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Le grand virage…vers…

Ce serait comme un grand tournant vers moins d’autoritarisme, moins de parole unique, moins de tentative de maitrise, moins de mental… un virage vers plus de sensations, plus de corps, plus de respiration, plus d’attention, plus d’autonomie, plus de présence…

Apprendre la nature

Quand j’ai commencé l’éducation à l’environnement dans les années soixante-dix, il était clair que les meilleurs d’entre nous, les jeunes animateurs, ceux qu’on avait envie de fréquenter pour se former, c’était les bons naturalistes. Notre idée c’était que nous avions dans notre travail pour mission d’apprendre la nature aux enfants et parfois aux adultes. Alors on se promenait dans la nature avec un groupe et nous faisions ni plus ni moins, notre leçon de choses comme cela se faisait au début du XXème siècle et même avant.

Des mots, des mots, des mots… il en pleuvait

« Et ça c’est quoi ? » disait un touriste. « Le lys martagon » … répondait l’animateur, après il pouvait enchainer avec le milieu du lys, sa famille botanique, sortir son nom en latin, dire s’il était menacé…son statut juridique… éventuellement les usages qu’on pouvait avoir de la plante dans le pays… coté ethno donc et ça s’arrêtait là ou ça pouvait enchainer sur autre chose...Et c’était des mots, des mots, des mots… il en pleuvait … un qui parlait, les autres qui écoutaient …certains bouche bée … d’autres regardant ailleurs... ou discutant dans les marges du groupe… de toute façon on n’entendait rien si loin…tendre l’oreille on peut un peu, mais vite c’est fatiguant…Le plus drôle c’est que le plus souvent le touriste désignait la plante d’un coup de menton sans vraiment se pencher sur elle, sans la regarder vraiment… on était vraiment au bord du …question de causer quoi… histoire de dire quelque chose… où va savoir, voulait-il tester l’animateur ? … comme on ferait à un chien savant… essayer de l’amener à ses limites, trouver la faille… c’est vrai quoi ! Tant à être épaté autant l’être vraiment.

Du coté des adultes

La grosse frayeur de pas mal d’animateurs, c’était de ne pas savoir le nom de la plante… Peur que le tourisme désigne une plante avec son inévitable : « et ça c’est quoi ? » et que tout embarrassé on cherche à s’en sortir d’une façon où d’une autre, balbutiant éventuellement de vagues considérations, ou pire encore en rougissant confus de honte …le professionnel pris en faute d’insuffisance… alors qu’on nous avait dit… alors qu’on a payé… pas évident à assumer… Il faut dire qu’il y avait pas mal d’animateurs qui avaient dans leur formation vécu les sorties de terrain de la fac et du coup, en manque de sens critique sans doute, étaient tombés dans la posture que les profs premier de la classe en botanique connaissant pratiquement toutes les plantes, leurs avaient montré. Comme leurs profs, ils étaient devenus impressionnants de sciences et de connaissances et ils disaient. Toi faisant partie du groupe et embarqué avec ce guide la, tu étais condamné à suivre, à acquiescer à toutes les paroles prononcées… à mesurer ton incompétence crasse et pire éventuellement ton manque d’intérêt pour tout ça… voilà pour les adultes.

Lâchez vos bâtons.

Quant aux enfants et bien on leur servait une tisane pas très éloignée. Jusqu'à - misère - demander à des enfants de 8-10 ans de prendre cahier et crayon dans les mains lors de leur première sortie en forêt afin de noter tous les trucs passionnants qu’allait raconter l’animateur. « Et ça les enfants vous savez ce que c’est ? Est-ce qu’il y en a un qui le sait ? Lâchez vos bâtons… c’est la faîne … et vous savez de quel arbre la faîne est le fruit ? » Non ils ne le savent pas les enfants et d’ailleurs … ils s’en foutent… autant que moi du dernier modèle de SUV sorti de chez Renault. Ce qu’il y a de bien avec les adultes qui sont tellement habitués à faire ce qu’on leur dit, ce qui est bien, c’est qu’ils ne mouftent pas et que ça peut continuer comme ça des heures… il y en a 4 ou 5 sur 20 qui s’y retrouvent, les autres, très vite ne savent plus pourquoi ils sont là, mais ils supportent… ils sont bien les adultes pour ça…ils supportent bien. Les enfants eux tellement en phase avec la réalité qu’ils sont, ils s’égayent dans les bois… ils laissent dire l’animateur … ils sautent dans les flaques, ils grimpent aux arbres, ils deviennent chevaliers avec de magnifiques épées, ils sont à la chasse à l’ours (chasse photographique on s’entend bien) ou sont devenus indiens… 

