Ce que vous écrivez est tout à fait juste. Les délires ont culminé à l’époque où la peinture ne pouvait plus être qu’abstraite. Un platonisme de classe terminale mal assimilé s’y entraînait à y découvrir, enfin révélée, l’essence même des choses. Que de sottises !
Et ne parlons pas de tous ces braves gens qui connaissent à peine les collections permanentes du Louvre et sont capables de faire la queue trois heures devant le Grand Palais pour ne pas voir (quand on est trois devant un tableau, on ne le voit pas) des expositions dont tous les journaux ont assuré la publicité.
Ce qu’on peut faire encore de mieux dans ces sortes de grandes célébrations artistiques qu’il vaut mieux désormais éviter, c’est suivre deux ou trois personnes et écouter discrètement ce qu’elles se racontent. Cela a rarement un rapport avec ce qui est exposé. Je me souviens d’une femme qui, dans une exposition où j’espérais pouvoir examiner plusieurs toiles de Sebastiano del Piombo, se racontaient leur vie. L’une venait de subir une opération de chirurgie esthétique racontée avec toute sorte de détails, dont elle paraissait déçue : son mari l’aimait désormais beaucoup moins avec sa nouvelle tête !
Tous ces conformistes me font pitié. Au Louvre, on vient de « restaurer » la Saint-Anne du VInci. Tous admirent, évidemment. Mais le tableau est désormais complètement désaccordé, on ne voit plus que le bleu très cru du manteau de la vierge qui, débarrassé des glacis qui l’adoucissaient, crève littéralement les yeux. A deux pas, « La charité » de Del Sarto, qui est dans un bien meilleur état, paraît être une leçon de peinture sur l’art d’accorder les bleus. Elle paraît accabler et condamner, par son excellence même, une maladresse d’écolier du pauvre Léonard qui, s’il était encore vivant, n’y survivrait pas.