Le fantôme des « dents de la mer » à Cagnes-sur-mer, le 16 juillet 2009
Le long de la grève de galets de Cagnes-sur-mer, à hauteur de la petite église Saint-Pierre au clocher savoyard, des baigneurs ont eu la frayeur de leur vie, jeudi 16 juillet 2009 : un aileron triangulaire noir venait soudain de faire irruption au milieu de leurs ébats en bordure de plage. Malgré les galets qui mettent les pieds à la torture, ils n’ont pas attendu leur reste pour sortir de l’eau à toutes jambes ou en s’affalant sur la plage, pris de panique.
Leurs cris ont aussitôt alerté ceux qui se prélassaient sur leur serviette ou leur natte. À cette agitation soudaine, tous se sont levés, chacun montrant du doigt à son voisin l’aileron menaçant qui allait et venait, fendant l’eau bleue turquoise. La nouvelle s’est répandue comme une traînée de poudre. Le service de surveillance de la baignade a fait évacuer tous les baigneurs hors de l’eau : un requin rôdait dans les parages.
Intericonicité aidant, c’est curieusement le spectre du film « Les dents de la mer » qui venait à l’esprit de tous. Dans ce film d’horreur, on s’en souvient, une station balnéaire était soudain endeuillée par la survenue d’un requin qui mutilait ou dévorait tous les baigneurs à sa portée ; et un débat s’était instauré pour savoir s’il fallait en avertir la population au risque de ruiner le commerce de la saison.
L’imprégnation d’une fiction cinématographique américaine
Le service de surveillance à Cagnes-sur-mer, lui, n’a pas eu cette hésitation : principe de précaution oblige ! Ce qui étonne toutefois, c’est l’imprégnation d’une fiction américaine qui dans les esprits l’emporte sur une représentation éprouvée de la réalité par l’expérience. Cagnes-sur-mer n’est pas une station balnéaire connue pour être un lieu fréquenté particulièrement par les requins. Ça se saurait depuis longtemps. Est-il même une plage française qui le soit ? Qu’on y trouve des vives ou des méduses qui peuvent être dangereuses, ça oui ! Mais des requins, c’est rarissime. Ils croisent en général aux abords des côtes tropicales.
N’importe le cadre de référence de l’individu peut-être à ce point pollué par une fiction cinématographique qu’elle devient une référence, une possibilité et bientôt une probabilité.
De la part de surveillants de baignade, on attendrait qu’ils aient la capacité de reconnaître la faune marine qui habite les lieux où ils exercent leurs fonctions. Il n’y a pas que le requin à faire émerger en surface un aileron, ce pavillon triangulaire menaçant.
Il a fallu, pour en avoir le coeur net, qu’un baigneur plus avisé que courageux allât à la rencontre du monstre sous les yeux effrayés et incrédules de la plage. Il l’avait reconnu. Il l’a saisi et brandi à bout de bras : ce n’était qu’un joli poisson-lune inoffensif malgré son aileron. Il était venu chercher la compagnie des baigneurs sans penser à mal et surtout chasser des méduses dont il se nourrit. Le lendemain, 17 juillet, il est même revenu, s’est fait à nouveau capturer comme on le voit sur les photos ci-dessous, et est reparti.
Il ressort de l’aventure qu’il est donc possible par le cinéma de façonner le cadre de référence des individus pour leur faire éprouver une peur face à un danger qui n’existe pas. Paul Villach
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