Le drame de MERS EL KEBIR - Partie N° 2
Revenons sur les faits déroulés pendant cette tragique journée du 3 juillet 1940.
La veille de ce jour fatidique, les Anglais minent la rade pour bloquer toute fuite des bâtiments français. L'Amiral Gensoul alerte les escadres aériennes françaises voisines d’Oran, pour venir à leur aide si les Anglais mettaient leur menace à exécution. Il cherche aussi à gagner du temps. On ne sait jamais, peut-être que les Anglais infléchiront leur décision déraisonnable.
L’Amiral Gensoul est ferme avec les Anglais et sincère : « La Marine française n’a pas l’habitude de manquer à sa parole ! ». L’Amiral juge l’ultimatum anglais inacceptable et le ton supérieur employé par le commandant Holland, à l’égard des Français, humiliant. Holland qui ne fait pas dans la dentelle, lance son ultimatum : « Si les propositions britanniques ne sont pas acceptées, il faut que je coule vos bâtiments. »
Il faut imaginer également la responsabilité écrasante de l’Amirauté française devant ces menaces. Non seulement préserver la flotte, mais également les parages du port, bâtiments civils et population. Car les bombardements annoncés par les Anglais les mettraient gravement en danger. Aussi les autorités portuaires donnent-elles l’ordre à la population de « se réfugier dans les abris », de « renvoyer les élèves dans leurs familles », dès que la sirène d’alarme du port retentira. Les services de secours sont en alerte, la croix rouge, les hôpitaux, et les services de police et de gendarmerie. Les habitants de Mers El Kebir sont invités à quitter la ville. Ne resteront sur place que les services municipaux et le personnel portuaire réquisitionnés pour la bonne cause et parer à toute urgence.
Les Anglais, opiniâtres, font savoir à l’Amirauté leur détermination : « Il n’y aura de cessez le feu que lorsque la flotte sera détruite ».
Les Anglais mettent le paquet pour leur force navale.
Ils envoient à Mers-El-Kebir, une véritable armada :
1 cuirassier, le Hood.
Le Vaillant,
La Résolution,
Un porte-avion les accompagne ainsi que des remorqueurs et des torpilleurs.
16h 56 : Les Anglais font partir les premières salves. Salves rapprochées. La flotte française cherche à s’échapper.
Un quart d’heure après, les batteries françaises sont en position de riposte au feu anglais.
Le « Strasbourg » réussit à sortir de la rade.
Les dégâts causés par le feu anglais :
Le cuirassé Bretagne est atteint de plein fouet avec tout son équipage à bord. Il est coulé par le fond, en quelques minutes. 150 rescapés sur 1300 marins à bord.
Le Dunkerque atteint par un obus, 150 marins sont tués.
La Provence ira s’échouer plus loin : 4 morts.
Le Mogador, touché aussi s’échoue : 14 morts.
Le Rigault de Genouilly subit des avaries sérieuses.
Le Strasbourg en réchappe et prend le large, en échappant miraculeusement aux mines posées par les Anglais dans la rade, quelques heures plus tôt.
1297 marins français tués.
Après le cessez le feu, c’est une vision dantesque dont vont témoigner les rescapés et les nombreux témoins venus constater les dégâts irréversibles subis par la marine française. Parmi les décombres des bâtiments éventrés, des carcasses de métal en fusion, le mazout en feu continue à se déverser et à se répandre dans les eaux du port, rejetant une fumée noire dense et asphyxiante, toxique, où les marins, pris au piège, agonisent. Tous les services de secours sont en alerte et cherchent à retrouver des survivants, hélas, si peu. Ce qu’ils découvrent provoque leur colère, leur émoi. Partout les cadavres calcinés des marins brûlés vifs, des blessés, des mutilés. Des centaines de marins meurent étouffés par les rejets de mazout et sa fumée noire et toxique. Ces scènes d’horreur vont pendant longtemps hanter leur mémoire. Les bâtiments déchiquetés par la violence des bombardements, dressent encore leurs derniers vestiges de ferrailles déchiquetées. Ces mêmes bâtiments, aujourd’hui abattus, qui faisaient la fierté de la Marine française.
La réaction de l’Amiral Darlan, devant cet acte abominable ne se fait pas attendre. Dans un premier temps, il prône devant une attitude qu’il juge « hostile » de la part de la marine royale britannique, une riposte énergique.
1/ considérer comme hostile, tout bâtiment de surface britannique y compris les sous-marins et aéronefs.
2/ saisir tout navire de commerce britannique rencontré et le conduire dans un port français.
C’est le ministre des Affaires Étrangères, Paul Baudouin, qui intervient pour dissuader l’Amirauté d’engager le pays dans la voie des représailles contre les Anglais, même si le gouvernement de Vichy envoie les croiseurs qui mouillaient dans le port d’Alger, au large des Baléares. Cette escadre est renforcée par le « Strasbourg » qui s’était échappé de Mers El Kebir. Laval et Pétain réfléchissent aux conséquences d’une action de représailles sur l’escadre anglaise.
L’Amiral Gensoul, dont la position est tempérée, s’inquiète d’une éventuelle guerre avec l’Angleterre.
Laval répond : « Nous avons décidé de répondre par une attaque à l’attaque d’hier ».
Gensoul se fait suppliant de ne rien tenter, considérant dans quelle catastrophe les représailles précipiteraient la France.
En effet, d’un côté, l’occupation allemande, de l’autre, une guerre contre l’Angleterre ! La France, déjà bien mal en point, n’y survivrait pas. Finalement après bien des tergiversations, le gouvernement de Vichy se range derrière les arguments de Gensoul. Ne rien décider qui pourrait mettre davantage en péril le pays. Plusieurs messages provenant du gouvernement de Vichy modèrent les ardeurs vengeresses de Darlan.
4 juillet 1940 : Conseil des Ministres.
Il est décidé la rupture des relations diplomatiques avec la Grande-Bretagne. Mais de manière symbolique seulement. Juste pour marquer le coup en guise de protestation. C’est d’autant plus symbolique que l’ambassadeur de Grande-Bretagne ne résidait plus à Paris et avait quitté l’ambassade dès le lendemain de l’armistice, le 23 juin 1940.
Notons un fait qui a de l’importance. Lorsque le ministre des Affaires Etrangères, Baudoin, lui demande des précisions sur la flotte de Méditerranée, l’Amiral Darlan, sans hésitations, détaille toutes les mesures et précautions envisagées par lui, pour empêcher la flotte française de tomber aux mains des Nazis ou de leurs alliés, les Italiens. Ce qui ne laisse aucune ambiguïté de la part de l’Amiral Darlan de ses intentions de préserver la flotte pour qu’elle ne tombe jamais aux mains des Allemands, et la décision, pour parer à toute éventualité, de donner l’ordre aux marins, après évacuation des équipages, et sécurisation des parages du port, de saborder sa propre flotte, au cas où les Allemands tenteraient un coup bas en mettant la main dessus. Mais le coup bas vient de la part de Churchill, qui a pris par surprise la flotte française, sans donner le temps à l’Amirauté de faire évacuer, ni les bâtiments, ni les parages du ports.
Résultat de cette opération ? 1300 marins bombardés de la façon la plus odieuse et tués.
De Gaulle ne se privera pas de dire à Churchill : « La flotte ne sera jamais livrée, d’ailleurs c’est le fief de Darlan ; un féodal ne livre pas son fief... »
Darlan pourtant est clair dans ses intentions, lorsqu’il dit aux Anglais : « en aucun cas, la flotte ne sera livrée intacte », il donne aux Anglais un gage supplémentaire qu’elle sera transférée en Afrique ou sera coulée !
Mais les Anglais attendent peut-être plus !
Le gouvernement a bien l’intention de faire montre d’un petit acte symbolique de représailles, mais dans la modération. Plus question d’acte belliciste, les Français ne feraient pas comme les Anglais. Ils se contenteront de bombarder, juste pour la forme, la… mer ! Finalement, le fameux fair play britannique, c’est bien les Français qui l’ont appliqué !
L’ordre initial donné d’attaquer les bâtiments anglais est supprimé. De nouvelles mesures sont ordonnées par l’Amirauté :
« En haute-mer, ne pas attaquer des navires de guerre britanniques, mais être prêts à riposter à une attaque ».