Aimer

Dans les années quatre-vingt certaines animatrices et certains animateurs ont commencé à sentir en eux qu’il y avait autre chose à faire et ont pris un peu d’assurance. Ce touriste qui disait « Et ça c’est quoi ? » Il s’entendait répondre : « vous l’avez bien regardé ? Elle ne vous rappelle rien ? Combien a-t-elle de pétales ? Avez-vous senti son parfum divin… ». Et voilà le mot « divin » qui vient se loger là… et nous voilà dans un tout autre monde. Avant on faisait entrer les plantes dans la culture des gens et voilà maintenant, qu’on rapproche les gens des plantes… qu’on fait apprécier les plantes… Pour aimer une plante est-ce qu’il faut connaitre son nom, ou est-ce qu’il fait l’apprécier, s’en sentir proche, l’aimer ? Pour ça, pour l’aimer le mieux, c’est de l’observer attentivement, la toucher, la sentir, s’en rapprocher physiquement… et l’approche sensorielle[1] est arrivée. On défend mieux une plante dont on connait le nom ou est-ce qu’on défend mieux un être qu’on aime ? Oui les « choses » de la leçon sont devenues aujourd’hui des « êtres ». Ce temps que nous vivons dehors, il est plus heureux en apprenant son nom ou en jouissant des couleurs et des parfums offerts par une fleur ?

La reconnexion[2]

Voilà, finie la leçon de chose. Nous, les animateurs nature nous ne voulons plus apprendre la nature à qui que ce soit, nous voulons offrir des expériences de nature. Toutes sortes d’expériences de nature, beaucoup d’expériences de nature. Des expériences de nature à tous les enfants du monde. Ce que nous souhaitons c’est que la personne devienne disponible à ce qui l’entoure. Il ne s’agit plus d’écouter un gars nous déverser sa science, il s’agit de vivre, de courir, de regarder, de s’émerveiller, d’embrasser les arbres si on a envie, de faire des cabanes, de passer la nuit dehors, de contempler… le sujet c’est de s’imprégner, c’est de se laisser pénétrer par un tas de sensations qui nous viennent du dehors, qui immédiatement nous parlent – les humains sont faits pour ça - et qu’on ne trouve nulle part ailleurs que là dans la nature. En un mot l’objectif pour l’éducateur n’est pas d’apporter la connaissance de la nature, c’est d’offrir les conditions pour que la connexion se fasse.

Sentir le corps social comme en sent la forêt

C’est un très grand virage. Quand les impressionnistes sont sortis sur le terrain avec leurs chevalets et leurs pinceaux, c’était aussi un sacré virage… ils sont sortis, ils sont allés dehors. Aujourd’hui dans les réunions citoyennes, on en a vite marre d’écouter ceux qui croient tout savoir et qui parlent si bien au micro … oui certains sont bouche bée… mais d’autres sentent qu’ils ont mieux à faire… se parler entre eux, se découvrir, pas suivre… mieux se connaitre pour …on verra bien… faire des choses ensemble un jour, un jour ou deux, ou pas… comme l’enfant avec la faîne… c’est une question d’envie, une question d’appétit… la connaissance rien de plus simple à acquérir une fois que le désir est né. Pour que ce rapprochement se fasse, pour qu’éventuellement après s’ouvre cet appétit de connaissances et d’actions, il faut que cette connexion soit réalisée… alors après à chacune, à chacun, de savoir ce que j’ai à en faire moi de ce qui peut devenir si important pour un humain : une relation, une relation qui va déclencher de l’action. Et si c’était le même grand virage ? Et s’il en était de même dans la nature que sur la place publique… pas écouter les mots, mais sentir ce corps social, comme on sent la forêt…

