Le joli mariage de l’eau et du feu sur une affiche de l’UNEF
Marie et Antoine avaient déjà bien payé de leur personne en 2000 pour attirer l’attention sur la pénurie de logements pour étudiants. Apparemment, ça n’a pas suffi. C’est au tour de Damien et de Mélanie, huit ans plus tard, de se sacrifier pour la bonne cause : car le problème reste entier. Ils y mettent eux aussi tout leur cœur.
Le syndicat UNEF vient de lancer à nouveau une campagne en faveur du logement étudiant en recyclant une affiche qui ne peut que capter l’attention par son leurre d’appel sexuel marié, comme le feu à l’eau, au leurre d’appel humanitaire dans une scène de farce hilarante. Un jeune couple nu, en plein simulacre de coït, s’ébat dans le mitan du lit conjugal de papa et de maman qui ont le bon goût de se détourner pudiquement en se cachant bien les yeux pour ne pas trop en voir. Quant à entendre, c’est une autre histoire, mais l’affiche n’en dit mot.
Une métonymie explicite
De la part d’étudiants, on n’est pas trop surpris. La discrétion de l’insinuation n’est pas leur fort. Ils préfèrent, dans la tradition carabin, un leurre d’appel sexuel ostentatoire pour frapper les esprits et stimuler le réflexe d’attirance dans sa version la plus intense, celle du voyeurisme : on ne peut trouver mieux, sauf à sortir du registre des bienséances que la morale du groupe prescrit, pour apprendre à qui ne l’aurait pas encore soupçonné, ce que logement étudiant indépendant veut dire.
La métonymie choisie est on ne peut plus explicite : l’effet exhibé - une scène de tendre coït dans le lit de papa-maman - a une cause directe qu’on est prié d’imaginer : ces chérubins n’ont pas où aller pour se dire leur amour, puisque les logements étudiants sont rares. Sauf à faire vœu de chasteté, il ne leur reste plus que la chambre des parents qui eux aussi vivent à l’étroit. Le leurre d’appel sexuel se double donc ici par surprise d’un leurre d’appel humanitaire qui exhibe le drame de la promiscuité par temps de pénurie de logements.
Le rose de l’ingénuité
La mise hors-contexte concentre sur le couple le regard qui ne peut prélever quoi que ce soit alentour qui troublerait cette seule explication. Suspendue dans l’espace comme dans un rêve, la scène baigne dans le rose qui est sans doute celui de l’érotisme torride mais aussi celui de la bibliothèque rose de l’ingénuité. Il s’agit ainsi de résumer en une image l’ignorance sidérale de ceux qui, comme le souligne la légende, « prétendent que les étudiants n’ont pas de problème de logement ».
Le comique de farce et l’humour comme édulcorants
Par la violente distorsion entre ce qui est et ce qui devrait être, le comique de farce donne à cette image une frappe qui rend tangible l’ampleur de cette méconnaissance. Mais, paradoxalement, la distanciation qu’impose le sourire de l’humour désamorce tout réflexe de compassion parasite stimulé normalement par le leurre d’appel humanitaire : seul est recherché le réflexe d’assistance active à personne en difficulté. Pareillement, l’humour tempère l’audace d’une exhibition publique du plaisir d’autrui qui pourrait heurter les règles de la morale du groupe : celle-ci, on le sait, régit strictement dans le domaine public la représentation sexuelle.
Mais Mai-68 est passé par là, n’en déplaise à ses contempteurs ! Qui peut encore, en effet, s’offusquer de cette tendre union dont les zones sexuelles explicites - les fesses féminines tatouées exceptées - sont dûment cachées dans le double jeu bien réglé de l’exhibition et de la dissimulation simultanées. Mais pour autant il ne s’agit pas ici, comme à l’ordinaire de déclencher le réflexe de frustration qui dispose à échanger « l’objet du désir » (un personnage nu) en « désir de l’objet » (le produit qui lui est associé : sous-vêtements, voiture ou climatiseur).
Une représentation de la vie étudiante
Car cette image ne doit pas accaparer l’attention au point d’oblitérer l’objectif de cette affiche qui, lui, est de sonner l’alarme à propos de la pénurie de logements pour étudiants.
Le choix de cette scène d’amour n’est toutefois pas innocent. Une politique de logements pour étudiants implique une représentation de la vie étudiante où l’amour à toute sa place, dès fois que certains l’auraient oublié. Avant Mai-68, on n’osait pas en parler. Et on se souvient que le mouvement qui explosera, avait commencé en 1966 à la résidence universitaire d’Antony dont le long pavillon B, donnant sur le parc de Sceaux, a été rasé depuis. Les garçons revendiquaient alors le droit de rejoindre les filles à toute heure au pavillon D. Or, c’était défendu. On a dû à l’intelligence et au courage du directeur de la résidence de l’époque, Jean Bressand, d’éviter que la confrontation ne tournât mal, en rejetant les mauvais conseils qu’on lui prodiguait en haut lieu.
À l’exception des dévots de toutes obédiences - ce qui fait tout de même du monde - qui aujourd’hui peut contester aux étudiants le droit à une vie amoureuse pourvu qu’ils la mènent de pair avec leurs études ? On voit dès lors que la question du logement est centrale, sauf à vouloir continuer à jouir des commodités du domicile parental au grand dam des parents, comme Tanguy, le héros du film d’Etienne Chatiliez paru en 2001, auquel, par intericonicité, l’affiche fait penser. Mais la situation est ici inversée. Qui s’en plaindrait ? Ce sont les étudiants qui souhaitent pouvoir être indépendants pour leur épanouissement personnel comme pour celui de leurs parents.
Le leurre d’appel sexuel, on le voit, est un leurre d’une plasticité étonnante : il peut même se marier avec le leurre d’appel humanitaire. Leurre-tous-produits, il permet de promouvoir les produits les plus éloignés de lui, comme ici le problème du logement étudiant.
Toutefois, en raison de la nature cérébrale de l’activité sexuelle humaine, la représentation sexuelle n’est pas enfermée dans la seule exhibition ostentatoire. On a pu montrer, dans des articles précédents, que des procédés d’insinuation plus discrets permettent, tout aussi bien sinon mieux, de donner de cette représentation sexuelle des variations multiples imbriquant dans une fantasmagorie ainsi créée à la fois les relations rationnelles que le récepteur établit, et les associations mentales irrationnelles qui l’assaillent. Paul Villach
Documents joints à cet article
32 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON