Le nucléaire c’est Hitler en 1933
Que se passerait-il si une de nos centrales nucléaires subissait un accident grave ?
Une évaluation portant sur un tel accident pour la centrale de Gravelines, située à vol d’oiseau à 16 km de Dunkerque (70 000 habitants) et 20 de Calais (80 000 habitants) et qui nécessiterait l'évacuation de ces deux villes pour une durée de 15 jours (au total environ 200 000 personnes en comptant l'ensemble des localités dans un rayon d'environ 30 km) conduisait à un montant minimal de 4 milliards d'euros.
Ce chiffre prend en compte le coût de l'évacuation et la perte économique pour cause d'interruption d'activité pour une région dont le PIB était de 91 milliards d’euros en 2006, alors que le montant d’indemnisation minimal garanti s’élève ainsi à 1,5 milliard d’euros (pour plus de détails : « Nucléaire : la France est-elle bien protégée ? » ).
Depuis combien de temps, et pour combien de temps, une zone de 30 km autour de Fukushima est-elle évacuée ?
Plus de 15 jours : on fera le calcul...
Affirmer qu'une catastrophe aux conséquences équivalentes à celle de Fukushima ne pourrait se produire en France, quels que soient les résultats des tests de sécurités qui seront bientôt effectués, serait se satisfaire d'un raisonnement largement accepté hier mais dont les faits nous démontrent qu'il n'a plus la moindre validité.
Le risque de fusion du cœur était estimé à une fois tous les 20 000 ans pour chaque réacteur en fonctionnement.
J'écrivais récemment (« Probabilité d’accident nucléaire majeur : du calcul à la réalité... ») que ce risque était en fait compris entre une fois tous les 3000 et une fois tous les 4000 ans, ceci en comptant 1 ou deux cœurs fondus à Fukushima : il y en a eu 3.
Le risque doit donc maintenant être estimé à une fois tous les 2 400 ans, ce qui est encore différent...
D'autres ont fait le même type de calcul avec des résultats qui ne rassurent pas plus : « Accident nucléaire : une certitude statistique ».
Plus il y aura de réacteurs en activité dans le monde plus il y aura d'accidents graves parce-que, tout simplement, les faits nous démontrent que nous ne pouvons agir sur certains paramètres décisifs (ou contre ces paramètres destructeurs) en respectant une enveloppe financière compatible avec une rentabilité acceptable d'une centrale nucléaire : en d'autres termes on ne construirait aucune centrale s'il fallait réellement la protéger réellement et très efficacement contre tout ce qui pourrait la rendre extrêmement dangereuse.
Certes il y a l'EPR, ce fameux réacteur de haute sécurité dont on a deux exemplaires pour le prix de 4 ou 5.... (voir le coût de ceux qui se construisent actuellement en Finlande et dans le Cotentin) mais dont il n'est pas vraiment garanti qu'il résisterait à tout !
A 300 km environ des côtes du Cotentin se trouve le tombant du plateau continental.
Que savons-nous exactement de la possibilité qu'il s'effondre, créant un tsunami majeur tel que nous n'en n'aurions jamais répertorié (« Histoire et caractéristiques des tsunamis observés en France et sur ses abords ») ?
Détenons-nous la preuve absolue qu'un tel effondrement serait totalement impossible ?
S'il se produisait alors que l'EPR de Flamanville serait en fonctionnement (et qu'il devrait donc affronter une vague de 10, 20, 30 mètres de haut ?) le réacteur et les annexes indispensables à son fonctionnement correct résisteraient-ils ?
Imaginons que oui : combien de temps la petite équipe chargée de son fonctionnement devrait-elle poursuivre son travail (et le pourrait-elle vraiment ?) avant d'être relevée dans un contexte de destructions importantes de l'environnement immédiat (routes, annihilation des équipes de relève car habitant dans des zones affectées par le tsunami...) ?
Le volume, peut-être très important, de débris divers engendré par le tsunami permettrait-il encore vraiment le refroidissement du réacteur (obturation des prises d'eau) ?
