Le fascisme – Ses origines – Volet N° 1
Le fascisme est-il mort avec Mussolini au siècle dernier ? Ou bien, protéiforme, comme nombre de régimes politiques totalitaires, a-t-il subi les mutations contemporaines nécessaires aux puissances de l’argent, pour s’imposer dans les instances gouvernementales actuelles, nationales ou supra-nationales ? C’est ce que nous tenterons de démontrer ici. Mais avant, il convient de rappeler les origines et les circonstances historiques de sa création.
La génèse.
Le 23 mars 1919, Benito Mussolini instaurait le « fascisme », ( fascio), faisceaux.
Les faisceaux sont l’union étroites des forces.
Mais de quelles forces s’agit-il ?
Mussolini en donne une définition claire : c’est l’alliance des industriels, de l’État, de la police et de l’armée, une étroite imbrication.
Dès 1915, Mussolini passe du socialisme pacifiste, à un interventionnisme belliqueux en faveur des Alliés. « Fasci di azione revoluzionaria ».
C’est une volte-face qui va changer radicalement le cours de l’histoire italienne.
Les politiciens italiens de la « vieille école », trompés par de longues années de parlementarisme corrompu de la social-démocratie italienne, par leur aveuglement et leur impéritie ouvraient tout grand la porte à la « révolution populaire » prônée par Mussolini.
Si le fascisme est né en 1915 pendant la grande guerre, il faut bien se mettre en tête le conflit très violent qui opposa les « neutralistes » sur la question de l’engagement de l’Italie dans la grande guerre aux côtés des Alliés (l’Entente),2 et les « interventionistes ». Ces derniers l’emporteront.
En ce début de XXe siècle, chaotique, où sévit la première guerre mondiale, Mussolini devra attendre mars 1919 sur la Piazza San Sepulcro, pour créer ses « Fasci italiani di combattimento ». En 1915, c’est encore un mouvement hétéroclite qui deviendra plus tard le « parti national fasciste ». Ce parti sera structuré, des « fasci » locaux vont s’implanter partout dans les grandes villes de la botte italienne et se livrer à une propagande intensive pour rallier toutes les composantes du peuple italien (ouvriers, paysans et petite bourgeoisie mécontente et paupérisée, déçus du pouvoir en place).
Le premier fait marquant des actions mussoliniennes va être l’incendie du siège milanais du journal socialiste l’Avanti. Mussolini en avait été pendant un temps le directeur, avant de tourner le dos au socialisme pacifiste, pour verser dans la radicalité politique.
Les personnalités entourant Mussolini ne sont pas moindres, certaines très célèbres, comme l’écrivain et poète d’Annunzio qui, en septembre 1919, s’empare de Fiume et se fait proclamer Duc de Fiume où il va y installer un système corporatiste. Ce système durera 16 mois, avec des déclarations de rituels spectaculaires propres au mouvement créé par Mussolini : défilés, symboles, bannières, barrettes, flèches, symbolisant les faisceaux (fasci). Je reviendrai plus en détail sur la personnalité de d’Annunzio.
On compte aussi parmi les premiers collaborateurs de Mussolini :
- Dino Grandi, (qui va jouer en 1943, un grand rôle dans la chute de Mussolini).
- Italo Balbo,
- Roberto Farinacci.
Ils sont appelés par le parti : les squadriti ( les cadres des forces paramilitaires créées par Mussolini).
Historiquement, l’Italie en 1919, comme l’Allemagne vaincue, est un pays blessé avec le sentiment d’avoir été « bafoué » par les Alliés. L’italie n’a toujours pas digéré que ses « revendications territoriales sur Fiume et la Dalmatie » aient été balayées du revers de la main par les Alliés.
La grande crise sociale italienne :
La misère chronique qui mine ce pays, incite des milliers d’Italiens à émigrer vers les Etats-Unis ou le reste de l’Europe, (France, Belgique…) Ce sont en majorité des travailleurs ruraux, des chômeurs, des ouvriers, des journaliers, etc...
80 % de la société italienne s’est prolétarisée. Durement touchées, classes moyennes et classes populaires vont constituer le gros des contingents « fascistes ». Parmi ces classes moyennes, on y trouve parmi elles, des fonctionnaires, des petits commerçants, des petits propriétaires agraires, etc.
