Le jacobinisme soft de la pensée unique : réponse à Daniel Arnaud
Dans son récent article, publié le 15 mars 2012 intitulé « le nationalisme ethnique de Marine le Pen », Monsieur Daniel Arnaud me met en cause ad nominen en m’intronisant représentant de la pensée « ethnique » de Marine le Pen au sein du nationalisme corse (sic). Il cite une tribune que j’ai publié dans le mensuel Corsica , sous le titre « Peuple, langue et citoyenneté », triturant mes propos, les déformants, usant d’amalgames et de mensonges il fait de moi un des deus ex machina qui auraient permis à Marine le Pen de triompher lors de son meeting à Ajaccio.
Mais avant de lui répondre je vais donner mon avis sur son interprétation des termes « universalisme » et « nation ».
La nation est un concept ancien, même si Renan en donne une version plus moderne au XIXe siècle[1], elle est le stade supérieur à la tribu puisque elle résulte d’une destiné collective dans lequel un ou plusieurs groupes humains, un peuple se reconnait. A la chute de l’empire romain les « nations » sont apparues avec les peuples barbares qui se sont constitués en royaumes ; devenant ainsi des entités politiques autour de la personne du « princeps », du « rex » lequel incarnera la nation au Moyen Age. L’empire étant l’entité par essence supra nationale.
La nation corse existe depuis le Moyen Age, comme d’autres nations de l’Occident chrétien, elle est issue historiquement et de par sa mythologie de la reconquista en Méditerranée au XIe siècle. Son héros fondateur est un personnage mythique qui symbolise cette geste, Ugo Colonna, censé avoir chassé les Maures de Corse au cours de ces siècles obscurs. Le drapeau à la tête de Maure, nombre de traditions, des noms de lieux et de familles rappellent cette épopée fondatrice. D’autres nations européennes ont d’autres mythes ou événements fondateurs. Mais vouloir résumer la nation à la seule valeur dite « progressiste » -il va falloir me préciser le sens de ce terme tant il est creux, vide de sens et servant le plus souvent à quelques uns à de se donner bonne conscience en dénigrant d’autres qui ont le tord de ne pas partager leur analyse- est non seulement réducteur mais inexact.
La « nation moderne », lieu de la souveraineté est effectivement l’œuvre des lumières et l’une des premières concrétisations en est le royaume corse de Paoli en 1755. Dans ce cas la nation se définit par des règles communément acceptées par un peuple mais elle est issue de la « nation ancienne », comme toutes les autres nations européennes, elle n’est aucunement une entité collective apparue ex-nihilo. Paoli faisait référence aux Comtes de Corse cinarchesi[2] , comme les Allemands au saint empire romain germanique d’Henri l’oiseleur et Barberousse, les Anglais au roi Arthur et à Guillaume le conquérant, les Espagnols au Cid Campealor, les Serbes à la bataille de Kossovo…quant aux Français ils ont substitué le centralisme de l’Etat/nation à la monarchie absolue et centraliste des rois. La France n’est pas née avec la révolution mais avec le baptême de Clovis puis la monarchie capétienne. Ce qui différencie ces nations c’est la diversité de leur histoire, de leur genèse, non pas après les Lumières et le XVIIIe siècle, mais avant. Certaines nations se sont édifiées autour d’un territoire naturellement délimité, d’autres par la langue ou la jus sanguinis précisément parce que leur territoire relevaient de frontières floues et mouvantes au cours de l’histoire : c’est le cas de l’Allemagne issue des peuples germaniques à l’installation instable.
La langue commune peut être un critère à l’édification d’une nation, c’est le pourquoi de l’unification linguistique forcée de la France. Néanmoins la nation n’est nullement définie par un seul concept inamovible : il y une pluralité de critères qui peuvent définir une nation, entrainer sa genèse, sans établir une hiérarchie entre eux ou discriminer les uns par rapport aux autres.
Là où votre pensée, Daniel Arnaud, dérive c’est lorsque vous dénoncez « l’ethnicisme » comme intrinsèque à toute « communauté de langue et de culture ». Seulement la langue, l’histoire, la culture font partie des valeurs qui cimentent une communauté comme les liens du sang cimentent la famille, qui est la composante première de tout groupe humain quel qu’il soit : clan, tribu, peuple, nation…. Criminaliser le lien du sang, c'est-à-dire la famille et l’ascendance, comme vous le faites au prétexte d’idéologies raciales passées, c’est générer le totalitarisme de l’homme nouveau ou le fils doit dénoncer le père au nom du « progrès », de l’idéologie. C’est ce qu’a fait le Stalinisme avec les résultats que vous savez : en dépit de millions de morts, l’homo soviéticus n’a pas remplacé l’homo sapiens et les nations ont repris leur place naturelle quand l’idéal soviétique a cessé de cimenter l’empire.
