Le ministère de la Parole
Trois mois ont passé depuis l’élection du ludion élyséen, et l’on peut commencer à distinguer les lignes du quinquennat. Il semble qu’il doive essentiellement consister en agitation et coups médiatiques.
Économie
La mesure phare jusqu’ici est le « paquet fiscal ». Elle consiste en une baisse de recettes non financées qui évoluera entre 15 et 20 milliards d’euros par an. Elle absorbe donc par avance l’ensemble des diminutions de la dépense publique qui seront obtenues ou pas en cinq ans, et prive par avance l’État de toute marge de manoeuvre budgétaire. Elle porte sur :
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la défiscalisation des emprunts immobiliers, mesure prise au plus mauvais moment, alors que les prix sont au plus haut, la demande forte et l’offre faible, et qui n’aura aucun effet incitatif ;
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la diminution des droits de succession alors que ceux-ci étaient généralement considérés comme plutôt stimulants pour l’activité économique, en empêchant une certaine forme de « sclérose du capital » ;
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le passage du « boucier fiscal » de 60 % à 50 %, système ayant prouvé son inefficacité complète, étant utilisé par 10 % des contribuables concernés, qui sont d’ailleurs moins de 3 % de la population ;
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la défiscalisation des heures supplémentaires, mesure qui va également introduire un manque à gagner significatif pour les comptes sociaux, et dont personne aujourd’hui, y compris à Bercy, ne se hasarde à prédire le coût et encore moins l’impact sans parler de l’utilité.
Ces mesures ne sont ni de droite, ni de gauche : elles sont stupides. Un programme de droite cohérent aurait consisté à supprimer les 35 heures et diminuer l’impôt sur les sociétés, et accessoirement à supprimer l’ISF qui ne sert à rien. La cible aurait été plus claire sur une politique de l’offre et cela aurait évité la mise en place d’usines à gaz fiscales qui coûteront cher.
Si tout cela coûte trop cher, il semble que ce sera en partie financé par une augmentation de la TVA. Le bilan global sera un transfert de la fiscalité des riches vers les pauvres, c’est-à-dire une action contre la demande sans effet sur l’offre. Si cette augmentation est limitée aux importations, comme le demande M. Guaino, elle mettra la France en franche contradiction avec sa politique européenne.
Le fait d’avoir à l’Élysée à la fois MM. Guéant et Guaino traduit encore une fois la complète incohérence idéologique de l’UMP. M. Guaino est, comme M. Todd pour Chirac, la « caution morale populaire ». Elle ne devrait pas durer beaucoup, une fois les campagnes terminées en 2008. C’est d’ailleurs, selon le Canard enchaîné, entre ces deux personnes que s’est discuté le destin de GdF : Suez ou pas Suez, alors que M. Fillon avait promis de trancher il y a deux semaines.
Sur ce point nous abordons le vrai business. Aux dernières nouvelles, le destin de GdF n’est pas scellé, mais l’avenir se précise pour Areva, qui serait offert à Bouygues, le patron, entre autres, de TF1. Mme Lauvergeon a confirmé au Financial Times en avoir discuté les modalités avec M. Bouygues, à qui le président avait déjà offert, en tant que ministre des Finances, Alstom dans le secteur de l’énergie. Étant administratrice de Total et Suez, elle aura l’embarras du choix.
Environnement
Le débat sur l’environnement a été reporté à plus tard. Mais le soutien préalable apporté à l’EPR augure mal de l’ouverture de la discussion. Et le soutien apporté par M. Barnier aux pêcheurs d’anchois sans intervention de M. Borloo augure mal de la capacité future de l’UMP à se libérer de l’influence de la FNSEA, un de nos principaux lobbies de la pollution.
Travail
Dans le domaine des transports, le projet de loi sur le « service minimum » ne définit aucun service minimum, mais durcit un peu les conditions d’exercice du droit de grève au bénéfice d’une meilleure prévisibilité du service résiduel. Cela entérine d’une certaine manière les démarches « d’alerte sociale » existantes. Il est possible que ce soit à l’arrivée beaucoup de bruit pour rien.
Justice
Le sujet de la délinquance des mineurs et de la récidive vient après cinq annéess de ministère de la Parole où l’on s’est contenté de faire des lois sans se soucier de l’application des précédentes. On en est à onze ou douze aggravations de la politique pénale en cinq ans. Cela a néanmoins donné lieu à quelques mensonges pieux et rigolos sur l’état réel de la politique carcérale. Dans le même temps, les nominations politiques ont continué, surtout au parquet. Le refus du président de la République de présider le CSM semble en fait augurer d’une solide reprise en main politique.
