Le débat sur la prostitution en France
Une fois de plus, au lieu d'essayer de résoudre un problème en réunissant les principaux acteurs autour d'une table, on choisit la répression et on balance une nouvelle loi. Cela devient une spécialité des politiques déconnectés d'une réalité de plus en plus dure, de plus en plus compliquée à gérer.
Au sujet de la probable loi sur la prostitution, je pense que le gouvernement se trompe de combat et, entre nous, se limite à créer des diversions, comme le mariage pour tous, au lieu de concentrer ses énergies sur des problèmes de société autrement plus importants et qui touchent une majorité grandissante de la population.
La question de la prostitution divise car les pour et les contre ne la considèrent pas du même point de vue. Comme d'habitude, on survole le sujet à grands renforts de statistiques en prétendant détenir la vérité. Le problème, c'est que les arguments des deux camps en comportent, des vérités. Cela étant, le facteur principal et déterminant de cette situation n'est pas lié à la violence, à l'exploitation, à la jouissance de son propre corps ou à la possibilité de gagner sa vie comme bon nous semble, il est lié au sexe, à la notion même d'un sujet qui, quoi qu'on en dise, est des plus tabou. C'est faire commerce de son corps et de son sexe qui pose problème. Les deux camps se targuent de s'exprimer au nom de la liberté, mais en définitive, les questions liées au sexe n'ont jamais été résolues par des lois. La répression ne changera rien, qu'elle soit dirigée vers les prostituées ou les clients. Elle fera sans doute baisser le nombre officiel de travailleuses du sexe, comme en Suède, mais au fond, que sait-on de ces personnes qui ont disparu du circuit ? Que sont-elles devenues ? Sont-elles plus heureuses ? Ont-elle acquis une meilleure situation ? Ou continuent-elles à faire la même chose, mais ailleurs ? La prostitution n'est pas une notion dont le sexe est l'exclusivité. Elle se pratique aussi, sous d'autres formes, dans les familles, les entreprises ou les ateliers clandestins. La prostitution n'est pas un véritable choix, c'est une possibilité, au même titre que de se retrouver à la chaîne dans une usine ou dealer dans une cité. Ce n'est pas une décision, c'est une opportunité, un chemin à prendre ou pas. Bien sûr, certaines des prostituées n'ont pas le choix, car elles sont sous la coupe d'un proxénète, victime d'un réseau et démunies face à une société qui ne se préoccupe pas d'un système, mais seulement de ses effets. C'est plus facile que de s'attaquer à la forme qu'au fond. Et si on demandait aux prostituées ce qu'elles en pensent ? Pourquoi faites-vous ce métier ? Est-ce que les risques encourus valent la peine ? Quelles autres options avez-vous ? Êtes-vous prêtes à arrêter et pour faire quoi d'autre ? Et, si c'était à refaire ?
Certains disent que pénaliser le client c'est prendre le mal à la racine... C'est d'une naïveté confondante ! Il ne faut pas pénaliser les obèses de manger au fast-food, il faut encadrer le fast-food et donner les moyens aux obèses de manger mieux.
Nous sommes face à un système d'offre et de demande. Croit-on vraiment qu'un besoin, une pulsion, une envie puisse être régulée par une nouvelle loi ? En 2014, les restos du coeur vont sans doute dépasser le million de bénéficiaires, mais le gouvernement se lance dans une grande réflexion sur le fait que l'homme doit réprimer ses envies sous peine d'être amendé, c'est une blague ? Il ne s'agit pas de savoir si l'homme qui va voir une prostituée est normal, malade ou déficient. Il s'agit de mettre en place un système qui regarde les choses en face. Le sexe n'est pas une marchandise, ah bon ? et depuis quand ? C'est sans doute le plus gros chiffre d'affaire d'Internet, cherchez l'erreur...
En réalité, c'est un débat d'ordre moral dont l'épicentre se trouve entre nos jambes et que personne ne veut toucher, mais auquel tout le monde pense.
Si cette loi passe, on devrait aussi pénaliser le mari qui a une maîtresse, le patron qui obtient des faveurs de sa secrétaire ou n'importe quel type qui se fera payer en nature. Par extension, pourquoi ne pas pénaliser un consommateur qui achète un jouet, sous prétexte qu'il a été fabriqué par un gosse de 8 ans dont la vie est la plus miséreuse qui soit ? Pourtant, là aussi on touche à la détresse, à la violence et à la dégradation. Oui, monsieur, mais nous ne parlons pas de sexe. Ah ! Nous y voilà ! Nous sommes prêts à supporter n'importe quoi, n'importe quel type de service, mais surtout pas en rapport avec le sexe. C'est sale, c'est moche et c'est honteux. Ben voyons...
La France compte entre 20 et 40'000 prostituées. Que représente ce chiffre face au 3 millions de chômeurs ou aux 8 millions de personnes qui vivent en-dessous du seuil de pauvreté ? À la précarité, à l'angoisse de l'avenir et la souffrance du quotidien ? Il ne s'agit pas de minimiser un problème par rapport à un autre, mais si un feu se déclare dans votre cuisine, allez-vous commencer par faire la vaisselle ? Où se trouve la priorité ? Quand est-ce que les gouvernements successifs vont cesser de se tirer dans les pattes et prendre le taureau par les cornes, sans tenter de nous endormir ou de détourner notre attention avec des faits de société dont la nature ne contient pas d'urgence manifeste ? Le bateau coule, mais le capitaine est encore dans sa cabine en train de se demander quel costume il va porter pour sa prochaine soirée. C'est pathétique et irrespectueux.
Vous ne pourrez pas supprimer la prostitution, elle est aussi enracinée dans l'instinct de l'homme que son besoin de se nourrir, mais vous pouvez rendre meilleure la vie des gens qui ont choisi ce métier en vous attaquant à ceux qui exploitent cette filière sans états d'âmes. En appliquant les lois sur le proxénétisme, sur la traite des êtres humains et sur l'exploitation des personnes. C'est ça que j'appelle prendre le problème à la racine. En accompagnant les personnes qui ont fait ce choix, en leur offrant un cadre juridique, social et sanitaire. Et en écoutant les autres, celles et ceux qui n'ont pas eu le choix et qui n'ont pas trouvé d'autre alternative pour survivre.
À nos gouvernants, cessez de vouloir tout réguler à coup de lois et de répression. Vous ne ferez qu'aggraver un peu plus un tissu social déjà très dégradé et vous provoquerez davantage d'illégalité et d'insécurité.
Et, de grâce, occupez-vous des problèmes urgents avant qu'il ne soit trop tard.
Mais ça, j'en conviens, c'est beaucoup demander, car c'est bien plus de travail.
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