Vous dites qu’une nation au sens « progressiste » doit être une communauté de destin : c’est vrai mais elle ne doit pas renier l’histoire, la culture, la langue qui sont le terreau de la communauté qui la forme au prétexte que ce sont, selon vous, des valeurs rétrogrades contenant de manière sous jacente une « idéologie ethnicisante » et, lâchons l’anathème qui vous tient à cœur, « raciste ». L’universalisme n’est pas l’uniformité car l’uniformité c’est le véritable totalitarisme contraire à la diversité, au sens où différentes cultures, langues et mœurs cohabitent : voilà la vraie richesse de l’humanité. Le mondialisme libéral du XXIe siècle, comme le jacobinisme français et le stalinisme en son temps en Union soviétique, aspire à créer un homme désincarné, reniant ses racines pour n’être qu’un individu interchangeable car dénué d’identité propre et cela nous ne l’accepterons jamais : nous resterons ce que sommes tout en faisant partie et en contribuant à l’universel.
Quant à votre lecture du projet et de l’idéal de Pascal Paoli, où la nation corse (toujours selon vous) ne se définirait pas de par son passé et son vécu collectif, elle est vraiment plus que fantaisiste. Relisez (ou lisez plutôt) la Giustificazioni [3]et vous saurez que Paoli se place comme l’héritier de Sampieru et des cinarchesi pour proclamer le caractère illégitime du pouvoir génois en Corse et la souveraineté du Regno di Corsica , pour le peuple corse mais aussi au regard de l’histoire.
J’en viens à l’interprétation que vous faites mon texte et qui relève à la foi du mensonge, de la mauvaise foi et d’une exaltation de tous les poncifs du politiquement correct à la bien pensance des bobos parisiens.
Vous dites qu’en tant que membre Femu a Corsica je manque de modération ; je vais vous répondre : je ne suis pas, je n’ai jamais été et je ne serai pas un modéré tant ce terme est antinomique avec ce que fut mon engagement, dans toutes les dimensions du terme, au service de la nation corse. Je trouve qu’il a une connotation glauque, propre à servir de paravent aux arrivistes et aux opportunistes de tous poils, aussi je conçois qu’il vous gré. J’aurais, selon vous, une « lecture ethnicisante » de l’histoire de la Corse de ces dernières années… Non j’ai la lecture lucide de la démographie de l’île de ces dernières années. En effet soit vous estimez que le peuple existe, des lors il se défini selon certains critères dont la langue et la culture, soit il n’existe pas parce que vous ne le reconnaissez pas ou bien parce que vous ne donnez aucune définition de ses caractéristiques. Dans ce cas, et c’est votre opinion, il n’y que des individus et une population sans langue sans culture et sans terre…
Des milliers de migrants sont arrivés en Corse depuis les années 60, certains sont devenus corses bien que ne l’étant par leur ascendance : ils ont appris la langue et fait leur les valeurs du peuple corse, ils ont participé à la destiné collective de celui-ci. Mais d’autres pas, c’est une des raisons, non la seule, du recul de la corsophonie. Je n’ai jamais parlé de « population inassimilable », ce sont des termes qui vous sont propres et vous me les attribuer de manière mensongère afin de me dénigrer : ce que j’ai dit c’est que la « machine à fabriquer les Corses » est « cassée » depuis trente ans du fait de l’importance des flux migratoires qui ont abouti à l’apparition de communautés dans l’île. C’est le constat d’une réalité démographique.
Quant à la jus sanguinis, j’ai parlé de la définition que les Corses se sont toujours donnés d’eux mêmes jusqu’aux années 1960. Une thèse universitaire de 1986 de D. Martinetti[4] a très bien expliqué la conception corse de l’identité à travers l’histoire. Di quali sè ? (De qui es-tu ?) Telle était la question que se posaient les Corses lorsqu’ils se trouvaient ailleurs pour se situer, se reconnaitre, d’abord le village ensuite la famille. Je n’ai pas porté de jugement de valeur, j’ai fait un constat historique. Il n’y a pas si longtemps, dans notre île, quelqu’un d’un village voisin était considéré comme un étranger (u furesteru, c'est-à-dire celui d’ailleurs). C’est de cette conception que nous héritons pour passer à la communauté de destin ; mais à la différence de vous je conçois la communauté de destin par des valeurs, des engagements, des droits et des devoirs et non pas au seul de fait de poser un jour le pied sur l’île ou d’y acheter une résidence secondaire.