Avec une vague dont la vitesse de propagation atteindrait 600 ou 800 km/h il y a peu de chances que l'ensemble de nos réacteurs littoraux aient pu être mis en arrêt urgent de fonctionnement : 5 implantations pourraient être gravement endommagées (Blayais - 4 réacteurs, Flamanville - 2 réacteurs actuellement , Paluel - 4 réacteurs, Penly - 2 réacteurs, Gravelines - 6 réacteurs) pour un total de 18 réacteurs à ce jour.
Quel serait l'impact de ce tsunami sur ces installations ?
Que se passerait-il si une éruption majeure du Laki ou d'un autre volcan avait lieu, nous recouvrait d'un épais brouillard sulfuré comme ce fût le cas en 1783, paralysant des pans entiers de notre société ?
Dans un autre registre a-t-on examiné avec tout le sérieux qu'il faut l'hypothèse d'une attaque informatique contre le système de gestion d'une centrale ?
N'est-il pas possible de créer des dommages majeur par cette voie ?
Ne négligeons pas non plus l'hypothèse d'une éruption solaire majeure, comme je l'évoquais dans « Eruptions solaires et centrales nucléaires » , qui présente un scénario catastrophe absolument inquiétant.
Que se passerait-il dans le cas d'une éruption comparable à celle de 1859 (Éruption solaire de 1859) ?
Nous pourrions facilement avoir l'impression assez durable d'être plongés dans une horreur absolue.
Car si les conséquences étaient telles que les circuits électriques et informatiques des centrales étaient atteints et mis hors service il faudrait aussi s'attendre à ce que de nombreux autres systèmes soient en panne plus ou moins définitive.
Cela atteindrait probablement notre approvisionnement en électricité, la plupart ou la totalité de nos moyens de communication, de mesure, de transmissions... d'alerte et donc d'intervention, nos trains... (« incendies de stations de télégraphie suite aux courants très intenses se propageant dans le sol » dans l'article de Wikipédia).
Plus d'internet, plus de téléphone, peut-être plus de radio selon les cas...
La certitude pour chacun qu'un problème important se pose mais peut-être l'impossibilité d'en savoir plus dans l'immédiat, l'incertitude totale sur la conduite à tenir, incertitude qui pourrait perdurer longtemps si les systèmes de communication ne pouvaient être vite rétablis, et découlant de tout cela un très fort niveau de désorganisation.
Les stations service auraient-elles échappé aux effets des courants induits ?
Pendant combien de temps pourrions-nous « aller aux nouvelles » autrement qu'à vélo où à pied ?
Pour ajouter au désarroi la question : et les centrales nucléaires, ont-elles tenu le coup ?
Combien de ces centrales, parvenues au stade critique pour lequel le cœur entre en fusion à cause d'un manque de refroidissement, émettraient bientôt dans l'atmosphère un cocktail d'éléments radioactifs ?
Comment le savoir, répandre la nouvelle, prévenir les populations de l'attitude à adopter selon sa position par rapport à chaque centrale, lancer l'ordre de distribuer d'indispensables comprimés d'iode (et les distribuer massivement), organiser les évacuations là où elles devraient s'imposer... ?
Par pigeons voyageurs ?
Sans cette menace nucléaire la situation serait déjà terrible, avec : elle prendrait vite un parfum d'apocalypse... et se terminerait peut-être ainsi pour une part d'entre nous !
On imagine mal que cela puisse se produire ?
Mais qui avait imaginé la seconde guerre mondiale, dans toutes ses dimensions... ?
Ne serions-nous pas là confrontés à une limite intellectuelle de nos sociétés (de notre « intelligence collective » ?) ?
S'il avait été possible de savoir quels événements émailleraient l'avenir, même sans en connaître la date, et que l'on avait dit aux habitants de Fukushima, de sa région et plus largement du Japon : nous vous proposons d'installer des centrales nucléaires à Fukushima, qui vous donneront pour des années une électricité à un prix abordable, mais qui subiront un jour un accident tel qu'il sera indispensable d'évacuer un large territoire, auraient-ils accepté ou non ces centrales ?
Il me semble que non, et nous sommes exactement dans la même situation : nous savons que, pour une cause ou une autre (inventoriée ou non ci-dessus) un accident grave peut se produire mais que, en attendant, nous bénéficions d'un courant abondant et abordable.
Et nous pouvons décider de conserver ou non cette menace, pour une plus ou moins grande durée.