Immigration et identité nationale
Je n’en ai plus entendu parler. Et vous ?
Éducation
Pour l’instant, la loi sur l’autonomie des universités a été adoptée. Sauf à l’avoir mal lue, elle ne semble pas destinée à apporter de bouleversements sur le sujet, et a été l’objet à la fois de consensus et de manque d’intérêt.
Culture
Mme Albanel ne semble pas saisie de ses deux principaux dossiers : les intermittents et la DADVSI. Sur cette dernière, l’Élysée a même signalé son intention de traiter directement le sujet, en mettant en place une politique de répression, et ce alors que la loi DADVSI, votée il y a un an, a démontré sa complète faillite, avec un effondrement complet des ventes en 2007, et une suite de l’augmentation de la « redevance pour copie privée » dans le temps même où un tribunal vient de confirmer que le droit à la copie privée n’existe pas.
Pendant ce temps, le verrouillage des médias continue. Pas seulement dans le public, comme plusieurs articles Agoravox l’ont fait justement remarquer, mais aussi dans le privé.
M. Minc, vieil ami de MM. Pinault et Sarkozy, s’est maintenu de lui-même à la tête du groupe Le Monde, malgré une motion de défiance des administrateurs salariés qui le considéraient à la fois trop compromis politiquement avec le président, et responsable de l’échec de la politique de croissance, qui conduira la presse régionale à être vendue à Hersant, Ouest-France, ou autre ...
M. Arnault, vieil ami de M. Sarkozy et Français le plus riche, maintient son projet d’achat des Échos à Pearson malgré l’opposition des journalistes qui ont déclaré souhaiter préserver une certaine indépendance et préférer, tant qu’à faire, être rachetés par Fimalac. M. Ladreit de Lacharrière en chevalier blanc de la liberté de la presse, nous vivons décidément une drôle d’époque !
En tout cas, fait sans précédent, toutes les organisations représentatives des métiers du journalisme ont signé un texte public s’inquiétant de la perte d’indépendance de la presse écrite. Ce texte a été adressé à l’Élysée : c’est comme demander au loup de sauver les agneaux des ours. Les Français auraient tort le cas échéant de ne pas écouter cet appel avec grande attention, car c’est sans doute le dernier.
Défense
Les arbitrages budgétaires majeurs n’ont pas été rendus publics. Le président a annoncé vouloir remettre à plat les grands programmes. Osera-t-il annuler l’échec cuisant qu’est le Rafale, ou bien aura-t-il un peu de considération pour les sénateur, député UMP et propriétaire du Figaro de la famille Dassault ?
Intérieur
Tout va bien et l’insécurité n’est plus un problème depuis trois mois.
Affaires étrangères
Comme tous ses prédécesseurs de la Ve République, la présidence a choisi ce domaine comme le théâtre privilégié de son auto-mise en scène, et y a brassé une quantité de vent à faire rougir Éole.
Vis-à-vis de l’Europe, le « minitraité » semble consister en retour par la fenêtre du refoulé TCE avec un préavis de DIX ans. On n’entend plus parler de la Turquie. Quelques rodomontades sur l’indépendance de la BCE ont fait long feu.
Vis-à-vis de l’Afrique, après quelques déclarations sur l’inutilité des interventions, il semble que les intérêts de Total, Bouygues et Bolloré aient prévalu, et que les affaires continuent. L’armée française continue de mener au Tchad une guerre civile inavouée et de soutenir à N’Djamena et Brazzaville des régimes discrédités.
Pour le reste, la politique française s’est « normalisée », c’est-à-dire alignée sur Washington. L’effort de guerre en Afghanistan a légèrement augmenté, et un léger soutien au Proche-Orient s’est dessiné, avec par exemple une participation à la surveillance du golfe Persique.
En résumé, aucun bouleversement ne semble s’annoncer : quelques bêtises budgétaires, une aggravation de la dette, des mesures symboliques, quelques cadeaux à prévoir aux copains, et une volonté constante de contrôler toujours plus, le tout dans la grande tradition UDR/RPR/UMP.
Et pourtant, pendant ces trois mois, vos médias ont parlé tous les jours de la famille Sarkozy, pour en dire d’ailleurs tout à fait autre chose. La nouveauté du sarkozysme est là : saturer l’opinion en permanence avec du bruit médiatique sur des sujets mineurs sans cesse renouvelés. Une présidence-spectacle. Le ministère de la Parole.
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