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Le choix des manuels scolaires, une procédure de responsabilité éducative

La récente polémique sur l’apprentissage de la lecture (1) qui oppose le ministre de l’Éducation Gilles de Robien, bon nombre d’enseignants, des mouvements pédagogiques et des chercheurs de l’ESEN, est un indice révélateur de l’âpreté de la crise qui traverse de fond en comble le monde de l’éducation. Nous ne serons jamais du groupe des déclinologues de l’École (ce terme nous paraît bien trouvé) qui estiment le système éducatif français en voie de se déliter, mais, au-delà des apports des sciences de l’éducation en matière d’enseignement de la lecture sur lesquels persistent énormément de divergences aussi légitimes que fondées dans le cadre théorique, nous croyons qu’il est urgent de recupérer la relation de confiance, fortement perturbée, entre le pays et l’institution éducative. L’École étant un lieu privilégié d’apprentissages et d’émancipation, il serait pédagogiquement correct d’encourager les moments de dialogue et de confrontation, plutôt que de vouloir une école du « formatage » et de la « conformation ».

Une indication intéressante vient, cependant, de cette discussion (2) en train de se désamorcer : on va s’interroger sur l’opportunité de réécrire les programmes et les manuels scolaires, ceux en vigueur à l’école primaire paraissant inadéquats pour bien assimiler les plus récentes modifications, dans l’enseignement des éléments fondamentaux des maths, du français, de l’histoire, de la géographie et des sciences (3). D’où la nécessité d’ouvrir un large débat sur la fonction formative des manuels scolaires afin de reporter l’attention de tous sur les modalités de choix, car on a tendance à s’en occuper moins qu’on ne le devrait.

Les motivations sont multiples, mais les plus courantes portent davantage sur le fait que les enseignants ne sont pas habitués à travailler en équipes ni à choisir ensemble, que la procédure de choix qui est prévue à la fin de l’année scolaire (les mois de mai et de juin) ne laisse pas le temps nécessaire pour analyser sérieusement les différentes propositions avancées dans les conseils d’établissement, que pour la plupart des enseignants il est absolument essentiel de mettre en place une démarche didactique et organisationnelle qui soit efficace, complète et sécurisante, que souvent l’enseignant n’est préoccupé que de sa propre discipline et n’estime pas que le manuel, par ses contenus et sa conception, puisse faciliter l’étude des thèmes transversaux.

Conséquence : « la plupart de ceux (manuels scolaires) actuellement en vigueur sont désastreux » (4), d’après L. Lafforgue et Marc Le Bris, surtout ceux destinés à un public de maternelle et du primaire qui s’initie aux apprentissages fondamentaux et qui commence à expérimenter ses modes relationnels. D’aucuns se révèlent « incompréhensibles », peu opérationnels et dépassés, sur le plan de l’actualité et de la méthodologie. Nous convenons à cet égard que renouveler les manuels signifie peser économiquement sur le budget des familles, surtout sur celui des plus défavorisées, mais il est vrai également qu’un texte inadapté qui ne convient plus au public auquel il est destiné, peu accessible, est un outil non seulement inutile, mais nuisible. Bien entendu, nous parlons de textes qui évoluent en rapport à l’âge et aux attentes/besoins du destinataire et donc nécessitent une révision qui s’adapte aux parcours formatifs de classe et d’établissement, et qui répondent aux critères de flexibilité et de facilité d’utilisation. Sur un point, il vaut la peine d’insister, à savoir qu’il est important que l’enseignant connaisse en profondeur le manuel, pour y trouver à l’occasion des possibilités autres que celles déjà élaborées. Et cela pour que l’apprenant ne se sente pas prisonnier à l’intérieur d’un schéma standardisé, ni l’enseignant obligé de dispenser des connaissances dans une optique qui ne serait pas perçue productive et satisfaisante sur le plan de l’assimilation.

C’est normal, direz-vous, mais le risque est que le manuel scolaire n’ait rien de méthodologique et de progressif, entraînant ainsi une pédagogie de la confusion extrêmement nocive pour l’enfant en situation d’apprentissage. Cela impose une exigence de contrôle qui, à l’heure actuelle, ne nous semble pas assez rigoureuse. Car, quotidiennement et sans que les autorités n’interviennent, bon nombre de documents (textes de référence, documents iconiques et graphiques), y compris les photocopies (5) , sont introduits en classe et, assez souvent, sans répondre à des standards précis de qualité et de rigueur scientifique.