Le 30 janvier 1933 Hitler parvient légalement au pouvoir en Allemagne.
Etait-il possible de prévoir, dans le contexte de l'époque, qu'il mènerait le monde à la situation catastrophique qui surviendrait ensuite ?
Je l'ignore mais si quelqu'un avait pu prévoir, avait eu la certitude que les choses ne pouvaient évoluer que vers une situation inacceptable, il aurait fallu que cette personne ait trouvé le moyen de mettre fin à la carrière politique de Hitler quel qu'en soit le coût, évitant ainsi au monde cette seconde guerre mondiale immensément plus coûteuse.
Le temps passant les intentions du personnage se précisèrent et il devenait de plus en plus évident que l'on devrait redouter des évolutions inadmissibles.
Personne n'a payé le prix de la mise à bas de ce régime, à ces moments.
Ce n'est qu'en plein conflit que les USA décidèrent une entrée en guerre au prix d'efforts démesurés : toutes les ressources, toutes les énergies furent mobilisées uniquement vers l'objectif de mettre fin à cette guerre.
On récupérait la moindre parcelle de métal, de cuir, de tissu, de toutes sortes de matières et de produits afin d'alimenter l'effort de guerre, les femmes se mirent à travailler dans les aciéries, les usines de fabrication d'avions, de chars, de rations de survie... de tout ce qui était indispensable à ces soldats qu'étaient les hommes retirés de leur poste de travail de ces mêmes usines pour aller sur le champ de bataille.
Faut-il le rappeler : le coût fut astronomique.
On peut déduire de cela que le fait de laisser s'installer une situation dangereuse, et de n'y pas mettre fin quel qu'en soit le prix, peut conduire à devoir payer ensuite beaucoup plus cher le retour à une situation moins périlleuse.
Les aspects positifs d'une situation par ailleurs dangereuse risquent fort de n'être jamais à la hauteur des aspects négatifs que l'expression du danger pourra induire.
Une invasion de l'Allemagne destinée à mettre fin à la carrière de Hitler après qu'il ait violé le traité de Versailles (le 16 mars 1935, Hitler annonce le rétablissement du service militaire obligatoire et décide de porter les effectifs de la Wehrmacht de 100 000 à 500 000 hommes) aurait eu un coût important mais aurait évité la seconde guerre mondiale.
Mais on ne connaît jamais l'avenir, ce que l'on peut imaginer de ce qu'il sera tient très largement à une juste évaluation du danger que présentent les situations dans lesquelles nous nous mettons.
Or il apparaît aujourd'hui que, sous bien des aspects (compétition plus féroce pour toutes les ressources, bouleversements climatiques, économiques et sociétaux...), le monde pourrait devenir encore plus instable qu'il ne l'est aujourd'hui, ce qui peut avoir des conséquences très directes sur nos capacités à gérer le quotidien.
Si une autre catastrophe nucléaire survenait cette année dans le monde que deviendraient les cours d'Areva, d'EDF... et les capacités économiques de ces entreprises ne seraient-elles pas largement amputées, avec une influence possible sur la qualité de la maintenance des centrales... ?
Too Big to Fail (Trop gros pour tomber) : l'état prendrait le relais, ce ne serait peut-être pas pour alléger la facture de chacun...
Nous détenons maintenant la preuve que nous n'avons jamais su évaluer de façon juste les dangers que présente réellement l'industrie nucléaire quels que soient les efforts déployés pour la rendre « sûre » et cela ne nous confère nullement la capacité à la rendre véritablement « sûre » car l'on constate qu'il nous faut prendre en compte des types de risques qui dépassent très largement nos capacités d'anticipation et de résistance.
Le nucléaire c'est Hitler en 1933 : le risque illimité.
Alors certes une sortie du nucléaire aura un coût mais si largement inférieur à celui d'une seule « petite » mais bien réelle catastrophe qu'il ne faut peut-être pas tarder à ouvrir la porte...
PS / Pour qui serait curieux de savoir comment sont faites un certain nombre de centrales nucléaires dans le monde : http://econtent.unm.edu/cdm4/browse.php?CISOROOT=%2Fnuceng&CISOSTART=1%2C1
On y trouvera notamment un éclaté de la centrale de Fessenheim dont un extrait illustre ce texte.
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