Le mur de Berlin est tombé, mais pas le mur de l’argent ni l’esclavage moderne
Je voulais écrire un billet sur le mur. Puis sont venus les signes de la mort et l’amour. Je ne voulais plus écrire alors, la fin de ce billet s’est écrite toute seule. Etrange ? Non, pas plus que les rêves de Descartes à la saint Martin. Le 11 novembre approche. Le 9, le mur de Berlin était découpé en morceaux devenus collectors.
France Inter a dédié son journal matinal au mur de Berlin dont on se prépare à célébrer les 20 ans de la chute. Indéniablement, cet événement a marqué l’Histoire du 20ème siècle, avec le puissant symbole qu’il représente. Cette chute signe en effet la fin du communisme. Ainsi parlent les analystes. Evidemment, ce verdict mérite d’être analysé avec une vue un peu plus longue. Si chute il y a, c’est celle de l’Empire soviétique, ou du moins, de ses dépendances européennes puisqu’il faudra attendre 1991, la déclaration d’indépendance des anciennes républiques soviétique et la formation de la CEI pour que la fin de l’Union soviétique soit inscrite dans l’Histoire. Maintenant, qu’en est-il du communisme ? En vérité, cette idée, en tant qu’elle fut corrélée à sa réalisation politique et économique, était déjà obsolète depuis quelques décennies en Occident. Le système soviétique comprenait un dispositif politique, policier et militaire, ayant asservi le dispositif économique géré par l’Etat et non le marché. De ce fait, il s’est trouvé que l’économie administrée avait pris un retard évident, mettant le Bloc de l’Est en décalage dans la course à la modernisation et donc, selon les critères de la valeur suprême advenue, l’Economie, les pays de l’Est étaient devenus des mauvais élèves.
A côté du retard économique, le système politique de l’Est a été ébranlé plus qu’on ne l’a vu dans l’esprit. Comme le faisait remarquer le philosophe Heinz Wismann, la défaite du soviétisme était inscrite dans les individus, à travers des résistances d’ordre culturel et spirituel. Si bien que progressivement, les gens n’avaient plus peur du régime, osant se parler, se téléphoner, pour échanger leurs états d’âme et même critiquer le régime. Ainsi, la chute du mur symbolise deux échecs du régime communiste réalisé à l’Est, « échec économique » et « échec culturel, politique et symbolique ». Mais une fois entrés dans l’ère du marché, les populations du bloc de l’Est ont vite déchanté et se sont remises de « l’illusion économiste ». Nombreux regrettent même l’époque communiste.
Raymond Aron avait en son temps dénoncé la fausse opposition entre l’économie occidentale et son homologue soviétique. Les deux systèmes étaient des dispositifs techniques de production. On a su simplement que l’un s’est avéré plus efficace. Dès 1950, Hermann Broch avait averti les esprits sur la parenté entre les productivismes étatique et capitalistes. En vérité, deux systèmes d’asservissement. Le communisme asservit les travailleurs à travers l’Etat en usant du mythe collectiviste. Le capitalisme met les travailleurs sous la coupe du capital en jouant sur le slogan de la « free enterprise » (Broch, Théorie de la folie des masses, L’Eclat, 2008) Le cerveau de l’homme est contaminé par l’économie dit-il. Finalement, après la chute du mur, la contamination par l’économie a persisté. C’est tout simplement la méthode d’asservissement qui a changé. Les populations de l’Est ont légèrement rattrapé leur retard économique mais pas assez pour éradiquer une pauvreté qui gangrène également les pays avancés.
