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Accueil du site > Tribune Libre > Le crépuscule de la pensée européenne

Le crépuscule de la pensée européenne

Elle fut belle, l’idée d’une Europe multiple mais unie, mettant fin aux dérives nationalistes et leurs guerres. Il y avait d’emblée, chez les penseurs de l’idée européenne une humilité affirmée, non pas tant parce que, à peine sortis de le énième guerre - la plus dévastatrice humainement et moralement -, ils étaient conscients qu’il fallait déminer sans prendre le risque d’une rechute d’une maladie prométhéenne encore vivace, mais plutôt en pensant que toute forme d’union n’était possible que si elle garantissait l’épanouissement des particularismes et des spécificités, des terroirs et des cultures, des langues et des patois composant les peuples et les pays européens. Ils disaient « construction » et ils sous-entendaient « reconstruction », à la manière dont un médecin s’efforce de remettre en place le corps et l’esprit d’un corps accidenté (ou d’un suicidaire) ayant frôlé la mort. Fédérer par l’atome, l’acier, le charbon, le blé ou le lait n’était pas tant une démarche économiste mais une manière de parler aux citoyens européens du passé, du futur et de la vie ; mettre en commun et fédérer les régions par où les maîtres des forges avaient pêché, nourrir les citoyens, leur garantir une vie décente, préserver l’avenir en limitant le mieux possible les risques d’un nouvel holocauste qui, cette fois serait fatal.

Comprise en ce sens, l’idée européenne a été plutôt bien reçue : de Bruxelles à Rome, de Paris à Bonne ou à la Haye, la construction européenne était plébiscitée. La Grèce, l’Espagne et le Portugal ont perçu leur intégration comme un processus mettant fin aux dictatures d’un autre âge, et Londres comme un encouragement pour sortir de son splendide isolement ou plutôt d’un face à face – à l’époque perçu comme étouffant - avec Washington. Quoi qu’il en soit, à la fin des années 1970, les décisions semblaient toujours comme primant le politique tout en utilisant le langage rationnel de l’efficacité économique. Mais déjà, presque en sourdine, le nivellement globalisant de l’économie mettait à mal la phrase dite par De Gaulle en 1976 : la politique de la France ne se fait pas à la corbeille. Fossoyeur des particularismes aussi bien au niveau économique que culturel, grand argentier aux attaches plus qu’affirmées avec la finance, son successeur agit déjà pour ce qu’on nommera un peu plus tard la mondialisation. Tandis qu’en Europe le débat se dirige artificiellement sur la nature de l’intégration européenne entre fédéralistes et nationalistes, la mondialisation libérale devient le dogme outre atlantique le mieux partagé par Londres et Bonn puis par Paris, finissant par s’installer confortablement à Bruxelles. Il devint synonyme de fatalité moderniste, c’est à dire que quiconque s’y oppose ou la conteste, devient rétrograde et/ou utopiste, ce qui lui enlève la capacité même de débattre en de thermes politiques. Comme le souligne très justement Jean Clair, cela s’accompagne par un hiver de la culture (titre de son ouvrage, Flammarion, 2011).

L’unification allemande, l’effondrement soviétique, Internet, marquent - chacun à sa manière – la fin d’un monde faussement appelé bipolaire, mais surtout de la primauté du politique, des choix, des tropismes et des hiérarchies en toute chose, léguant ainsi un monde chargé à gérer la fatalité. Quels que soient les rappels à la réalité, que celle ci se nomme Iraq, Afghanistan, Lehmann Brothers, crise de la dette ou chômage, imperturbable la théologie de la gestion balaie toute alternative comme hérétique et se complaît à détruire tout ce qui fait la richesse de ce monde et tout ce que les pères de l’Europe avaient pris soin de préserver. L’empire suiviste qu’est devenue l’Europe annihile les différences, nie leur diversité, technocratise terroirs et territoires, les transformant en musées au sein desquels le touriste picore, choisit, et, quand il peut, achète. Cette gestion de la fatalité (ou du moindre risque, du moindre mal), sacrifie à l’éthique, déguisant, entre autres, les ploutocrates, les mafieux et les potentats en investisseurs/sauveurs de la culture, du sport, du commerce ou de l’industrie. Ce sacrifice est celui d’une culture, multiple et complexe, terreaux unique de l’art désormais nécrosé et manipulé en tant que dividende, du savoir et surtout de la pensée qui se perpétue dans ce que Duchamp appelait déjà la beauté de l’indifférence. Face à la destruction totale de ce qui fut le rêve européen, lui même sacrifié au veau d’or de l’uniformité obligatoire (pour ne pas dire obligataire). Pour paraphraser Walter Benjamin, en perdant pensée et pensée politique, l’Europe en tant que chef d’œuvre a perdu son aura, elle s’éteint ne reflétant plus que l’angoisse d’une mort inexpliquée…


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5 réactions à cet article    


  • jef88 jef88 12 août 2013 12:02

    Les USA avaient en HORREUR l’Europe à 6 ou à 10 !
    ils applaudissent l’Europe à 27 et voudraient encore qu’elle grandisse.....
    but de la manœuvre : la coloniser !
    c’est presque fait, grâce à la commission de Bruxelles ...... car aucune solidarité n’existe dans le goulbi gouba européen !