Vers le plaisir

Même si l’on est très motivé pour défendre l’environnement, même si ça devient le sens de notre vie… inutile d’y aller jusqu'à se faire mal. Gardons toujours vivant le principe de plaisir. C’est en étant dans le plaisir qu’on devient libre, efficace, créatif… redoutable… c’est dans le plaisir qu’on entraine les autres, c’est dans le plaisir partagé que nous sommes bien dans l’action, et qu’éventuellement, on amène les autres à l’action.

 

[1] Thème du webinaire du 29 novembre 2020 de Ré-enchanter l’école : https://www.youtube.com/watch?v=R1bsdCcNIwM

[2] Thème du webinaire du 13 décembre 2020 de Ré-enchanter l’école.


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6 réactions à cet article    


  • Clark Kent Séraphin Lampion 7 décembre 2020 09:39

    Le mythe du bon sauvage n’est pas nouveau. C’est l’idéalisation des hommes vivant en contact étroit avec la nature. Il répond au débat opposant « nature » et «  culture » et constitue un idéal pour les âmes agitées par un futur incertain : vivre en d’autres temps, en d’autres lieux où paix et bonheur sont assurés par une « Nature » bienveillante.

    « La nature a fait l’homme heureux et bon, mais la société le déprave et le rend misérable. » Jean-Jacques Rousseau

    Le développement même de l’intelligence et la recherche du luxe, de la propriété et du pouvoir, encouragés par les institutions, sociales, auraient jeté l’homme en dehors d’un paradis possible auprès de la Nature.

    Quitte à revenir à Rousseau, il ne faut pas passer sous silence que, pour lui, c’est la notion de propriété qui est responsable du malheur de l’homme en conduisant l’être humain à défendre son territoire (au besoin par la violence) pour protéger ses biens accumulés. 

    Comme le fait l’auteur, Rousseau propose dans » l’Émile ou De l’éducation » une pédagogie naturelle qui répondrait aux besoins réels de l’enfant. Seule une éducation libre, ouverte et naturelle rendra à l’être humain l’état de bonheur et de bonté qu’il doit regretter avoir perdu en rêvant du bon sauvage que lui proposent les utopistes de son époque.

    Sous des dehors progressistes, ce type d’idéologie maintient aussi les vieilles associées au péché originel : l’homme aurait connu le paradis, mais l’aurait perdu après avoir croqué la pomme, symbole de la connaissance, et la chute, associée au mal, se trouve du coup au cœur même du «  mythe du bon sauvage ». L’homme industrieux, « perverti » par sa culture et par son goût du luxe, aurait signé sa propre perte. 

    En fait, la découverte et l’observation d’enfants vraiment sauvages tels que Victor de l’Aveyron a montré que l’homme, privé de la compagnie des siens, et donc de la société et sa structure contraignante, ressemble davantage à un animal qu’à l’idéal décrit par les colonisateurs idéalistes du nouveau monde, les missionnaires et les nouveaux naturalistes que sont une partie des verts. 