Le mur de Berlin est tombé mais pas le mur de l’argent. Il semblerait qu’un mur politique soit plus aisément accessible à une opposition, car un système oppressant finit par rencontrer des zones de résistance qu’il a lui-même contribué à façonner et intensifier. On le voit maintenant en Iran. Le mur de l’argent n’oppresse pas frontalement comme le fait une dictature. La marchandise asservit ceux qui en sont privés, les rendant esclaves du système et leur imposant de travailler pour une faible rémunération. La marchandise asservit d’une autre manière les accédants aux biens et services, non seulement en les rendant addicts à ceux qu’ils ont mais en leur faisant miroiter l’étage suivant de la réussite matérielle. Quelle peut être la forme de résistance culturelle et spirituelle face à l’oppression de la marchandise ? L’affaire paraît plus complexe que pour résister à l’oppression politique qui elle, repose sur des rapports de pouvoir. L’asservissement économique est lié au pouvoir de l’argent, à son influence, à l’ensorcellement du mythe matérialiste, au dérèglement des désirs. Le combat à mener est d’ordre spirituel mais le processus réside dans une véritable transformation de l’individu. Il ne s’agit pas de refuser les biens matériels ou les revenus. L’ascétisme est souvent un refus de la vie. Mieux vaut un sage épicurisme. Apprendre à être heureux avec des moyens limités et surtout, les moyens dont on dispose. S’affranchir du carriérisme, de la vénalité, de la corruption, du vice. Ce n’est pas tant le capitalisme qu’il faut moraliser que sa propre existence. Inventer sa politique de bien-être sans s’en remettre aux décisions politiques qui, servant de second cerveau, asservissent tout autant. D’où l’étrange paradoxe de gouvernants s’agitant dans les réunions pour moraliser le système capitaliste et qui chez eux, rendent esclave leur population en leur imposant des crédits nationaux, des déficits, de l’endettement.
Bref, après la chute du mur, l’esclavage du système capitalisme a été maintenu, en collusion avec les Etats qui eux aussi, sont les esclavagistes du peuple par la fiscalité injuste. Rien de bien nouveau. Le peuple consent à rester dans l’état d’esclave du moment qu’il a accès à une relative sécurité et des consommations futiles, l’autre peuple est maintenu dans la peur et l’insécurité économique. Le système est un jeu. Il faut se placer. Les gens dépensent des tas de moyens pour fausser la concurrence dans l’obtention des diplômes. Tout est truqué, faussé et le mérite n’existe plus. Une idéologie minimaliste se propage dans les sociétés. Le mur de l’argent, ce sont les fractures géographiques et locales. Les banlieues déshéritées et les centres-villes excluant les pauvres avec la loi du marché. Mais rien ne nous empêche de danser et chanter, nous qui sommes d’une éternité de composition avec l’esprit. Les basses œuvres du système économique, liée à l’avilissement de l’humain, on s’en tape. La menace de l’insurrection et de la guerre civile est le dernier moyen qu’ont les exclus pour se faire respecter. C’est sombre. Mais qui a dit que le progrès devait nous amener vers un destin radieux. Le nazisme a été la pire des réalisations humaines dans un pays doté du système productif le plus avancé de son époque. Japon idem. Il y eut la victoire des alliés, le mur, la chute et le retour d’une forme de domination… mon esprit se perd et se réveille…
En vérité, le mur est universel. Chaque homme est emmuré, mais il doit ouvrir son mur pour ne pas rester demeuré. Le système comporte des zones libres, autonomes, et des zones où il faut un passeport, pour aller dans un restaurant, une boîte, pour acheter un logement. L’économie ne peut avoir comme destin que l’apartheid. La chute du mur, en vérité, une farce que les intellectuels stupides ont pris au sérieux. Il y a dans la nature humaine une disposition à l’esclavage. Sans cette disposition, le système productif ne peut fonctionner. Il y a dans la nature humaine une disposition à la maîtrise et la domination. Sans cette disposition le système ne peut fonctionner. Au bout du compte, le système rend des services. L’équitation politique, c’est de savoir quel degré d’esclavage l’homme est déterminé à consentir pour obtenir les services du système. L’homme de la rue n’a pas les moyens de résoudre cette équation. Les puissants ont résolu cette question à la place des impuissants qui font fonctionner le système. Tel est l’état de l’être emmuré dans son esprit après la chute du mur de Berlin
L’esclavage a un prix soldé en monnaie spirituelle, la liberté a un coût, payé en monnaie fiduciaire. Ce billet oscille entre ombre et lumière. Il a évoqué en filigrane un autre mur, venu d’une éternité plus profonde que le présent. Le mur entre l’ombre et la lumière. Qui veut casser son mur ?
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