N’oublions pas que le manuel scolaire joue un rôle actif au point de vue psychologique. Il accompagne l’enfant dans tout son itinéraire formatif, le soutient devant les difficultés et l’encourage à acquérir des compétences démocratiques (6) . Compte tenu de la grande hétérogénéité de nos classes, le manuel scolaire a une fonction de rassemblage et d’homogénéisation des différents styles cognitifs et comportementaux. Il est un formidable trait d’union qui lie les enfants entre eux, l’enseignant à l’enfant et les enseignants aux familles qui ont la possibilité de dialoguer plus facilement, dans un esprit de collaboration sérieuse et durable.

Nous ne voulons pas non plus sous-estimer le croissant phénomène des nouveaux médias pour lesquels les jeunes manifestent grand intérêt. L’accès au savoir passe aussi par Internet et par les nouvelles technologies de la communication, qui sont certainement plus stimulantes, offrent plus de liberté dans l’approche communicative, et influent sur la réussite scolaire, mais nous n’avons aucune hésitation à préférer la galaxie Gutenberg au village planétaire imaginé par l’essayiste canadien Marshal Mc Luhan. Nous pensons que le livre de classe donne au lecteur des émotions uniques et qu’il conduit le jeune à s’aventurer dans un autre monde que le sien, qui ne se construit qu’au pouvoir d’évocation des mots, de l’écriture, de la lecture.

C’est pourquoi nous pensons que même dans l’ère de l’informatique et de l’innovation technologique, les manuels-penseurs en papier sont porteurs d’un savoir approprié, vrai. L’apprentissage n’est pas un mécanisme abstrait de mémorisation. C’est un lent mais progressif processus de construction conceptuelle, qui a besoin d’un support, le texte, pour s’intérioriser. L’enfant qui apprend nécessite, donc, d’entretenir deux types de relation, l’une tendant vers les contenus culturels, et l’autre vers l’autorité de la page écrite. Il va mettre en confrontation ses acquis avec d’autres savoirs, concrétisant un réel apprentissage. Même quand l’apprentissage porte sur des notions disciplinaires, ou quand l’attention se penche sur une analyse plus fine du discours se situant dans une perspective socio-constructiviste, le manuel demeure un outil précieux de découverte d’une ambiance socioculturelle en mutation, qu’il faut bien connaître.

Pour finir, ce n’est pas hasardeux d’affirmer que le niveau culturel d’une école se mesure aux manuels scolaires choisis. C’est pourquoi leur choix ne peut aucunement se réduire à un rituel, à une sorte de routine que l’on observe mécaniquement et parfois sans se demander pourquoi. Conscients de la responsabilité éducative, les enseignants doivent avoir une vision bien plus large sur les avancées de la recherche méthodologique. Bien entendu, le manuel n’est pas tout dans la classe. A la maternelle et à l’école primaire, il est impossible de s’enfermer dans une seule façon de se rapporter. En fonction des réussites et des échecs, l’enseignant peut faire appel à des outils même très distants du manuel, qui permettent de remédier aux failles ou de consolider les acquis. Un lien constructif et dynamisant se réalise ainsi entre l’enseignant et le manuel. C’est là que réside sa responsabilité professionnelle. Une responsabilité qui s’active au moment où il va rechercher des meilleures entrées et situations pour aider tous les enfants à apprendre.

Notes  : 1) Les prises de positions du monde éducatif font suite à la circulaire du 3 janvier 2006 et à l’arrêté du 24 mars 2006 par lesquels le ministre de l’EN autorisait l’apprentissage à l’école primaire de la méthode « syllabique » présentée comme la voie magique à préférer à la « globale ». 2) A vrai dire il s’agit d’une réédition de l’opposition approche synthétique et approche analytique apparue dans les années 1960-1970. 3) Cf. les récentes enquêtes PISA en 2000 et 2003. 4) Cf. l’article de L. Lafforgue et Marc Le Bris paru dans Le Figaro le 23 octobre 2006. 5) Dans les années soixante-dix on avait proposé l’abolition des manuels scolaires et l’utilisation des photocopies et de toutes sortes de documents alternatifs. C’était l’époque post soixante-huitarde où les textes universitaires étaient considérés comme porteurs d’une culture bourgeoise et de classe. 6) Ce thème, de grande actualité (c’est l’année scolaire où le socle commun de compétences et de connaissances trouve son application sur le terrain) nous renvoie à la très intéressante lecture du texte de Philippe Breton, L’incompétence démocratique : la crise de la parole aux sources du malaise, Ed. La Découverte, 2006, où l’auteur essaie de mesurer le degré de compétence démocratique dans la société française actuelle.


