Le discours de Dakar : l’imposture intellectuelle de BHL
La mondialisation, c’est l’uniformisation du monde à travers le concept occidental et capitaliste de développement économique et donc de consommation. La polémique franco-française, initiée par BHL, sur le discours de Dakar a parfaitement démontré que cette occidentalisation du monde était devenue une « chose évidente », une notion synonyme de modernité et de progrès qui va de soi, sur le plan moral et intellectuel.
Quand Bernard Henry Lévy est monté au créneau médiatique deux mois après le discours insensé de Nicolas Sarkozy à Dakar (en fait lu par Sarkozy et écrit par Henry Guaino), en criant au racisme, certains ont pu croire qu’enfin, un intellectuel (même un avatar médiatique de la figure de l’intellectuel engagé) comme BHL, dénoncerait la teneur ethnocentrique et impérialiste de ce genre d’invectives ultra-colonialistes. Certains, naïfs, ont pu penser que BHL, soulignerait l’effroi que la perspective d’un monde sans altérité devrait susciter chez toutes les personnes dont la conscience est en mesure de se saisir elle-même. Ceux-là furent forcément accablés de constater que la seule objection, que les indignés de la sentence prononcé par notre président de la République, consista à mettre en avant le fait historique que les Africains étaient évidemment disposés à entendre raison, en assimilant notre notion de croissance et notre modèle de société de consommation. En n’étant seulement capable de dire cela, BHL a souscrit la destruction des cultures traditionnelles en laquelle a consisté la colonisation et dont la mondialisation constitue le stade ultra-moderne.
Un intellectuel, même BHL, se devait de faire l’analyse exacte de la phrase du discours de Dakar. Rappelons-la : « L’’homme africain est toujours dans la répétition, jamais ne lui vient à l’idée de s’inventer un destin ». Seul BHL s’est exprimé... et il s’est totalement planté ! Ce qu’un intellectuel responsable devait dire au minimum, c’est que cette phrase cristallise en quelques mots l’acharnement que met l’Occident, et donc en l’occurrence la France, à assimiler l’autre par sa propre notion matérialiste d’histoire, de progrès instrumental, de compétition économique et, par conséquence, de modernité. Nous devons, même si la mondialisation est irréversible, saisir son impact exact, ce qu’elle signifie concrètement, ce qu’elle construit en réalité : un monde où n’existe que le même, où seul l’échange marchand à somme positive (le profit, qui est en lui-même la négation de la norme de réciprocité dans l’échange) régit les relations dans un grand jeu de rapports commerciaux et de concurrence totale, un monde où il n’y a plus rien à apprendre de l’autre, où la différence culturelle, cosmogonique, métaphysique, est rendue intolérable au nom de la modernité occidentale et de notre ascèse intra-mondaine, un monde sans rencontre intellectuelle, sans partage, où seul le désir mimétique guidé par la consommation et la publicité préside et constitue le bon sens... Bref, ce qu’un intellectuel aurait dû dire, c’est que la mondialisation ne débouche que sur un monde total, comme l’avait prévu Orwell, Balard ou Huxley, où l’homme n’a plus à trouver un sens spirituel à son existence, où l’homme est sans qualité, sans gravité, esclave de sa passion consommatoire. L’intellectuel aurait dû dire que l’homme africain, si on lui avait laissé le bénéfice de sa culture originelle, est effectivement dans la répétition. Il refuse l’histoire et préfère la stabilité car il sait que notre monde est un monde fini et donc limité. Il sait, quand il a la chance d’avoir gardé sa liberté d’esprit, que le concept de croissance est une impasse suicidaire au regard de ce monde qu’il faut respecter parce qu’il nous compose.
Il est inenvisageable que la mondialisation fasse l’objet d’un examen critique de la part d’un quelconque pouvoir en place sur la planète. Les médias, qui sont des armes de guerre manipulés par les industries et la finance, propagent sans cesse l’idée catastrophique que le seul progrès auquel nous devons croire nous impose de nous lancer à corps perdu dans la concurrence mondiale. Il appartient donc à chaque nation, fusse-t-elle la plus artificielle, de moderniser toutes les communautés du monde pour mieux profiter des ressources qu’elles détiennent par le droit du sol, en leur imposant la modernité, où en les éliminant purement et simplement. Toutes les cultures traditionnelles auront disparu dans quelques années et BHL ne trouve uniquement à dire que le discours de Sarkozy est raciste parce qu’il sous-estime la capacité des Africains à assimiler notre notion de progrès utilitariste. C’est ça le drame, c’est bien qu’ils l’ont assimilé parce que nous avons démantelé leurs cultures et leur avons fourni l’ambition de consommer ce que nous-mêmes consommons de manière compulsive. Son discours récuse toute acceptation de la différence et pose en postulat inaltérable l’hégémonie de l’Occident sur le reste du monde. Voilà pourquoi cette phrase est raciste !
Il existe tellement de penseurs qui produisent des travaux qui devraient être essentiels pour une véritable réflexion publique sur nos sociétés et la tournure que prend définitivement notre civilisation, qu’il en est désespérant de constater que seuls quelques penseurs dérisoires et légitimant le pouvoir en place ont droit à la parole dans les médias. La situation est encore plus angoissante pour ces intellectuels, car l’université qui se prépare (fac Martin Bouygues, fac Arnaud Lagardère...) est un lieu qui aura évacué la pensée et in fine ils ne pourront plus du tout exercer leur talent. Notre société sera alors totalement coupée de toute pensée digne de ce nom. On n’aura plus que des Attali, des BHL, des Allègres, des Ferry... qui viendront nous dire qu’on ne peut pas rester dans la pensée unique de 68 et que nous devons désormais passer à la raison, en nous réjouissant de la compétition économique et de la mondialisation. Alors peut-être une dernière fois avant de s’avouer définitivement vaincus, pensons juste quelques instants à ce monde uniforme et totalisé qui nous attend... Nous qui vivons déjà dans des sociétés totales... Et tâchons de toujours se souvenir que la différence a existé.
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