Ainsi, toujours selon vous, les Corses de la diaspora n’ont aucun droit sur l’île et celui qui y arrive demain devrait automatiquement avoir les mêmes droits que celui qui y est depuis des décennies. Toute législation protégeant la terre ou favorisant la langue est frappée de la fatwa de « racisme ». La vanité ne vous étouffe pas pour prétendre nous dire ce que nous sommes. Ensuite ce n’est ni avoir la conception de Barres, Brasillach ou autre que d’aspirer à une législation particulière en matière de statut de la langue ou de citoyenneté. Des régions européennes ont des statuts d’accès à la propriété et à la citoyenneté (les îles Halland) bien plus drastiques que les 10 ans de résidence proposés par les nationalistes, auxquels vous lancez vos anathèmes et vos procès en sorcellerie. Le Danemark et la Norvège sont-ils des pays racistes selon vous ? Quant à nier que la Corse doive maitriser ses flux migratoires, au même titre que n’importe quel pays, cela relève soit de la mauvaise foi soit de l’irresponsabilité soit des deux à la fois.
Mais là où le ridicule de vos propos le dispute à l’insulte à l’égard de ma personne c’est quant je parle de politique nataliste (tous les pays européens y compris la France favorisent les naissances) et que vous comparer cela aux lois de Nuremberg (rien de moins) ! Vous devriez arrêter les substances hallucinogènes cela donnerai un peu plus de mesure à vos propos et un peu moins d’outrance à vos délires. A moins que tous ceux qui ne partagent pas votre avis soient, de votre point de vue, des fascistes et des racistes comme les staliniens qualifiaient de canailles « hitlero-troskistes » les ennemis du régime durant les procès des purges des années 30 ou 50.
Quant à votre véritable pensée vous la révéler à la fin de votre article en condamnant la défense de langue corse, la corsisation des emplois, la lutte contre la spéculation immobilière comme du « racisme caché » de disciples de Barres, Le Pen et consort ( torna vignale vos références sont répétitives et limités tout de même) … et le clou de votre analyse c’est quant vous dites que nous, nationalistes, nous « éloignons de la Corse de Paoli »…Heureusement que vous y êtes, vous et vos élucubrations, vous qui dites que défendre la langue corse c’est être ethniciste et lutter pour sa terre c’est être raciste. Enfin pour couronner cette litanie d’inepties vous mettez sur un même plan l’islamisme politique et ses attentats avec un prétendu « fondamentalisme chrétien » illustré, toujours selon vous, par un incident mineur concernant la réprobation suscitée chez les étudiants de Corte par une photo provocatrice lors d’une exposition à l’université…l’actualité récente (comme celle plus ancienne) montre, hélas, non seulement votre vanité mais aussi l’incommensurable cécité politique des gens de votre engeance devant des problématiques aussi graves...
Enfin votre idéologie, je ne dirai pas votre philosophie, est celle d’un jacobin soft, bien pensant, un bobo corso-parisien individualiste qui voit dans toute identité collective une menace pour sa petite personne parce qu’il n’a pas le courage de s’astreindre à des règles communes et qu’il transforme son égoïsme en une valeur de liberté et d’universalisme. Quant à votre « droit de l’hommisme » bien pensant, il est malheureusement une copie lassante du politiquement correct qui voit dans tout véritable débat une menace à son confort intellectuel.
Dès lors on se refugie dans l’anathème mais celui-ci ne saurait se substituer aux arguments de ceux qui n’en n’ont pas.
Denis Luciani
Diplomé de l'Ecole Supérieure de Gestion
Ecrivain en langue corse et française
Membre du Conseil Economique et Social de Corse
Président de l'Associu di i Parenti Corsi
[1] Une nation est une âme, un principe spirituel. Deux choses qui, à vrai dire, n’en font qu’une, constituent cette âme, ce principe spirituel. L’une est dans le passé, l’autre dans le présent. L’une est la possession en commun d’un riche legs de souvenirs ; l’autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu indivis. »
[3] Ouvrage édité en 1758 par l’imprimerie nationale Corse, destiné à l’opinion publique européenne, et qui, comme son nom l’indique, était une justification de la révolution menée par les Corses contre Gênes et du droit à l’autodétermination du peuple corse.
[4] Thèse Universitaire de Troisième cycle à Aix en Provence soutenue en 1986.
8 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON