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Accueil du site > Tribune Libre > Le coup d’Etat militaire au Niger vu par la presse

Le coup d’Etat militaire au Niger vu par la presse

Jeudi 18 février 2010, une junte militaire aurait investi le palais présidentiel à Niamey pour renverser le président (néolibéral) Mamadou Tandja, au pouvoir depuis 1999.
Crainte d’une nouvelle dictature, perte de légitimité, incertitude quant à des élections démocratiques, retombées économiques incertaines, peur de voir les intérêts de la France s’écrouler comme un château de cartes, les journaleux s’enflamment au grand bal mondain des hypocrites...
Je n’y étais pas, impossible donc d’écrire un article ayant une réelle portée journalistique, rapportant une expérience vécue, observée, ou des témoignages recueillis auprès de la population. Mais une chose me choque dans ce que l’on peut lire dans les grands titres de la presse à grand public.

La première chose frappante est le titre d’une dépêche de "Reuters" que je lis, les yeux rivés sur mon écran d’ordinateur : "Le coup d’Etat pourrait favoriser la démocratie au Niger".
Comme dans 1984, où le ministère de la vérité nous dit que la guerre c’est la paix et que la liberté, c’est l’esclavage ?
 
On savait déjà que le rôle des médias de masse de nos jours consiste moins à informer réellement le lecteur sur ce qui se passe dans le monde, que le maintenir dans le flou, quitte à masquer la vérité, pour que celui-ci pense dans le même sens que les élites qui gouvernent son pays.
Les mécanismes de propagande à notre époque sont d’habitude difficile à décrypter, de par la vitesse de transmission des données et la complexité des phénomènes à analyser.

Cependant, un exemple sans précédent de propagande a priori décomplexée semble s’inviter à mes yeux en ce jour de vendredi 19 février 2010 : un coup d’Etat militaire soit disant organisé avec la volonté du peuple au Niger, serait susceptible de favoriser la démocratie. Le titre apparaît comme quelque chose qui sonne faux, comme la révélation de deux évènements complètement antinomiques l’un et l’autre. Un peu du style "BHL est un philosophe", ou "Sarkozy, un démocrate socialiste"...
Bref, il me semble que lorsqu’une junte militaire s’empare du pouvoir, dissout les institutions et se proclame cheftaine du Conseil suprême (la suite n’a comme d’habitude, aucun sens) pour la restauration de la démocratie, cela ne fleure pas trop la démocratie. Même si elle renverse un président qui s’arroge par référendum le droit de briguer illégalement un autre mandat, il ne faut pas s’attendre à ce que des militaires au pouvoir ne rétablissent des institutions démocratiques !
 
Lorsque le 11 septembre 1973, des militaires s’emparent du palais de la moneda à Santiago du Chili, assassinent Salvador Allende pour prendre le pouvoir, s’agissait-il d’une restauration de la démocratie ? Tout dépend du sens que l’on donne au mot démocratie.
Lorsqu’un certain Chavez est réélu en 2006 président du Venezuela, chef du mouvement vers le socialisme, on crie haut et fort qu’il est un dictateur. Lorsqu’un coup d’Etat militaire survient en Françafrique, on scande que cela va restaurer la démocratie. Lorsqu’un pays expulse des afghans dans un pays en guerre, il n’y a nulle violation du droit international, lorsque qu’un palestinien lance des pavetons sur un blindé de Tsahal, c’est une déclaration de guerre... Cherchez l’erreur.
Le journaliste de Reuters aurait-il écrit le même titre si un groupe révolutionnaire, ou l’armée française se joignait au peuple pour renverser Nicolas Sarkozy par un coup d’Etat, pour y installer un conseil suprême chargé de la transition vers la restauration de la démocratie ? Rien n’est moins sur.