    • BA 12 août 2013 15:35

      Lundi 12 août 2013 :

       

      La Grèce aura besoin d’une aide supplémentaire en 2014, selon la Buba.

       

      Depuis la déclaration des ministres des Finances de l’Eurogroupe, le 27 novembre dernier, il ne fait plus de doute que la Grèce bénéficiera, d’une façon ou d’une autre, d’un nouveau soutien financier. Les créanciers d’Athènes s’y sont clairement engagés à étudier de nouvelles mesures de réduction de la dette pour autant que le pays soit parvenu à dégager un excédent primaire de son budget (c’est-à-dire hors charges de la dette). Ce dont le gouvernement d’Antonis Samaras s’est fait une priorité absolue pour la fin 2013.

       

      Dans le document cité par le « Spiegel », présenté comme un rapport de la Bundesbank destiné au ministère allemand des Finances et au FMI, la banque centrale allemande prédit que les Etats européens « vont certainement s’accorder sur un nouveau plan d’aide à la Grèce » d’ici au début 2014 au plus tard. Au début du mois d’août, le FMI avait publié un rapport indiquant qu’il manquerait 11 milliards d’euros à la Grèce pour les années 2014 et 2015 pour tenir son objectif d’endettement.

       

      http://www.lesechos.fr/journal20130812/lec2_entreprise_et_marches/020294475 1283-la-grece-aura-besoin-d-une-aide-supplementaire-en-2014-selon-la-buba-594565.php

       

      Sur ces 11 milliards d’euros de prêts à la Grèce, environ 19 % seront prêtés par les contribuables allemands, et environ 14,5 % seront prêtés par les contribuables français.

       

      Problème : l’Allemagne n’a pas cet argent, et elle va donc devoir l’emprunter.

       

      De même, la France n’a pas cet argent, et elle va donc devoir l’emprunter.

       

      En tout, cela fait 240 milliards d’euros qui sont prêtés à la Grèce, avec l’espoir que la Grèce remboursera ... un jour.

       

      Contribuables, préparez-vous à subir des dizaines de milliards d’euros de pertes.



      • Captain Marlo Pilou Camomille 12 août 2013 19:34

        « Je veux une Europe européenne, c’est à dire une Europe qui ne soit pas américaine » disait sans cesse De Gaulle.

        Hélas, comme vous dites, les successeurs se sont vite chargés de passer à autre chose.

        De Gaulle voulait à la fois, réintégrer l’ Allemagne « dans le concert des Nations », et la neutraliser, en lui refusant par exemple d’avoir la bombe atomique. Ce fut un exercice extrêmement difficile et délicat.

        De Gaulle explique qu’il n’y avait que la France qui pouvait faire ce geste, qu’elle avait souffert autant que les autres pays occupés, mais qu’en plus, elle avait été trahie par ceux qui ont donné les pleins pouvoirs à Pétain.
        La France est le seul pays dans ce cas, aucun autre gouvernement occupé n’a collaboré avec l’ennemi.

        Si vous avez le courage de lire 2000 pages, lisez le livre de Peyrefitte « C’était de Gaulle », vous aurez les explications sur l’ Europe, ses succès et ses vicissitudes.

        Avec le recul du temps, tout ce qu’il a fait n’est pas applicable aujourd’hui, mais on nous a tellement menti sur De Gaulle, que remettre l’Histoire à l’endroit, permet au moins de comprendre les enjeux du moment : la nécessaire indépendance et souveraineté des Etats européens sous tutelle.

        Au tout début, c’était le Traité de Rome, qui contenait déjà en germe la supranationalité qui supprimera par la suite les pouvoirs des gouvernements pour les donner à la BCE et à Bruxelles...

        Voici les dangers tels que les voyaient De Gaulle, mais aussi, très lucidement Mendès France.

        Conclusion de sa déclaration à l’ Assemblée nationale 18 janvier 1957, à propos du Marché commun, dont il a fallu négocier pied à pied la partie agricole :

        « Le projet de marché commun est basé sur la libéralisme classique, selon lequel la concurrence pure et simple règle tous les problèmes.

        L’abdication d’une démocratie peut prendre deux formes, une dictature interne, soit une délégation de ses pouvoirs à une autorité extérieure, laquelle, au nom de la technique, exercera en réalité la puissance politique.

        Car au nom d’une saine économie, on en vient aisément à dicter une politique monétaire, budgétaire, sociale, et finalement une politique au sens le plus large du mot, nationale, et internationale. »

        Prémonitoire...


        • antonio 12 août 2013 19:39

          Bel avis de décès !


          • gaspadyn gaspadyn 15 août 2013 14:09

            D’accord avec vous tous, et avec M. Koutouzis.

            Cependant le titre de l’article est inapproprié ; le crépuscule de la pensée européaniste est déjà dépassé.

            Nous en sommes au stade du zombi.  Et si , par malheur, les conjonctures économiques s’amélioraient au point de pouvoir être récupérées par les eurokraturistes , ils se prendraient pour des ...Démiurge , trafiqueraient le semi-cadavre pour en faire une kréature d’apparence vivace et européenne ( càd charnelle, peuplée de gens favorables, avec des liens sociaux ...), et cette nouvelle kréature bolkestein nous écraserait tous. Et leur idéologie morbide, destructrice, criminelle vaincrait.

             

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