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4 réactions à cet article    


  • gem gem 28 novembre 2006 15:10

    Aussi paradoxale que ça puisse paraitre, vous êtes illisible ! Trop d’épitètes, trop d’incises, trop conjonctions, trop de mots dans les phrases, trop de jargon... D’aucuns ajouteraient : langage trop précieux ; je n’en suis point, nonobstant je me garderai de trouver cette éventuelle critique infondée, eut égard aux canons performatifs en vigeur smiley

    Et tout ça pour dire quoi ? Que les manuels scolaire c’est important, qu’ils faut les choisir avec soin, et en équipe. Et qu’un livre structuré (un manuel) ça reste utile même au temps d’internet. Certes...

    En plus, vous ne maitrisez pas (pas encore ?) l’outil, ce qui fait que vos listes se retrouve compacter dans un même paragraphe.

    Résultat : 5 votes (seulement), 100 % de « non ». Sans appel...


    • Raphaël Frangione (---.---.157.94) 29 novembre 2006 17:16

      Votre commentaire ne m’irrite pas.Mon ancien travail d’éducateur m’a appris sur le terrain à respecter toutes les opinions, à condition qu’elles soient motivées. La vôtre me paraît aussi faible que censoriale (est-ce que vous êtes encore pour le crayon à deux couleurs ?). A un lecteur pressé comme vous je dirais de relire ,sans préjugés,mon texte qui, bien que « simpliste » (pas du tout « illisible ») aborde une question de grande actualité. Elle regarde le choix et la fonction des manuels scolaires et, par extension, la révision des programmes scolaires.

      C’est sur la conception de cet outil formatif,le manuel,sur ses utilisations,sur son avenir ou sur la formation des enseignants à son usage que j’aimerais vous lire. Est-ce que la crise de confiance dont souffre l’école française frappe non seulement les disciplines mais aussi les manuels ?


    • Franck ALERINI (---.---.114.17) 3 décembre 2006 14:15

      « la plupart de ceux (manuels scolaires) actuellement en vigueur sont désastreux ». Asséner une telle affirmation en ne s’appuyant que sur les dires de MM. Lafforgue et Le Bris relève presque de la désinformation. L’immense majorité des chercheurs (Gombert, Goigoux, Ramus, Bentolila, etc.) s’étant penchés sur la question la contredisent. De même qu’affirmer que « ce n’est pas hasardeux d’affirmer que le niveau culturel d’une école se mesure aux manuels scolaires choisis ». Car au-delà des manuels, il existe des méthodes, et encore au-delà, des enseignements. Qui peut affirmer qu’employant un même manuel, deux professeurs dispenseront le même enseignement ?


      • Raphaël (---.---.157.172) 6 décembre 2006 09:03

        Au-délà des manuels, des méthodes et des enseignements il n’y a que le groupe-classe. Une réalité beaucoup plus complexe qu’on le croit où cohabitent des personnalités assez diverses dont très souvent on s’en oublie. En ce contexte , le choix du manuel scolaire se revèle un acte de grande responsabilité éducative, le premier par lequel l’enseignant essaie de répondre aux multiples besoins de ses élèves.

        En outre, que bon nombre de manuels de français apparaissent « notamment en primaire, incompréhensibles, inutilement jargonnants et complexes »(Le Parisien du 29.11.2006. Entretien avec le Ministre), cela n’est qu’un simple constat. Il suffit de lire les résultats des récentes enquêtes et études sur l’état de l’école française (PISA 2000 et 2003) pour apprendre que 15 à 20% des élèves qui entrent en sixième ne savent pas lire.

        Est-ce que vous pensez, comme il arrive d’habitude, que ce déficit de compétence soit attribué à l’« incompétence » des enseignants ?

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