Bref, toujours était-il que Mamadou Tandja est un néolibéral. Au pouvoir depuis 1999, il rétablit des contacts avec les bailleurs de fonds occidentaux en infligeant à l’économie nigérienne des politiques économiques libérales, ce pour bénéficier des fonds internationaux (FMI, Banque Mondiale). Fort des garanties de libéralisme économique aux puissances coloniales de l’occident, Tandja réalise des coupes franches dans les budgets de l’éducation, de la santé, réduit les effectifs de la fonction publique, et la contestation sociale grandit et se généralise. Or, à chaque époque de crise politique et sociale, s’il y a changement de régime politique, c’est soit un régime socialiste proche des aspirations du peuple, soit un régime militaire fasciste, autoritaire ou autocratique qui se met en place. Dans un contexte de globalisation économique, où toute gouvernance des Etats est dictée par la loi du marché, il n’est pas difficile de comprendre que la mise en place d’un gouvernement socialiste dans un pays en crise politique constituerait une menace pour les élites capitalistes de la planète, et qu’ainsi, elles préféreraient le régime politique qui leur permettrait de maintenir leur puissance. Or, un régime totalitaire est bien plus bénéfique pour un empire économique occidental qu’un régime démocratique, même libéral, dans la mesure où il n’y existe nul droit du travail, nul droit de grève, ne parlons pas du syndicalisme et des luttes sociales, qui appellent à gangréner le monde de l’entreprise oligarchique.
 
Evidemment, un changement de régime par la force fait peur à la France, dans un pays où Areva, puissant groupe industriel français de l’énergie atomique, tire profit de l’exploitation de l’uranium nigérien.
Après avoir suspendu les vols de Paris à Niamey, (peut-on lire dans la presse) on apprend qu’il n’y aurait pas de danger pour Areva à la suite du coup d’Etat.
En fait, la transition d’un régime ultralibéral vers un état d’exception gouverné par une junte militaire, importe peu. Ce n’est pas l’instauration d’une démocratie qui compte, mais la survie des intérêts économiques de la France au Niger.
Avec 13.3 millions d’habitants, et 7.42 enfants par femme selon l’indice de fécondité, le Niger est l’un des plus gros producteurs mondiaux d’uranium, possède de nombreux gisements de pétrole, de minerai de fer et d’or, et figure pourtant parmi les pays les plus pauvres du monde. Areva, groupe industriel public français (filiale du Commissariat à l’Energie Atomique) et Total sont présents dans ce pays. On imagine alors très bien que pour la France, via Total et Areva, cette crise politique est à suivre de très près s’ils veulent continuer à piller les ressources de cette partie de l’Afrique.
Il faudrait demander à notre grand BHL reporter-chroniqueur-philosophe sioniste, lui qui sait tout mieux que tous, la réelle portée de la situation puisque je n’y suis pas allé, mais on peut douter de cette volonté affichée dans les colonnes journalistiques de restaurer la démocratie.
 
Enfin, bien que les théories du complot laissent souvent aller à de mauvaises spéculations, ainsi qu’à une propagande inversée tout aussi malsaine que celle de l’idéologie dominante, on peut tout de même supposer que ce coup d’Etat militaire puisse avoir été soutenu/voulu par la France et le quai d’Orsay. Oui, je spécule. Une chose que les médias français ne nous diront jamais, si tel est le cas, c’est le vrai fondement du renversement du régime de Tandja. Peut-être ne représentait-il pas assez les intérêts de Total et d’Areva, et que, pour le gouvernement français, et pour la communauté internationale, une dictature militaire est préférable pour pérenniser la domination juteuse des multinationales occidentales ? Les élites économiques, pour satisfaire à leur appétits bestiaux en capitaux, peuvent faire tomber n’importe quel gouvernement qui leur est opposé, ce scénario apparaît aujourd’hui plausible, même s’il reste sans réponse.
 
Une chose est sûre, dans tous les cas, c’est le peuple une fois de trop qui est le grand perdant de la partie.
 
Samuel Métairie
 
http://sam-articles.over-blog.com.
 

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9 réactions à cet article    


  • Vilain petit canard Vilain petit canard 22 février 2010 10:10

    Ce weekend sur i>Tele, j’ai vu la brève racontant ce coup d’Etat. Pour illustrer cette brillante avancée vers la démocratie, on voyait sur des images d’archives Tandja serrer quelques mains, histoire de montrer qu’il était président avant.

    Et bien moi j’vais vous dire : on le voyait une fois serrer la pince à Anne Lauvergeon d’Areva, et trois ou quatre fois à Sarkozy. Révélateur...


    • FALCO FALCO 22 février 2010 10:51

      Lorsqu’un certain Chavez est réélu en 2006 président du Venezuela, chef du mouvement vers le socialisme, on crie haut et fort qu’il est un dictateur. Lorsqu’un coup d’Etat militaire survient en Françafrique, on scande que cela va restaurer la démocratie. Lorsqu’un pays expulse des afghans dans un pays en guerre, il n’y a nulle violation du droit international, lorsque qu’un palestinien lance des pavetons sur un blindé de Tsahal, c’est une déclaration de guerre... Cherchez l’erreur.

      Il n’y a pas d’erreur...Chavez est un apprenti dictateur, la démocratie est à conquêrir, le droit international est respecté et les roquettes sur Israël sont une réalité.


      • olivier cabanel olivier cabanel 22 février 2010 11:24

        @ l’auteur,
        il y a d’autres théories possibles,
        tout d’abord le petit caporal qui s’est fait virer était loin d’être un grand démocrate,
        ensuite, la Chine essaye de s’implanter en Afrique, comme chacun sait, et louchait sur les mines d’uranium gérées par Areva,
        çà ouvre pas mal de scénariis :
        soit la France, sentant la situation sur le point de lui échapper tente de reprendre le contrôle,
        (il faut rappeler que la France fait venir de l’étranger 70% de son uranium)
        soit la Chine, cherche à s’implanter au dépens de la France,
        ou enfin, il reste la possibilité d’un peuple qui voudrait bien vivre dans une vrai démocratie, et profiter à son tour de ce si recherché uranium.
        les touaregs étaient en guerre ouverte contre le petit caporal, même si les médias n’en parlent pratiquement pas.


        • wesson wesson 22 février 2010 11:50

          Bonjour l’auteur,

          votre article est quand même un petit peu court. Ce qui s’est réellement passé tient plus de la meilleure manière de mettre fin à la carrière politique d’une personne qui s’accrochait au pouvoir, et qui pour se faire avait perpétré un coup d’état institutionnel. Et justement même le conseil constitutionnel du pays n’avait pas avalisé la manœuvre. De plus, M. Tandja avait systématiquement fait échouer toute tentative de lui ménager une porte de sortie honorable, même par l’entremise de l’organisation des états Africains qui a essayé avec énormément de diplomatie.

          Bref, c’est plutôt une affaire intérieure. Cette issue était inéluctable, la seule surprise ayant consisté en sa rapidité. Et l’affaire a été mené plutôt en douceur, en dehors de 1 obus tiré sur la grille du palais présidentiel, de quelques véhicules détruits et peut-être 1 ou 2 morts, rien de plus. Une sorte de record en matière de coup d’état Africain.

          Sur les ressources du pays, pour l’uranium effectivement c’est dans la région d’Arlit qu’il est, en plein pays Touareg ce qui justement est la source des conflits, les touareg voulant tirer profit majoritairement de cette exploitation.

          Par contre le pétrole et l’or, le pays n’en a pas vraiment. Si, peut-être un peu de pétrole du coté de la frontière Lybienne, avec des fortes chances que cette dernière Lybie ait installé quelques tuyaux horizontaux histoire d’aller pomper chez leur voisin. De toute manière, le pays (Niger) n’a pas la capacité de financer des infrastructures d’exploitation performantes ni même de contrôler une exploitation sauvage.

          Pour en revenir au Niger, tout le monde a déjà passé M. Tandja par pertes et profits, y compris son propre parti qui appelle à des élections, mais sans évoquer M. Tandja comme candidat.

          Il faut toujours être prudent en pareil cas, mais cette histoire ressemble pour le moment plus à une restauration de l’ordre constitutionnel qu’à un véritable coup d’état dans le but de mettre en place une dictature.


          • Freebird 22 février 2010 15:42

            Une fois n’est pas coutume, je suis plutôt d’accord avec wesson. Il est évidemment trop tôt pour savoir ce que va faire la junte mais il est certain que le Niger s’éloignait chaque jour un peu plus de la démocratie avec Tandja à sa tête. L’histoire de la région nous enseigne d’ailleurs que des militaires peuvent tout à fait rétablir la démocratie par un coup d’Etat ; c’est ce qu’il s’est passé au Mali en 1991.


          • logan 22 février 2010 11:57

            bonjour, je ne vois pas l’intérêt de lancer des théories sans rien savoir en réalité de ce qui se passe là bas

            attendons d’avoir des informations avant de juger, cela serait plus sage quand même

            si le but était juste de rappeller que la France pille des pays comme le Niger, un simple article de 3 lignes aurait suffit ^^
            le problème c’est que la majeur partie de notre énergie vient du nucléaire et du pétrole, mettre un terme à ce pillage suppose un changement complet de notre consommation et production d’énergie

            des tas de partis politiques le proposent comme par exemple le parti de gauche, nous proposons de passer au solaire et au tellurique, est ce que vous ètes prêts à nous rejoindre et à militer avec nous pour un tel changement ?


