en tenir à la plus extrême rigueur.
Comment choisir le bon moment ?
S'agissant du choix de confiner ou de ne pas confiner, le moment ne peut, selon moi, dépendre de pressions savantes, populaires ou politiciennes. Le seul critère valable est l'objectivité des faits, l'observation du réel au plus près avec les méthodes les plus fines et les plus sûres.
Actuellement, le choix du moment ne peut pas être couplé à une stratégie qui serait certaine et efficiente. Il ne peut donc être tiré que de l'étude prudente et méthodique, presque au jour le jour, des seules données objectivables. Les pronostics des scientifiques, y compris des plus réputés, ne sont pas de pures données, objectives, immédiates.
J'entendais hier un commerçant de Metz s'exprimer en ces termes : "pourquoi ne pas faire un confinement très dur pendant deux semaines et ensuite on revivra normalement ?" On mesure dans ces propos toutes les limites du raisonnement que j'ai posées ci-dessus : le recours aux idées face à un virus qui est pure réalité et contre lequel les idées ne pèsent pas, la formulation un peu fantaisiste du pourquoi ne pas ?" qui ne prend pas assez en compte l'esprit de responsabilité et des risques encourus. L'idée en soi est même inepte car confiner quinze jours ne ramènerait pas notre restaurateur à une vie normale.
De l'acceptabilité à la « participabilité »
Une nouvelle notion a émergé, celle de l'acceptabilité. Elle est à la fois utile et pernicieuse. Elle est pernicieuse en ce sens qu'elle se substitue au débat démocratique et ne sert alors que d'instrument pour amener l'opinion à se soumettre à une décision prise par le Pouvoir. Il est tentant pour les gouvernants de faire monter l'acceptabilité (par tous moyens ?) pour faire passer leurs décisions en recourant le moins possible à la force. La notion d'acceptabilité est aussi dangereuse en ce qu'elle se fonde sur des sondages éphémères et orientés qui veulent nous faire croire qu'une majorité de gens souhaite le confinement. Cela est faux : les sondés expriment seulement leur crainte d'être obligés de subir un reconfinement imposé. Cela n'a donc rien à voir avec le consentement éclairé.
Une démocratie saine requiert de mettre en œuvre, à la place de l'acceptabilité, une participation démocratique et une certaine transparence des tenants et aboutissants des décisions arrêtées en conseil de défense. Elle exige aussi d'assurer une meilleure participation des élus nationaux et une plus juste représentatitivé du Peuple à l'Assemblée (introduction du scrutin à la proportionnelle).
Le couplage temporel avec une stratégie efficace et sûre
C'est ici une démarche à prendre en compte. Certains experts ont émis la proposition de confiner pour une durée nécessaire à la couverture vaccinale des plus faibles, des plus exposés et des plus contaminateurs (étudiants, par exemple). Cela peut se concevoir mais de nombreuses incertitudes demeurent encore comme les délais de livraison des doses, l'effet du vaccin ARN sur la contagiosité, le risque de l'effet d'une vaccination trop étendue sur l'émergence d'un mutant plus résistant, etc.
Si je n'ai pas de compétences suffisantes pour apporter mon expertise en ce domaine, j'admets que ce couplage stratégique temporalité-vaccination (ou autre stratégie solide de ce type) a du sens, contrairement aux demandes de confinement préventif qui seraient pris dans la précipitation ou sous la pression des prévisionnistes amateurs de courbes exponentielles.
Le choix du point de départ du confinement n'est pas une stratégie en soi. Seule est stratégique la possibilité de fixer une durée en fonction d'une méthode efficace et prouvée.
La décision de Macron est-elle idéologique ?
Le docteur Karine Lacombe a réagi vivement en disant que le Président avait cédé à sa tendance libérale, faisant fi du danger sanitaire. Cette position est excessive et témoigne de l'influence forte de certaines blouses blanches dans les tribunes et les médias ainsi que dans les sphères et les coulisses du Pouvoir.
Il est sage de varier ses points de vue pour prendre un avis. Il serait impardonnable en revanche de se raccrocher aveuglément à ses opinions ou de changer de conviction au gré des changements de situation. Il faut examiner tous les points de vue réalistes comme le recommandait Nietzsche lorsqu'il regardait la montagne du sommet et du fond de la vallée. Seuls les imbéciles ne changent pas d'avis.
En résumé, le passage en revue des points de vue objectivables permet de fonder son avis (ou de le conforter ou de le modifier). Cet avis, tiré de l'examen du réel, est ensuite confronté aux opinions et aux convictions. C'est ainsi que l'Etat, me semble-t-il, a décidé de ne pas reconfiner. Non pas en partant d'opinions (libérales) ou de convictions idéologiques, mais après examen attentif et neutre des faits et des risques.
Puissance, force, violence
Dans les débats qui animent la question de savoir comment lutter contre la crise du Covid, entrent en jeu ces trois éléments : puissance, force, violence. Commençons par la violence pour l'écarter. Elle consiste à jouer sur les faiblesses humaines par l'exercice de pressions sur les décideurs et sur l'opinion. L'instrumentalisation de la peur est une violence, la manipulation des données du réel en est une autre. La violence est l'arme des faibles, de ceux qui n'ont pas les bonnes armes rhétoriques ou les bons codes. La pire de toutes est la haine. En tous cas, elle est impardonnable chez les élites de la santé ou de la politique.
La force est une chose vitale. Elle est saine quand elle est bien employée, à savoir avec retenue, en protégeant les plus faibles, en résistant aux plus forts qui veulent imposer leur propre loi, en cultivant la vertu, par exemple en encourageant les gestes sanitaires et les gestes solidaires. La lucidité, qui consiste à regarder le réel tel qu'il est, à regarder nos propres faiblesses en face, est une forme de force.
La puissance enfin est la création vitale qui permet de fonder : de fonder la confiance par exemple. Elle est intimement liée à l'Autorité, la vraie, la juste Autorité : celle qui sait décider en responsabilité et se contenir.
Conclusion
"Ce n'est pas une crise, c'est une catastrophe" a déclaré Boris Cyrulnik. Et donc, "tout est à repenser, à réinventer". Je ne sais si cela sera possible mais il est vrai que cette crise n'a pas seulement créé de la désorganisation dans l'Etat ; elle a aussi révélé l'absence pure et simple d'organisation dans certains domaines. C'est en prenant tout cela en compte que le choix de ne confiner qu'en tout dernier recours a été pris. C'est là une sage décision et non un "pari" comme le disent certains commentateurs. L'affaire est trop grave pour lancer de paris comme on jette les dés. C'est plutôt les alarmistes qui tiennent des propos imprudents et les adeptes des questions en "pourquoi ne pas... ?" qui opèrent des paris risqués sur la santé des Français et sur l'avenir de notre société.
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