Le macronisme est-il totalitaire ? I Du totalitarisme
J’avais commis un petit essai gratuit intitulé « Le macronisme est-il totalitaire ? »., auto-publié via lulu.com en février 2022. Je me propose ici de le publier par épisode.
Lien vers l'épisode précédent : https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/le-macronisme-est-il-totalitaire-242190
Et sa suite :

I Du totalitarisme
1. Les mots ont un sens
Puisque nous ne sommes plus en démocratie, alors, où sommes-nous ? Promenons-nous au pays des antonymes de ce vieux concept du gouvernement du peuple par le peuple pour le peuple.
Le fascisme, même si c’est devenu un archétype assez commun d’un régime autoritaire, est marqué par l’histoire. Avec le nazisme, le stalinisme, le maoïsme, le castrisme, ce sont des occurrences trop spécifiques de régimes certes anti-démocratiques, mais qui affaiblissent toutes les comparaisons, nonobstant les extrèmegauchistes qui en font leur invective préférée en les ponctuant de ¡ No Pasaran ! d’opérette.
Le césarisme ou le bonapartisme sont eux aussi ancrés dans l’histoire, et sont des faux-nez de l’autocratie et du despotisme : le pouvoir arbitraire, absolu, sans partage d’un individu.
Rendons justice à la dictature et à la tyrannie : Dans l’antiquité, ces régimes d’exception étaient limités dans le temps, et les pouvoirs excessifs, sans contre-pouvoir, accordés au dictateur ou au tyran, l’étaient à des fins identifiées a priori. Cincinnatus, nommé deux fois dictateur, retourne à son lopin de terre dès que la crise est résolue. L’évolution du sens des mots fait que l’aspect vertueux de cette disposition politique proche d’un état d’urgence ne transparaît plus.
L’absolutisme repose sur une sacralisation de l’origine d’un pouvoir illimité dans une monarchie.
L’idéocratie, terme peu usité, est présentée comme le règne d’une idéologie. Si ce concept a été créé au vu du nazisme et du stalinisme, il est possible de s’interroger : le régime de Jérôme Savonarole à Florence pendant 4 ans est certes une tentative de théocratie, mais cela relève-t-il d’une idéocratie ? Et qu’en est-il du concept de califat en Islam ?
Et puis, il y a le pire du pire, le totalitarisme, un concept bâti a posteriori pour observer les régimes nazis et staliniens. Cette tyrannie où l’emprise sur l’esprit de la population doit être aussi complète que possible.
2. Les éléments constitutifs du totalitarisme
En une phrase, le totalitarisme est une organisation de la société où sévit une prise de contrôle totale des individus et des corps intermédiaires par la puissance d’un état aux mains d’un parti unique. Si le nazisme et le stalinisme en sont des prototypes qui ont servi à bâtir le modèle conceptuel, c’est dans les deux dystopies majeures de George Orwell et d’Aldous Huxley que se trouvent les exemples les plus convaincants. 1984 montre une société de surveillance généralisée et permanente et une volonté délibérée d’empêcher toute révolte en offrant des moments d’hubris collective, sorte de rite de lynchage girardien1 ramenant la concorde, de réécriture permanente du passé et surtout via l’appauvrissement du langage. Le meilleur des mondes table sur une organisation de castes très hiérarchisées, une population où chacun est conditionné pour se satisfaire de son statut et où tous sont en outre littéralement drogués avec du sexe et un psychotrope idéal, le Soma.
L’ambition ici n’est pas de donner ici une analyse exhaustive du totalitarisme tel que conçu par des universitaires, mais d’esquisser à brosse large quelques traits essentiels.
Hannah Arendt est pionnière en la matière. Elle décrit ce contrôle total de la société et des individus en 1951. Il y a d’abord un parti unique qui contrôle l‘état. La dissidence y est psychiatrisée. La famille y est sabotée, les enfants arrachés à leurs parents. La religion y est remplacée par un culte et des mythes écrits par et pour le parti. La culture est déconstruite. L’individu y devient indifférencié au profit d’un collectif. La terreur et la violence ne cessent pas lorsque le parti unique atteint le pouvoir, mais persistent afin de l’y maintenir. La bureaucratie se développe, malgré les incohérences qu’elle induit. Un pseudo-paradis est promis à la population docile qui se fédère contre un ennemi, qu’il soit de classe ou de race.
Carl Joachim Friedrich et Zbigniew Brzeziński identifient quant à eux six éléments constitutifs d’un régime totalitaire : une idéologie officielle, un parti unique, une terreur policière, un monopole sur les médias (comme instruments de la propagande du parti), un monopole des forces armées et une économie planifiée.
Marcel Gauchet introduit le principe de religion séculière entraînant le fanatisme. Le culte de la personnalité est bien un culte. Le parti unique remplace l’église et le clergé, la propagande sert à maintenir l’unité de la foi.
Raymond Aron parle quant à lui d’absorption par l’état de la société civile. Les dogmes sont imposés aux universités et aux intellectuels. L’état, relai d’un parti unique, contrôle toute la société, et interdit la liberté d’expression et de conscience.
La notion de fascisme éternel d’Umberto Eco n’est sans doute pas ici pertinente, à cause de son caractère strictement nationaliste. En outre, avec le critère du levier sur les classes moyennes frustrées, tous les partis politiques présentant des candidats à une élection peuvent être considérés comme de type crypto-fasciste éternel.
D’autres ont apportés des différences, des nuances. Notons seulement que Jacob Talmon établit une paternité du totalitarisme : la philosophie de Jean-Jacques Rousseau et ce qu’en ont fait Maximilien de Robespierre et Gracchus Babeuf pendant la Terreur.
Le constat est clair : il n’existe pas de norme basée sur des critères objectivement mesurables qui permettrait de déterminer de façon absolue qu’un régime est ou n’est pas totalitaire. Il n’y a pas de modèle établi et consensuel. Pire même, le totalitarisme combine plusieurs curseurs : adieu la simplicité de l’opérateur booléen. Un régime pourrait en remontrer à la plus vertueuse démocratie sur certains critères, et faire frémir d’angoisse sur d’autres. Comme la démocratie, le totalitarisme est une tension dynamique vers un concept aux contours flous. Mais les nuances de perception, les divergences de ceux qui ont étudié ce concept importent peu : il broie les individus et les corps intermédiaires au profit d’un état-parti animé d’une idéologie. Cela n’a donc rien d’enviable.
1Même si c’est un anachronisme.
La suite au prochain numéro ! Vous pouvez si vous le souhaitez télécharger tout l’essai via ce lien www.lulu.com/shop/rémy-mahoudeaux/le-macronisme-est-il-totalitaire/ebook/product-ev9qrm.html et le lire d’une traite, c’est à votre convenance.
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