            • manusan 22 février 2010 12:57

              La France laisse tombé le cacao de cote d’ivoire pour l’uranium du Niger.

              Anne Lauvergeon (PDG d’AREVA) : Vendre des centrales nucléaires dans le monde c’est bien, mais si en plus on peut leur vendre notre combustible type Dosette Senseo déterré au Niger et enrichi à la Hague , c’est mieux.


              • lebreton 23 février 2010 00:40

                bravo , c’est sans doute grace a vous et a d’autres que votre pays deviendra une nation libre mais ne compter pas sur le gouvernement français et la clique qui est derriere pour ça le colonnialisme a pris une autre forme mais il est toujours présent au détriment du peuple ,du votre et du notre d’ailleurs cela supposerai sans doute plus de temps pour approfondir, mais j’ai le sentiment qu’avec les nouvelles possibilité de commmunication le monde change la vérité emerge quoi qu’en pense les puissants et la peur les gagnent ,jusq’ou irons t’ils c’est une autre question ! 


                • Gnetum Gnetum 28 février 2010 20:33

                  il y a une très grande distorsion entre la couverture médiatique qui a été faite de ce coup d’état et la façon avec laquelle il s’est passé, et comment il a été vécu par la population.

                  j’étais à Niamey quand le coup d’état a eu lieu et pas vraiment loin car je résidais chez des amis qui sont à côté de l’ex siège de l’OMS (cad à 700m à vol d’oiseau du palais).

                  pour les Nigériens ce coup d’état était complètement attendu et espéré car il apparaissait comme la seule solution contre le maintien au pouvoir abusif de Tandja (qui venait récemment de modifier la constitution à cette effet). Les rumeurs allaient aussi bon train sur le fait que ce dernier étais sur le point d’isoler encore plus le Niger en se retirant de la BCEAO.

                  dans les jours qui ont précédés le coup d’état j’avais été d’ailleurs assez surpris par la virulence des critiques envers Tandja sur les chaines de radio locales, et de la liberté avec laquelle les Nigériens évoquaient devant moi l’opportunité d’éliminer Tandja de façon à reprendre un processus démocratique (un peu à l’instar de ce que avait été fait lors du précédent coup d’état au Niger.

                  ceci étant dis quand ça a pété peut avant 13h00 on s’est soigneusement calfeutré à domicile car c’était quand même assez impressionnant (il y a eu en plus des mouvements de panique de la foule dans les rues) ; de plus les premières infos que l’on avait (via portables) ont fait tout d’abord état que les tirs avaient visé une manifestation qui devait se dérouler autour de midi.

                  Bref quelques heures se sont écoulées avant que l’on en apprenne un peu plus ; d’ailleurs au passage zéro pointé de la part de l’ambassade de France qui répondait absente au téléphone ...

                  vers 18h00 les derniers tirs se sont arrêtés et il a fallu patienter jusqu’à tard dans la nuit pour apprendre comment s’était organiser le coup d’état.

                  Le lendemain, le calme était complètement revenu en ville, les gens vaquaient à leur occupations comme à l’habitude (à la différence de certains messages alarmistes véhiculés par les médias) ; et la plupart des gens avec qui j’ai parlé m’ont dis que ce coup d’état était inéluctable et qu’ils étaient content que l’armée ait prise ses responsabilités ; le seul moment un peu spécial a été le survol de la ville par 5 hélicoptères de combat Mil Mi 24 qui ont assurés le transfert de l’ex président. Dès vendredi soir on savait (par une connaissance qui travaille à Air France) que les frontières seraient rouverte et que les vols d’AF reprendrait le dimanche (personnellement je suis rentré par le vol du mercredi matin (à 0h55).

                  Le bilan annoncé semble par contre très sous-estimé ; d’après un ami dont la femme travaille à l’hôpital il y aurait plutôt eu une quarantaine de morts et plus de 100 blessés. Pas mal de balles perdues apparemment et des tirs d’artilleries pas très précis (un obus a par exemple atterri à l’université de l’autre côté du fleuve).

                  Reste plus en tout cas à espérer que des élections libres se tiennent vraiment avant la fin de l’année. 

                   

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