En effet, la Démocratie libérale (née en Allemagne, rappelons-le), est en effet incapable de juguler le chômage montant, la misère exponentielle qui mine le pays et l’inflation de plus en plus élevée. (Jusqu’à 400 % d’augmentation des prix sur les denrées, entre 1914 et 1920).
Le parti communiste observe devant la crise montante, une montée inexorable parallèle à la montée du fascisme.
Les grands possédants industriels, agraires, devant les émeutes, les affrontements sanglants des deux mouvements en présence, s’inquiètent et la peur s’installe dans la grande bourgeoisie industrielle et les agrariens, (les latifunda), et s’en remettent au président Giolitti, leur exprimant leur désarroi. Celui-ci affiche de la sérénité et proclame à qui veut bien l’entendre :
« Le bolchévisme à Rome est aussi impossible que l’olivier à Moscou ! ».
Ce qui ne va certainement pas rassurer les possédants.
Le climat général est très mauvais, nourri à la fois par la rancœur des « petits » et l’inquiétude des « bourgeois », sur fond de grande misère sociale.
Conséquence ? Si le parti communiste bat les records d’adhésion, le fascisme se développe et affiche ses objectifs : éradiquer le parlementarisme, la Démocratie, il se veut antilibéral, mais n’hésitera pas, plus tard, à s’allier étroitement aux pires d’entre eux.
Il flatte les patriotes italiens, les anciens combattants, les « arditi »3.
Une chose est sûre : Mussolini s’affiche comme un parti volontairement belliqueux contre ce qu’il nomme « le péril rouge » et réaffirme constamment sa volonté farouche de « combattre les Internationales socialistes », jugeant le pouvoir du président Giolitti faible, sans autorité, lors que lui, prône la conception d’un État totalitaire qu’il formule en ces termes :
« Tout est dans l’État, rien contre l’État, rien en dehors de l’Etat ».
Mussolini est un doctrinaire. Mais il prône aussi de sortir des livres, en privilégiant l’action.
Qu’entend-il par action ? Voici ce qu’il en dit.
« Le fascisme ne fut pas nourri dès l’enfance par une doctrine précédemment élaborée dans les bureaux, il est né d’un besoin d’action et il fut action ; il ne fut pas un parti : au contraire, pendant les deux premières années, il fut un anti-parti et un mouvement ; le nom que j’ai donné au mouvement en fixait le caractère ».
Mussolini s’affiche comme anti-libéral, suivant la doctrine de Georges Sorel et de Charles Maurras. Charles Maurras lançait ses anathèmes contre l’esprit démocratique (la Démocratie à l’Anglaise !!) née en Angleterre au XVIIe siècle et concrétisée par la Révolution française, révolution bourgeoise et libérale.
Mais Mussolini s’accorda quelques libertés de principe, en s’écartant volontairement de ses inspirateurs, on dirait aujourd’hui qu’il était pragmatique, opportuniste.
Avant d’aller plus loin dans les péripéties et la doctrine de Mussolini, l’application de son programme dès son accession au pouvoir, il convient d’en tracer un portrait détaillé.
Qui était Mussolini ?
Benito est né en 1883 à Dovia di Prodappio, en Romagne. Il meurt, exécuté par les partisans italiens à Giulino di Mezzagra, Côme, en 1945. Issu d’une famille de paysans pauvres de Romagne, il connaît une enfance très rude. Son père, forgeron du village, tenait aussi un cabaret. Selon l'historien Jacques Bainville, son père était un personnage haut en couleurs, affichant des opinions anarcho-socialistes, cependant « assez décousues ». Sous l’influence paternelle, le jeune Benito s’oriente très tôt vers un socialisme révolutionnaire fortement teinté d’antiparlementarisme et d’anticléricalisme.
Sa mère, une institutrice de campagne est très pieuse et d’un caractère résigné. A force de travail et de privations, Benito devient à son tour instituteur en 1901. Il est aussi antimilitariste et doit fuir en Suisse en 1902. Pendant deux ans, il va y mener une existence laborieuse et précaire, faite de petits boulots de manœuvres le jour, mais la nuit, il étudie et se nourrit de lectures « avec avidité ».
Expulsé successivement de tous les cantons où il s’installe pour activités subversives, il finit par rentrer en Italie à la faveur d’une amnistie en 1904 et milite au Parti Socialiste.