« L’ordre ci-dessus s’adresse à tous les bâtiments de surface, sous-marins et aéronefs »,
4 juillet : Les Anglais torpillent l’Aviso le « Rigault de Genouilly », au large du Cap Matifou en Algérie.
Darlan à nouveau très en colère, n’exclut, cette fois-ci, aucune action de représailles. Il diffuse un ordre du jour à la radio :
« … l’Amirauté française a eu la sensation pénible que les malheurs de la France laissaient insensibles les dirigeant anglais, qui ne songeaient qu’à devenir maîtres de la flotte française... »
Le ministre des Finances Yves Bouthillier témoignera plus tard du changement d’attitude de Darlan au lendemain du drame de Mers El Kebir :
« Le mercredi 3 juillet, l’amiral Darlan exposant les circonstances de l’ultimatum britannique était l’homme impassible, l’homme des exposés précis et calmes, l’homme de la claire raison […] »
« [ …] Le lendemain son intelligence avait pleinement appréhendé le drame dans sa racine. Le garant de l’indépendance de la flotte française face à l’Allemagne avide, c’était lui. Le 4, Darlan s’éveilla saisi par une passion terrible qu’il dissimula en s’installant dans un état de froideur apparente et de frénésie intérieure. Mentalement, il n’était plus le même ».
Bouthillier insiste également sur le changement physique de Darlan après le drame. Sa parole était plus « saccadée, sa main tremblait. »
« […] La colère froide de Darlan fut poignante parce qu’elle était vraie ».
5 Juillet : les Italiens qui ont rompu les clauses de l’armistice (désarmement naval et aérien) proposent aux Français une action conjointe pour bombarder la base anglaise d’Alexandrie.
La France refuse.
8 Juillet : en conseil des Ministres, le Général Weygand et Baudoin confirment ce refus.
La seconde attaque des Anglais.
Les Anglais, forts de la première attaque de Mers El Kébir qui a fait disparaître une grande partie de la flotte française, fomentent la poursuite de leur plan. En effet, tous les cuirassés n’ont pas été détruits, il en reste...
6 Juillet : les avions anglais reviennent et bombardent le « Dunkerque » qui, lors du premier bombardement s’était échoué. Ce dernier subit de très graves avaries, deux remorqueurs sont coulés. Ce bombardement cause à nouveau la mort de très nombreux marins et fait des dizaines de blessés. Plus de 200 nouvelles victimes seront à déplorer.
7 juillet : un porte-avion britannique se présente devant Dakar – (Sénégal).
Le commandant du porte-avion adresse un nouvel ultimatum semblable à celui de Mers-El-Kebir à la flotte française. Mais cet ultimatum n’a aucune suite, il ne s’agit que d’une simple alerte.
Ce même jour, Darlan apparaît extrêmement inquiet devant ses collaborateurs. Il vient d’être mis au courant de conversations anglo-allemandes. Il en conclut que des projets de paix séparés entre les Anglais et les Allemands pourraient avoir lieu, sur le dos des Français. Et de plus, les différentes attaques des Anglais sur la flotte française, « ne seraient-elles destinées à affaiblir la France dans la perspective d’un règlement plus général ? »
Darlan apprécie la situation, la jauge et ne tarde pas à reprendre ses esprits.
Voici ce qu’en dit Bouthillier.
« Darlan était trop politique pour ne pas redevenir maître de sa pensée. Il ne prétendit pas, comme on l’a trop vite dit et par une interprétation bien trop sommaire d’une nature complexe, entraîner la France dans une guerre contre l’Angleterre. Il avait trop de sens pour cela [... ] »
Plus étonnant encore, nous sommes au mois de juillet 1940, la position allemande est curieuse. L’Allemagne assouplit considérablement sa position vis à vis des bases navales de l’Afrique du Nord.
Cela va-t-il jouer sur les nouvelles orientations de la politique extérieure française ?
