Le néo-pétainisme n’est pas où l’on croit
C'est une deuxième nature, chez les tenants de la gauche dopée aux "valeurs", de traquer à leur droite les relents de pétainisme, c'est à dire le recours à des postures conservatrices et des discours tournés vers le passé ('d'un autre temps', aiment-ils à dire), conduisant tout droit à des réflexes de "repli sur soi". C'est vrai qu'il nous faut prendre garde : sans le courage mobilisateur des gens de gauche, une nouvelle révolution nationale cléricale, traditionaliste et autoritaire serait en marche sous la férule des forces de droite. Et qu'importe si, dans les faits, nos droites parlementaires s'échinent avant tout à faciliter la vie d'un monde des affaires internationalisé, avec en toile de fond, un capitalisme d'autant plus prédateur qu'il s'appuie sur l'exaltation du désir individuel, l'effondrement du surmoi social et l'acceptation d'une morale utilitariste variable en fonction des intérêts des individus et des groupes.
A cette aune, de deux choses l'une : soit c'est cette gauche qui est d'un autre temps, observant le monde d'aujourd'hui avec une paire de lunettes parfaitement dépassée ; soit elle se gargarise de son utilité d'antan pour mieux masquer sa présente compromission avec le grand capital. Rien de tel à cet égard qu'une bonne "manif pour tous", en réponse au "mariage pour tous", pour se rappeler qu'en ce bas monde, il y a des gens biens qui luttent pour le progrès face au péril imminent de la réaction.
Autant le dire sans détour : je déteste cette gauche façon Terra Nova, arrogante et misérable à la fois. Arrogante, parce qu'elle s'imagine être du côté de toutes les libérations, quand elle ne fait qu'accompagner le délitement du lien social et ratifier l'expansion de l'hyper-capitalisme. Misérable surtout et en fait, car il n'est pas possible de qualifier moins durement une force politique qui se prétend de gauche tout en passant à côté du vrai scandale de notre temps, qui est celui de l'argent fait dieu et du capital fait roi, avec toutes les conséquences politiques, économiques et même anthropologiques que cela comporte.
Ceci étant posé, ne nous laissons pas impressionner par cette arrogance qui, d'ailleurs, n'est pas l'apanage de cette gauche bien pensante, même si elle en constitue le fer de lance. Et retournons sans scrupule l'accusation, par souci de vérité : car s'il y a des néo-pétainistes aujourd'hui, ce sont tous ces gens qui rabâchent que la France ne peut rien entreprendre de sérieux si elle en prend seule l'initiative ; que la volonté de conduire librement ses affaires équivaut à un "repli sur soi" éhonté, façon Corée du Nord comme j'ai encore pu l'entendre de la bouche de Jacques Attali face à Jean-Luc Mélenchon dans Des paroles et des actes ; que l'affirmation de nos intérêts nationaux face à l'Allemagne de Merkel était assimilable à de la germanophobie, justifiant d'y aller en douceur avec nos amis d'outre-Rhin, c'est à dire de ne pas y aller du tout ; que c'est avec bonheur que la défense nationale a retrouvé son ancrage stratégique dans l'OTAN pourtant à la main d'un Etat étranger, les USA. Et j'en passe.
Il y a là suffisamment d'exemples mettant en évidence un esprit de résignation, de défaite et de collaboration avec l'ordre des choses, indigne de la France et des Français. Car c'est bien par l'esprit, bien évidemment, et non par référence à la politique intérieure conduite par le Maréchal Pétain et ses affidés vichystes, que tous ces gens font preuve de néo-pétainisme. Un pétainisme géopolitique, en quelque sorte. Par exemple, Merkel n'est pas Hitler, c'est entendu et il faut être sot et très inconvenant au demeurant pour effectuer un tel rapprochement. Mais là où le pétainisme est pourtant manifeste, c'est lorsque nous voyons tel ou tel clamer qu'il faut composer avec la politique de Merkel pour "sauver l'euro", comme jadis il fallait prétendument collaborer avec l'Allemagne parce que sans elle, le bolchevisme aurait soit disant triomphé partout. L'enjeu n'est certes pas le même, ni d'un point de vue politique, ni d'un point de vue moral. Mais la démarche intellectuelle est sans conteste la même : elle consiste à rabaisser la France, à l'arrimer à un ordre qui la dépasse et la surdétermine, sans considération pour son droit à exister en tant que nation souveraine et au mépris de ses intérêts les plus élémentaires. Les effets en sont d'ailleurs tout aussi désastreux, la France servant de caution à la politique économique allemande au lien d'organiser sous son leadership une saine résistance collective, nourrissant la désespérance des peuples de l'Europe du sud, condamnés à se soumettre au diktat de troïkas suffisantes et bornées.
Le marasme économique actuel fonctionne en réalité comme un formidable révélateur du néo-pétainisme qui gangrène le gouvernement de la France, alors même qu'une partie de l'élite dirigeante en a fait, dans l'ordre idéologique, le repoussoir idéal pour la sauvegarde d'une identité politique en perdition. Car enfin, il n'est plus guère possible de se cacher derrière un miracle communautaire supposé bénéfique aux Français pour exiger d'eux qu'ils abandonnent leur souveraineté et, dans son sillage, faute d'Europe politique, leur démocratie. Aussi bien n'y a-t-il plus finalement, nue comme Eve au Jardin d'Eden, qu'une simple préférence idéologique pour l'alignement à tout prix. En somme, à n'en pas douter et pour le coup, un authentique relent de pétainisme.
Souhaitons cependant que parmi l'élite politique, celles et ceux qui récusent cette idéologie de la défaite et du déclin sur fond de réflexe anti-national, sauront imposer le sursaut dont la France et les Français ont à présent besoin. Car il n'est pas dit, sauf à ne point aimer la France, sauf à désespérer complètement d'elle, qu'une France assertive et sûre d'elle-même ne puisse être en même temps une France audacieuse, pour l'Europe et pour le monde. Cessons dès lors de faire fausse route et reconnaissons que les politiques d'alignement, promues en vertu d'une vision idéologique de la crédibilité(rassurer Bruxelles, Berlin et les marchés financiers), constituent en réalité un renoncement à explorer autant de voies nouvelles pour sortir de l'impasse désolante dans laquelle nous nous trouvons.
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