A Trente, il occupe un poste de journaliste puis à Forli, à Milan, il rentre comme directeur du journal l’Avanti, l’organe central du parti socialiste en 1912. Mussolini fait figure de socialiste intransigeant. Il signe des articles virulents contre l’intervention italienne en Tripolitaine et milite contre toute guerre impérialiste.
Subitement, sans raisons apparentes, en pleine contradiction avec ses engagements antérieurs, il change complètement de cap et d’opinion en 1914 et lance le mot d’ordre « Vive la guerre et la révolution ! ».
Pour Mussolini, il existe deux sortes de révolutionnaires :
1/ Ceux qui servent la révolution,
2/ Ceux qui s’en servent pour « arriver » et s’enrichir.
Mussolini est foncièrement un homme de gauche. C’est un enfant du peuple élevé dans la doctrine marxiste par un père anarcho-socialiste et militant. Il rêve « d’arracher le prolétariat à la bourgeoisie et de lui donner de meilleures conditions de vie ».
Il fait son service militaire aux bersaglieri de Verone, où il acquiert la rigueur et la discipline militaires.
Il s’expatrie et se rend dans les territoires « irrédimés »4 à Opaglia dans le Trentin, alors sous occupation autrichienne.
Et là, Mussolini va faire une rencontre exceptionnelle qui va complètement changer le cours de sa destinée personnelle et politique, celle de Cesare Battisti.
Cesare Battisti est né en 1875 et mort en 1916. Condamné à mort par les Autrichiens, il fut pendu. Géographe, journaliste, écrivain, il dirige « il popolo ».
Cet homme, très engagé dans le marxisme et l’irrédentisme, se sent comme la plupart de ses compatriotes, profondément italien. Il possède un sens inné des grandes nécessités de la politique. S’il est un marxiste convaincu et engagé, il est aussi un ardent patriote. C’est un homme cultivé et instruit qui va former Mussolini à ses idées sociales, mais rêve d’une grande Italie, idée qui lui paraît tout à fait compatible avec ses aspirations pour le socialisme. Mussolini s’imprègne complètement de cette association de doctrines, nationalisme + socialisme. Battisti pousse Mussolini à convoiter le pouvoir, car il a vu à travers cet homme au tempérament entier et autoritaire, l’instrument d’une « régénérescence » nationale.
Cesare Battisti engage Mussolini pour y rédiger des articles dans son journal « il popolo ». Mais la rhétorique de Mussolini est si violente, intransigeante, que ses tribunes attirent sur lui l’attention de la police autrichienne. Il est expulsé des territoires « irrédimés », et rentre en Italie accueilli chaleureusement par les socialistes milanais. La direction de leur journal « l’Avanti » lui est confiée. Il se met immédiatement au travail.
De 1912 à 1914, il organise des meetings et exhorte le prolétariat italien à se lancer à l’assaut de la bourgeoisie. Mussolini est considéré par la police italienne comme un « agitateur marxiste ». Il va de l’avant, mais s’oppose à la création d’une Internationale prolétarienne ».
En juin 1914, à Ancône, lors d’une bagarre avec les forces de l’ordre, 3 ouvriers sont tués par la police. Aussitôt, toute l’Italie ouvrière s’embrase. La grève générale est proclamée, des émeutes s’ensuivent. Pour Mussolini il suffit d’exalter la résistance et ainsi triomphera la révolution qu’il appelle de tous ses vœux.
A sa grande stupeur, les directions du parti socialiste italien refusent de le suivre, et reculent devant les troubles. Derrière ces organisations ouvrières, on retrouve les manœuvres de ceux que Mussolini appellent les « parasites ». Les grèves cessent immédiatement, le travail reprend. La Bourgeoisie italienne (les possédants, industriels et agraires), affichent un triomphalisme provocateur. Mussolini est encore sous le coup de la trahison des partis de gauche, que la grande guerre éclate.
.../…
2L’Entente. Alliance entre la France, l'Angleterre et la Russie.
3Arditi : anciens combattants. - (les audacieux) -
4Territoire irrédimés : territoire italiens où vivent des italiens, occupés par les Autrichiens. (Irrédentisme ) : mouvement réclamant l’intégration de dans l’Italie, tous les territoires (terres irrédentes) habités par des Italiens.
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