Si le monde déplorait la victoire allemande, elle était cependant inévitable. Hitler, au nez et à la barbe du monde entier, des Européens particulièrement (Anglais et Français), des Américains, avait soigneusement préparé la guerre en dotant l’Allemagne d’une armée puissante et organisée. Les Européens avaient-ils protesté énergiquement et pris les mesures nécessaires pour l’en empêcher ? Non ! les Américains avaient-ils protesté contre cette frénésie allemande de réarmement dès les années trente ? Hitler violait tous les traités pendant que l’Europe, attentiste, regardait faire sans aucune réaction. Attitude laxiste et complaisante. Le mal était fait.
Lorsque l’Armistice est signé avec les Allemands, les clauses concernant la flotte française sont draconiennes. Car les Allemands imposent une ingérence germano-italienne aux termes des articles 8 et 9. Traité très contraignant pour la France.
Voici ce que dit l’article 8 :
« La flotte de guerre française...sera rassemblée dans des ports à déterminer et devra être démobilisée et désarmée sous le contrôle de l’Allemagne ou de l’Italie. La désignation de ces ports sera faite d’après les ports d’attache des navires en temps de paix [...] »
Mais très important, ce que Churchill ne pouvait pas ignorer :
« Le gouvernement allemand déclare solennellement qu’il n’a pas l’intention d’utiliser pendant la guerre à ses propres fins la flotte française stationnée dans les ports sous contrôle allemand, sauf unités nécessaires à la surveillance des côtes et au dragage des mines. Il déclare en outre solennellement et formellement qu’il n’a pas l’intention de formuler des revendications à l’égard de la flotte de guerre française lors de la conclusion de la paix. Exception faite de la partie de la flotte française à déterminer qui sera affectée à la sauvegarde des intérêts français dans l’Empire colonial, tous les navires de guerre se trouvant en dehors des eaux territoriales françaises devront être rappelés en France. »
L’article 9, lui, ouvre la voie à un « contrôle » sur le haut commandement français par le haut commandement allemand. Cet article renforce la mise sous tutelle de la France par l’Allemagne.
Extrait : « Le haut commandement français devra au haut commandement allemand des indications précises sur toutes les mines posées par la France ainsi que tous les barrages de mines dans les ports et en avant des côtes, ainsi que sur des installations militaires de défense et de protection. Le dragage des mines devra être effectué par les forces françaises dans la mesure où le haut commandement allemand l’exigera ».
Comment traduire ce traité, en termes navals ?
Que si les Allemands avaient fait appliquer à la lettre cet article 9, c’est le port de Brest qui aurait dû accueillir toute l’escadre française. Il s’agissait pour les Allemands de s’assurer à Brest, du contrôle de l’escadre française. Ce qui inquiétait grandement les Anglais qui accordent à la signification du mot « contrôle » de la part des Allemands des prérogatives très larges.
L’Amiral Le Luc, présent aux négociations de l’armistice, avait insisté avant de signer que le contrôle exigé par les Allemands se limiterait à celui des munitions et que, concernant le « désarmement », il serait effectué à Toulon ou dans les ports français d’Afrique.
Après l’armistice, les Allemands sans modifier les termes du traité d’armistice, accédaient à un accord de principe : les bâtiments français pouvaient stationner dans les ports de zone libre ou de l’Empire français. C’est à l’amiral Duplat que reviendra la charge de « résoudre cette question ».
Mais Churchill justifie dans un discours du 4 juillet à la Chambre des Communes, l’abordage des unités françaises dans les ports britanniques, et notamment celui d’Alexandrie. Soit, il a mal interprété les clauses du traité, soit il en fait une lecture plus personnelle, plus belliqueuse encore que ce qu’elle stipule.
Pour justifier Mers El Kebir, il revient sur son exigence de faire appareiller dans les ports britanniques l’escadre française, sous peine de représailles. Il se justifie en arguant que la signature de l’armistice mettait en péril toute la flotte française au pouvoir des Allemands et de « leurs vassaux italiens », ajoutant que cette situation mettait de facto en péril les Anglais.
Sources documentaires : Mers El Kebir et ses conséquences : les Cahiers de l'Empire Français. (P. Gourinard, historien).
Couteau-Bégarie et Huan - Darlan -Fayard 1989
Encyclopédie Alpha
Mémorial de la Seconde Guerre Mondiale.
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