    • velosolex velosolex 7 décembre 2020 11:41

      @Séraphin Lampion
      L’homme n’est rien d’autre qu’un animal. Et l’exemple de tous les enfants loups, ou singes qu’on a trouvés, aux indes principalement ne montre qu’une chose, vérifiée tout autant par la plasticité des espèces animales en contact de l’homme ; Que tout est plasticité et adaptation. Et que l’arrachement à cette société d’apprentissage primaire le met en péril et le condamne, si la différence de culture et d’adaptation est trop marquée, dans la rencontre de sa nouvelle tribu. 
      Le seul enfant sauvage réel, qu’on pourrait théorisé, est celui vivant hors influence, c’est à dire sans contrainte culturelle, modèle, ou identification sociale. C’est à dire voué à une mort certaine. 
      On a dit beaucoup de conneries sur Rousseau, et ça continue. L’enfant tel que le voit Rousseau est un être sensible et pourvu d’émotion. Pas un petit diable à mater comme le concevait à l’époque les pédagogues. Rousseau a sans doute des vues simplistes parfois, mais son apport est considérable. Rousseau prône l’activité physique, fait l’apologie des apprentissages manuels, de l’observation dirigée vers la nature pour en comprendre les lois, des substrats dont s’empareront avec bonheur tous les écoles Montessori ou Freinet. Il a l’intuition aussi que tout commence très tôt, et fait remarquer de façon pertinente que l’emmaillotage des bébés, comme il est pratiqué alors est une aberration, les freinant dans leur capacité d’éveil.
      Pour la pomme, on remarquera que ce fruit a vu son symbolisme tenant à la fois à la nature et au mensonge, est devenu un des aliments les plus traités qu’il soit. Rien de plus trompeur qu’une pomme rouge de belle apparence. Déjà, Blanche neige s’en est aperçue un peu trop tard. Il ne faut pas se fier aux apparences . Et il ne suffit pas de mettre non plus du vert sur ce qui est détestable pour dévaloriser la qualité de gens qui œuvrent pour la vie. 


    • Jean Keim Jean Keim 8 décembre 2020 08:22

      @velosolex

      Je ne ressens pas que je puisse être qu’un animal bien que mon animalité m’est évidente, vous écrivez « Que tout est plasticité et adaptation. », effectivement mais chez un animal ce processus a une limite, un chien au contact de l’homme restera un chien, ceci est valable pour tout animal, qu’en est-il pour l’être humain ? Contrairement à l’animal, nous avons la possibilité de changer radicalement, je ne dis pas de nous changer progressivement, ce qui n’est finalement qu’être autrement mais dans la continuité de ce que nous étions avant, ce que l’on peut appeler le conditionnement, dans ce changement très relatif le temps joue un rôle important, et donc également et surtout le poids du savoir ; si je n’ai jamais entendu parler de Rousseau, il ne m’influencera pas directement, mais si le premier contact avec ses idées me fait une impression forte, je serai peut-être influencé pour tout le restant de mon existence.


    • Francis, agnotologue Francis 7 décembre 2020 10:01

      ’C’est en étant dans le plaisir qu’on devient libre, efficace, créatif… redoutable… c’est dans le plaisir qu’on entraine les autres, c’est dans le plaisir partagé que nous sommes bien dans l’action, et qu’éventuellement, on amène les autres à l’action.’’

       

      Quel plaisir peut-on avoir, quand on est tenu de se cacher le visage ?

       

       Je crois que l’obligation de porter des masques ne sera jamais levée : ou nous nous soumettons, ou nous les arrachons.

       

      « le roi ne lâche que quand le peuple arrache » Victor Hugo


      • velosolex velosolex 7 décembre 2020 11:45

        @Francis
        Oh show me the way to the next whisky bar....


      • Ausir 8 décembre 2020 08:54

        C’est bien beau tout ca , quand les gens vivaient en majorité à la campagne pas besoin d’animateurs ni de formateurs pour aller dans la nature : c’était naturel tout le monde y vivait ...

        C’était le temps béni ou il n’y avait pas de grosses métropoles , pas de builidding , ou les gens vivaient peu en appartement ou en cités , ou la patte de l’homme n’avait pas encore dénaturée la nature , construit des batiments hideux aux dépens des bois et des prés ..

        Le grand virage salvateur ca serait de cesser de construire des immeubles , d’étaler les villes , stopper les mégapoles , mais de réhabiliter les vieilles maisons dans nos campagnes et villages ou la nature est toute proche , revenir dans les commerces qu’on voit abandonnés tout le long des routes quand on parcourt la France .

        Et ainsi plus besoin d’animateurs pour vous emmener dans la nature .

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